Clément d'Alexandrie
LES STROMATES LIVRE I



Titre 5



Titre 5
SOMMAIRE
LIVRE AUDIO
CHAPITRE PREMIER.
PRÉFACE.
L’auteur expose les matières qu’il va traiter, et montre de quelle utilité les écrivains sont pour leurs lecteurs.
Faut-il ne permettre à personne d’écrire, ou faut-il l’accorder à quelques hommes ? S’il faut ne le permettre à personne, à quoi serviront les lettres ? S’il faut l’accorder à quelques hommes, ce sera ou aux hommes de bien, ou aux méchants. Or, il serait ridicule de repousser les écrits des hommes de bien, et d’accepter les écrits des autres. Théopompe et Timée, ces auteurs de fables et de calomnies, Épicure aussi, ce père, ce chef de l’impiété, Hipponax enfin et Archiloque auraient la permission d’écrire leurs honteuses conceptions, et à celui qui prêche la vérité, il serait défendu de transmettre d’utiles doctrines à la postérité ! Il est beau, je crois, de laisser après nous des enfants vertueux. Or, les enfants sont les fruits du corps, et les écrits les fruits de l’âme. Ne donnons-nous pas le nom de pères à nos catéchistes ? La sagesse aime les hommes et se communique volontiers. C’est pourquoi Salomon dit : « Mon fils, si tu reçois mes paroles, si tu renfermes mes préceptes en toi, ton oreille s’ouvrira pour recevoir la sagesse. » Il nous montre ainsi que la parole qu’on répand est renfermée dans l’âme du disciple, comme dans un champ, et que ce sont là des semences toutes spirituelles. Il ajoute ensuite : « Et tu tourneras ton cœur vers la prudence, et tu emploieras ta prudence à donner à ton fils les avertissements nécessaires. » L’union de l’âme avec l’âme, et celle de l’esprit avec l’esprit, font croître et vivifient, par la semence de la parole, ce qui est en nous comme dans une terre féconde. Or, tout disciple est le fils de son maître, quand il défère à ses paroles : « Mon fils, dit Salomon, n’oublie pas mes enseignements. » Comme tous les esprits ne sont pas propres à la connaissance des choses, les écrits sont pour la plupart ce qu’une lyre est pour l’âne, s’il m’est permis de me servir de cette comparaison. Le pourceau préfère la fange à l’eau ptire. « Aussi, dit le Seigneur, je leur parlerai en paraboles, parce qu’en voyant, ils ne voient pas, et en écoutant, fis n’entendent ni ne comprennent pas. » Ce n’est pas que Dieu les condamnée l’ignorance ; une telle pensée serait un crime ; mais il nous révèle par là l’ignorance qui est en eux, et il déclare d’avance qu’ils ne comprendront pas ses paroles. Nous voyons le Sauveur lui-même, après avoir donné des talents aux serviteurs, en les proportionnant à leurs facultés et leur recommandant de les faire valoir ; nous le voyons, dis-je, à son retour, entrer en compte avec eux, approuver ceux qui avaient augmenté le talent qu’ils avaient reçu, et qui s’étaient montrés fidèles en peu de chose, leur promettre de les établir sur beaucoup, et leur dire d’entrer dans la joie du Seigneur ; puis, s’adresser en ces termes au serviteur qui avait enfoui l’argent qu’on lui avait confié pour le prêter à intérêts, et qui le rendait tel qu'il rayait reçu, sans l'avoir augmenté : « Serviteur méchant et paresseux, il fallait confier mon argent aux changeurs, et, à mon retour, j'aurais pris moi-même ce qui m'appartient. » C'est pourquoi le serviteur inutile sera jeté dans les ténèbres extérieures. « Fortifiez-vous donc, dit Paul, par la grâce qui est en Jésus-Christ ; et ce que vous avez appris de moi, devant plusieurs témoins, donnez-le en dépôt à des hommes fidèles, qui soient eux-mêmes capables d'en instruire d'autres. » L'apôtre dit encore : « Mettez-vous en état de paraître devant Dieu, comme un ministre digne de son approbation, qui ne fait rien dont il ait à rougir, et qui sait distribuer la parole de vérité. » Si donc il est deux fidèles qui prêchent la parole, l'un par écrit, l'autre de vive voix, comment tous les deux ne sont-ils pas dignes d'être admis dans le royaume des deux, puisqu'ils ont fait en sorte que la foi agit par la charité ? Dieu n'est pas l'auteur de la faute de celui qui n'a pas su faire le meilleur choix. La tâche des uns est de prêter à usure la parole ; la tâche des autres est de réprouver et de l'accepter ou non. Leur décision elle-même est jugée par leur propre conscience. Il est deux manières de propager l'Évangile : Tune est la prédication, l'autre est une sorte de vie angélique ; toutes les deux sont utiles, que ce soit la main ou la langue qui opère. Ainsi, celui qui sème dans l'esprit recueillera de l'esprit la vie éternelle. Ne nous lassons donc point de faire le bien. Celui qui est appelé par la providence divine à la prédication, en reçoit les plus grands biens, le principe de la foi, le désir de régler saintement sa vie, la soif de la vérité, le mouvement intérieur qui pousse l'esprit à l'examen et à la recherche, la découverte même de la vraie doctrine ; en un mot, les moyens et l'occasion du salut. Et ceux qui ont été légitimement et sincèrement nourris des paroles de la vérité, ont reçu le viatique de la vie éternelle ; ils appartiennent déjà plus à la terre, ils sont transportés dans les cieux. C'est pourquoi l'apôtre a dit ces paroles admirables : « Nous nous montrons en toutes choses tels que doivent être des ministres de Dieu, comme pauvres, et enrichissant plusieurs, comme n’ayant rien et possédant tout. Ma bouche s’ouvre par l’affection que je vous porte. » « Je vous conjure, dit-il dans son épître à Timothée, devant Dieu, devant Jésus-Christ et devant les anges élus, d’observer ces choses sans vous laisser prévenir, et sans rien faire par inclination et par affection particulière. » Il est donc nécessaire que les uns et les autres se mettent eux-mêmes à l’épreuve, les uns pour savoir s’ils sont dignes de prêcher et de laisser des écrits ; les autres pour savoir s’ils sont dignes d’écouter et de lire. C’est ainsi qu’après avoir, selon la coutume, rompu le pain de l’Eucharistie, on permet à chaque fidèle d’en prendre une part ; car, pour choisir ou pour rejeter avec raison, la conscience est le meilleur juge. Or, la règle certaine d’une bonne conscience est une vie droite, jointe à une saine doctrine : suivre l’exemple de ceux qui ont été déjà éprouvés, et qui se sont conduits avec droiture, c’est la voie la plus sûre pour atteindre à l’intelligence de la vérité, et à l’observance des préceptes. Quiconque mangera le pain et boira le calice du Seigneur indignement, se rendra coupable du corps et du sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve soi-même, et qu’après cela il mange de ce pain et boive de cette coupe. Il faut donc que celui qui entreprend de prêcher aux autres s’examine pour savoir s’il a en vue l’utilité du prochain, si ce n’est point avec présomption, et par esprit de rivalité ou par amour de la gloire, qu’il répand la sainte parole ; s’il se propose pour unique récompense le salut de ses auditeurs, et s’il n’en flatte aucun ; et enfin s’il évite toute occasion qui pourrait le faire accuser de vénalité. « En effet, dit l’apôtre, nous n’avons jamais employé la flatterie, comme vous le savez, ni fait de notre ministère un commerce d’avarice : Dieu en est témoin. Nous n’avons pas non plus, recherché la gloire des hommes, soit de vous, soit des autres. Nous pouvions, comme apôtres de Jésus-Christ, vous charger de notre subsistance, mais nous nous sommes montrés pleins de mansuétude parmi vous, comme une nourrice pleine de tendresse pour ses enfants. » De leur côté, il faut que ceux à qui l’on distribue la parole divine s’examinent avec soin pour savoir si ce n’est point par curiosité qu’ils désirent apprendre, s’ils n’entrent point dans la sainte science comme dans une ville dont on veut seulement voir les monuments ; pour savoir enfin s’ils ne viennent pas dans le seul but d’avoir part à certains avantages temporels, parce qu’ils ont appris que les personnes consacrées au Christ ne laissent pas manquer des choses nécessaires à la vie. Mais ceux-là sont des hypocrites, n’en parlons pas. Si l’on veut être réellement juste, et non pas seulement le paraître, il faut avoir une conscience irréprochable. Si donc la moisson est grande, et qu’il y ait peu d’ouvriers, en vérité, il faut prier pour que le nombre des ouvriers s’accroisse. Or, on ensemence de deux manières le champ de l’Église ; par la parole et par les écrits. Mais de quelque manière que l’ouvrier du Seigneur sème le divin froment, de quelque manière qu’il fasse croître et qu’il moissonne les épis, on reconnaîtra toujours en lui un ouvrier vraiment divin, « s’il travaille, dit le Seigneur, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle. » La nourriture de l’homme se compose et d’aliments et de paroles. Bienheureux sont les pacifiques dont la saine doctrine remet dans le droit chemin les voyageurs égarés, nous dégage des ténèbres de l’ignorance, et nous conduit à cette paix que donne le Verbe et une vie conforme à la loi de Dieu, et rassafeie les âmes affamées de la justice, en leur distribuant le pain céleste. Les âmes ont une nourriture qui leur est propre : les unes croissent et se développent par la connaissance et par la science ; les autres se nourrissent de la philosophie grecque, philosophie semblable aux noix, dont tout n’est pas bon a manger. Or, celui qui plante et celui qui arrose, étant les ministres de celui qui donne l’accroissement, sont une seule et même chose en ce qui touche leur ministère. Mais chacun recevra son propre salaire, selon son propre travail ; car nous sommes les coopérateurs de Dieu, et vous êtes le champ que Dieu cultive, et l’édifice que Dieu bâtit, comme dit l’apôtre. Il ne faut donc ni permettre aux auditeurs d’éprouver la sainte parole au moyen de la comparaison, ni la livrer à l’ examen de ceux qui sont nourris de toutes les sciences humaines et remplis de ces vains sophismes dont ils n’ont pas encore cherché à s’affranchir. Celui qui commence à vivre de la foi acquiert la solidité d’esprit nécessaire pour recevoir la divine parole, car il possède un jugement d’accord avec la raison que la foi seule peut donner, c’est-à-dire il possède la foi ; et à cette heureuse source il puise la conviction, et voilà ce que signifie cette parole du prophète : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. C’est pourquoi, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais principalement à ceux qui sont entrés, par la foi, dans la famille du Seigneur. » Et que chacun d’eux répète les paroles du saint roi David, et chante avec reconnaissance : « Arrosez-moi, Seigneur, avec l’hysope, et je serai purifié ; lavez-moi, et je deviendrai plus blanc que la neige. Vous ferez retentir à mon oreille l’allégresse et la joie, et mes os brisés tressailleront. Détournez vos yeux de mes crimes, effacez mes iniquités. Créez en moi un cœur pur, ô mon Dieu, et renouvelez, au fond de mon âme, l’esprit de droiture. Ne me rejetez pas de votre présence, et ne retirez pas de moi votre esprit saint. Rendez-moi la joie de votre salut, et fortifiez-moi par votre esprit souverain. » Celui donc qui annonce de vive voix la parole, éprouve avec le temps, juge après un mûr examen, et distingue des autres celui qui est capable de l’entendre ; observant attentivement les discours, le caractère, les habitudes, la vie, les mouvements intérieurs, les manières d’être, le regard, la voix de chacun, et pour me servir d’un langage figuré, le carrefour, la pierre, le sentier battu, la terre féconde en fruits, la région couverte de bois, riche, fertile, bien cultivée, et propre à multiplier la semence. Quant à celui qui annonce la parole par des écrits, il prend des engagements sacrés auprès de Dieu, en proclamant dans ses écrits qu’il n’agit ni par amour du gain, ni par un désir de vaine gloire, qu’il n’obéit à aucune passion, qu’il n’est point l’esclave de la crainte, que ce n’est point sa propre satisfaction qu’il cherche, qu’il ne veut pas recueillir de ses soins d’autre fruit que le salut de ses lecteurs : il n’a pas sa récompense dans cette vie, mais il l’attend avec confiance de celui qui a promis que les ouvriers auraient leur salaire, chacun selon ses mérites. Le véritable chrétien ne doit pas travailler dans cette vue. Celui qui se glorifie du bien qu’il a fait mérite à cause de son orgueil d’être privé de récompenses. L’homme qui remplit ses obligations dans l’espoir d’obtenir le salaire promis à la vertu, ou pour éviter le supplice annoncé au méchant, n’agit-il pas d’après l’esprit de ce monde ? Il faut, autant que possible, imiter le Seigneur, et celui-là se conforme à la volonté de Dieu, qui, ayant reçu gratuitement, donne gratuitement, et reçoit y comme une récompense assez grande, la vie même dont il jouit. « Le prix de la prostitution, dit le Seigneur, n’entrera point dans le sanctuaire. » C’est pourquoi il a été défendu d’offrir sur l’autel des sacrifices, ce qu’on aura reçu en échange d’un chien. Quiconque aura l’œil de l’âme obscurci par une éducation mauvaise, et par un enseignement vicieux, qu’il marche vers la lumière qui est sa vie 5 vers la vérité qui, dans les choses écrites, fait comprendre même ce qui n’est pas écrit. « Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux, dit Isaïe, et buvez l’eau dans vos vases, dit Salomon. » C’est pour cela que dans les lois, Platon, dont la philosophie s’est inspirée des traditions hébraïques, engage les laboureurs à n’arroser leurs champs au moyen de rigoles, et à ne recourir à l’eau de leurs voisins, qu’après, avoir fouillé d’abord leur propre fonds jusqu’à la terre que l’on nomme vierge, et que dans le cas où ils n’auraient trouvé qu’un sol entièrement privé d’eau. Car, il est injuste de ne pas venir au secours de l’indigent ; mais nourrir l’oisiveté est un mal. Et Pythagore disait que s’il est raisonnable de partager le fardeau des autres, il n’est pas convenable de les aider à l’abandonner. Or, l’Écriture, en même temps qu’elle réveille le feu endormi dans notre âme, dirige vers la contemplation le regard qui nous a été donné pour y atteindre ; comme l’agriculteur qui greffe, elle insinue une sève nouvelle, ou du moins elle ranime l’ancienne. « Car, il y en a beaucoup parmi nous, selon les paroles du divin apôtre, qui sont malades et languissants, et plusieurs dorment : si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu. » Cet ouvrage n’est pas un livre écrit dans le but d’étaler une vaine science ; c’est un recueil de réflexions [que j’amasse pour ma vieillesse, un remède contre l’oubli ; c’est réellement la reproduction et l’esquisse des traits qui caractérisent les discours pleins de vie et de clarté de quelques saints personnages que j’ai été jugé digne d’entendre. L’un, l’Ionien, florissait dans la Grèce, et l’autre dans la grande Grèce ; le premier originaire de la Cœlé-Syrie ; le second d’Égypte ; deux autres furent célèbres en Orient ; l’un originaire d’Assyrie, l’autre de Palestine et Juif de naissance. Celui-ci était le premier de tous sans contredit ; lorsque je l’eus découvert je me fixai en Égypte, m’emparant de tous les trésors cachés qu’il possédait. Véritable abeille de Sicile, il recueille le suc des fleurs qui couvrent le champ des prophètes et des apôtres, et dépose dans l’âme de ses auditeurs une science toute pure et toute sainte. Ceux qui ont reçu des saints apôtres Pierre et Jacques, Jean et Paul, la tradition véritable de la sainte doctrine, comme un fils qui reçoit un héritage de son père (et il en est peu qui ressemblent à leurs pères), sont parvenus jusqu’à nous, par une grâce particulière de Dieu, pour déposer dans nos âmes la doctrine apostolique, léguée par leurs ancêtres. Et je suis certain que nos lecteurs tressailleront de joie, non point à cause de cet ouvrage en lui-même, maie sur l’observation que c’est la doctrine transmise par les successeurs même des apôtres. Et, voilà, selon moi, le caractère d’une âme qui désire garder toujours intacte la bienheureuse tradition : L’homme qui aime la sagesse est la joie de son père* Les puits auxquels on puise habituellement donnent une eau plus limpide ; liais les eaux de ceux auxquels on ne puise jamais « e corrompent. Le fer aussi devient plus brillant par l’usage ; mais si vous ne vous en servez pas, la rouille s’en empare. Pour tout dire, en un mot, l’exercice intérieur et extérieur est la santé de l’esprit comme du corps. On n’allume pas une lampe pour la placer sous le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’elle éclaire ceux qui ont été jugés dignes d’être admis au même repas. Car, à quoi sert la sagesse qui ne rend pas sage celui qui peut l’entendre ? Et, en outre, le Sauveur aussi sauve toujours, et toujours il agit comme il voit agir son père. En enseignant, nous apprenons davantage, et en parlant, nous entendons souvent en même temps que ceux qui nous écoutent ; car, il n’y a qu’un maître, et pour celui qui enseigne, et pour celui qui écoute : il est la source et de l’esprit et de la parole. Est-ce que le Seigneur a voulu qu’on fût un moment sans faire le bien ? Il a permis d’admettre à la participation des mystères divins et de cette sainte lumière ceux dont l’esprit et les yeux en seraient dignes ; mais il n’a pas révélé à un grand nombre d’auditeurs les choses qui n’étaient pas à la portée d’un grand nombre d’intelligences ; il ne les a révélées qu’au petit nombre de ceux auxquels il savait que cette nourriture était propre, et qui pouvaient la recevoir, et à l’esprit desquels elle pouvait servir. Il en est des mystères comme de Dieu, ils ne doivent se confier qu’à la parole et non à l’écriture. Si l’on nous répond qu’il est écrit : Il n’y a rien de caché qui ne doive être révélé, et rien de secret qui ne doive être connu ; que l’on apprenne de nous aussi qu’il a été prédit par ces paroles que celui qui reçoit les mystères comme mystères, les mystères lui seront révélés ; et que celui qui sait conserver dans le secret de l’âme les choses qui lui sont transmises, les choses secrètes lui seront dévoilées ; de sorte que la vérité, et ce qui est caché à la plupart des hommes, sera révélé au plus petit nombre. Pourquoi tous les hommes ne connaissent-ils pas la vérité ? Pourquoi tous n’aiment-ils pas la justice, si la justice est le propre de tous ? Les mystères sont transmis d’une manière mystique, de sorte que la vérité se trouve sur les lèvres de celui qui enseigne, et plus encore dans son intelligence que dans sa bouche. Et c’est Dieu qui a donné à l’Église, les une tomme apôtres, les autres comme prophètes, d’autres comme pasteurs et docteurs, afin qu’fâs travaillent à la perfection des saints, aux fonctions de leur ministère, à l’édification du corps de Jésus-Christ. Je sais quelle est la faiblesse des réflexions qui composent ce recueil, si on les compare à cet esprit plein de grâce dont nous avons été jugés dignes d’entendre les paroles ; mais ce recueil sera une image qui rappellera le modèle à celui dont l’esprit en aura été vivement pénétré ; car, il est dit, parle à un sage, et il deviendra plus sage ; et celui qui possède recevra plus encore. Toutefois ce recueil ne promet, pas une explication suffisante de nos saints mystères ; il s’en faut de beaucoup qu’il la donne ; il promet seulement de nous les rappeler, soit que nous les ayons par fois oubliés, soit afin que nous ne les oubliions plus. Je le sais, beaucoup de choses, pour n’avoir pas été écrites, nous sont à la longue sorties de la mémoire. Aussi pour obvier à la faiblesse de la mienne, je me suis fait une exposition divisée par chapitres, et voilà pourquoi j’ai adopté cette forme donnée à mon ouvrage. Bien des choses nous ont échappé ; car l’élévation de ces 6aints personnages était merveilleuse : beaucoup d’autres, pour n’avoir pas été notées, se sont, avec le temps, effacées de notre mémoire. Il en est encore dont le souvenir est fort affaibli et presque éteint. Il n’est pas facile de rendre compte de ce travail à ceux qui n’en ont pas l’expérience. Mais en réveillant ces souvenirs, ainsi que je le fais, j’omets plusieurs choses à dessein, pour ne pas écrire ce que je me suis gardé de dire, non par envie, ce qui serait coupable, mais dans la crainte que mes lecteurs, prenant peut-être mes paroles dans un autre sens que le sens véritable, ne viennent à faillir, et qu’on puisse m’accuser, comme dit le proverbe, d’offrir une épée à un enfant. Car ce qui est écrit est écrit, et demeure quand même on ne le publierait pas ; et ce que vous avez une fois écrit et qui ne change pas vous reproduit toujours les mêmes choses quand vous les consultez ; car ces choses manquent nécessairement du secours ou de celui qui les a écrites, ou de celui qui a marché sur ses traces. Il en est aussi que je ne désignerai qu’à mots couverts. J’insisterai davantage sur les unes ; je me contenterai de faire mention des autres ; je m’efforcerai de me faire entendre sans rien dire, de manifester en me servant d’un voile, de montrer en me taisant. Je rapporterai les opinions émises par les hérétiques les plus célèbres, et je leur opposerai tout ce qui existait avant la révélation prophétique. Nous prendrons pour point de départ la création du monde, et pour guide la sainte et glorieuse tradition ; nous exposerons ce qui résulte de la simple contemplation de la nature : nous purgerons ainsi la terre de toute épine et de toute mauvaise herbe, à la manière du laboureur qui veut planter une vigne. Le prélude d’un combat est aussi un combat, et les études qui précèdent les mystères sont aussi des mystères. Nous ne craindrons pas dans ce recueil d’emprunter à la philosophie et aux traditions qui la précèdent ce qu’elles renferment de plus beau. « Car, nous dit l’apôtre, il est juste, non-seulement de se faire juif à cause des Hébreux et de ceux qui vivent sous la loi, mais encore de se faire grec à cause des Grecs, afin de les gagner tous. » Il écrit encore dans l’épître aux Colossiens : « Avertissons tous les hommes et instruisons-les en toute sagesse, afin de rendre tous les hommes parfaits en Jésus-Christ. » La forme de contemplation convient à ce genre d’ouvrage. Le trésor des saines doctrines peut être comparé à l’assaisonnement mêlé à la nourriture d’un athlète. Ce n’est pas qu’il y prenne plaisir, mais il ranime en lui l’appétit, c’est-à-dire l’amour de la gloire. Ainsi, en chantant, nous corrigeons, mais sans violer la loi de l’harmonie, ce qu’il y a de trop tendu dans les sons graves de notre voix. Et de même que ceux qui veulent haranguer le peuple, le font souvent par la bouche d’un crieur, afin que les choses qu’ils veulent dire soient mieux entendues ; ainsi ferons-nous dans ce recueil. C’est à de nombreux auditeurs que nous devons communiquer la doctrine de la tradition. C’est pour cela, certes, qu’il nous faut employer les opinions et le langage qu’ils ont coutume d’entendre. Par ce moyen nos auditeurs seront amenés plus sûrement à la vérité. Et, pour tout dire en un mot, de même que parmi la foule des petites perles, il n’y en a qu’une de remarquable, et parmi les nombreux poissons que l’on pèche, il n’y a qu’un callionyme ; ainsi avec du temps, du travail, la vérité seule apparaîtra, surtout si l’on trouve un bon guide. La plupart des biens viennent d’en haut par le canal des hommes. Sans doute, nous tous qui jouissons de la vue, nous envisageons les objets qui se rencontrent devant nos yeux ; mais chacun de nous les envisage sous un jour différent. Ce n’est pas d’un même œil que le cuisinier et le pasteur regardent la brebis. L’un n’a souci que de savoir si elle est grasse, l’autre si elle a une épaisse toison. Que celui qui a besoin de nourriture tire le lait de la brebis ; que celui qui manque de vêtements lui enlève sa toison. Ainsi puisse me profiter ce qu’il y a de bon chez les Grecs. Je ne pense pas qu’il soit aucun livre assez heureux pour se produire sans éprouver de résistance et de contradiction ; mais il faut regarder comme conforme à la raison le livre qui n’éprouve aucune contradiction raisonnable. L’action et la doctrine qu’il faut admettre ne sont pas celles qui ne sont pas attaquées, mais celles qui le sont sans raison. De ce que d’une chose, on n’en fait point son principal but, il ne suit pas qu’on la néglige, mais on agit en quelque sorte comme inspiré par la divine sagesse ; on se plie et on s’accommode à toutes les circonstances. Car l’homme qui possède la vertu n’a plus besoin de la route qui mène à la vertu ; et l’homme qui se porte bien, n’a pas besoin de rétablir ses forces. Et de même que les laboureurs arrosent d’abord la terre, et l’ensemencent ensuite ; ainsi, parce qu’il y a de bon dans les écrits des Grecs, nous arrosons ce qu’il y a de terrestre, afin que ce sol reçoive la semence spirituelle qu’on y jette, et qu’il puisse facilement la nourrir. Les Stromates contiendront la vérité qui se trouve mêlée aux dogmes de la philosophie, ou plutôt que ces dogmes recouvrent et enveloppent, comme la coquille renferme ce qu’il y a de bon à manger dans la noix. Il ne convient, selon moi, qu’à ceux qui sèment la foi d’en conserver toutes les semences. Je n’ignore pas ce que répètent partout certains esprits ignorants et craintifs ; ils disent qu’il ne faut se, livrer qu’à l’étude des choses les plus nécessaires, et qui sont le principe de la foi ; mais qu’il faut négliger les choses étrangères et superflues qui nous fatiguent en vain et qui nous arrêtent à des soins entièrement inutiles pour le salut. Il en est d’autres qui veulent même que la philosophie soit entrée dans la vie pour le malheur et pour la perte des hommes, et qu’elle soit l’invention de quelque malin esprit. Mais comme le vice est mauvais de sa nature et ne peut jamais rien produire de bon, je montrerai, bien qu’indirectement, dans tous mes livres des Stromates, qu’il n’en est pas ainsi de la philosophie, qu’elle est aussi en quelque sorte l’œuvre de la providence divine.
CHAPITRE II.
Il prévient l’objection de ceux qui le blâmeraient d’avoir insère dans ses ouvrages de nombreux fragments de la philosophie grecque.
À l’égard de mes livres qui, selon la nécessité du moment, ont reproduit les opinions des Grecs, je me contente de répondre en ces termes à ceux qui aiment à critiquer. D’abord, la philosophie fût-elle inutile, s’il est nécessaire de prouver son inutilité, elle est par le même motif utile. Ensuite on n’a pas acquis le droit de condamner les Grecs si on ne s’est attaché qu’à la lettre de leurs doctrines, sans être préalablement descendu dans l’examen de chacune de ces doctrines. Car, la réfutation qui s’appuie sur l’expérience est la seule digne de la foi la plus entière ; la connaissance des choses que l’on it condamnées tient alors lieu de la démonstration la plus complète. En outre, il est beaucoup de choses qui, bien qu’inutiles au salut, jrnent les discours de celui qui enseigne. Et d’ailleurs, l’érudition du maître qui cite les principaux dogmes des Grecs, le recommande à la confiance de ses auditeurs ; elle fait naître l’admiration dans l’esprit des catéchumènes et les prépare à l’intelligence de la vérité. Or, le charme de cette admiration qui amène les esprits studieux à la vérité, et que le vulgaire décrie, les convaincra que la philosophie ne corrompt nullement la vie humaine, bien qu’elle soit la cause de beaucoup de vices et d’erreur. Aussi quelques écrivains assurent à tort qu’elle est la vive image de la vérité et un don fait aux Grecs par Dieu même ; on les convaincra en outre que nous ne nous laissons pas entraîner loin de la foi par la philosophie, comme si nous étions fascinés par les prestiges de quelque art trompeur, mais que, pour ainsi dire, couverts d’un rempart plus solide, nous trouvons dans cette étude le moyen de donnera notre foi une démonstration plus entière. Bien plus, du contact de deux dogmes contraires que Ton compare entre eux, jaillit la vérité ; et de là une connaissance plus certaine. Car la philosophie ne s’est pas produite d’elle-même et pour elle-même ; elle n’existe que pour les fruits que l’on retire de la science, parce que la science des choses découvertes par l’esprit de l’homme affermit en nous la confiance que nous sommes dans la vérité. Je ne dirai pas que c’est à dessein qu’on a caché les semences de la science dans ces Stromates qui réunissent en un seul ouvrage les fragments nombreux de diverses doctrines. De même que l’homme passionné pour la chasse, après s’être mis en quête de l’animal qu’il veut atteindre, après en avoir découvert la piste et suivi les traces, après avoir lancé ses chiens sur lui, le prend enfin et le tue ; ainsi la vérité paraît douce à celui qui l’a cherchée longtemps et qui l’a découverte avec peine. Mais pourquoi vous a-t-il paru bon de disposer ainsi vos commentaires ? Parce qu’il est fort dangereux de révéler les mystères de la véritable philosophie à ceux qui, hardiment et à tout propos, veulent parler contre tout, et sans raison, et qui prodiguent les noms les plus grossiers, se trompant eux-mêmes, et éblouissant les yeux de ceux qui les entourent. « Car les hébreux demandent des miracles, comme dit l’apôtre, et les gentils cherchent la sagesse. »
CHAPITRE III.
Contre les sophistes et les prôneurs de la science inutile.
La foule des gens de cette sorte est nombreuse. Les uns, esclaves des plaisirs, et d’avance refusant de croire, se rient de la vérité digne de tant de respect, et Se font un jeu de ce qu’ils nomment son origine barbare. Les autres, enflés d’eux-mêmes, s’efforcent de découvrir dans nos paroles des sujets de [calomnie contre elle ; Ils élèvent des disputes sur tout ; ils cherchent des subtilités, ils usent à l’envi des plus petits moyens, querelleurs et pointilleux sur des riens, comme dit l’Abdéritain. Leur langue est pleine de volubilité, dit un poète, elle profère mille paroles de toutes sortes, et en fait partout une grande distribution. Et ailleurs : Il te faut entendre réponse à ce que tu as dit. Enflés de leur art, les malheureux sophistes, débitant à toute heure leurs propres mensonges, ç travaillant pendant leur vie entière à choisir des mots, à donner à leur style une tournure particulière, à arranger leurs phrases, se montrent plus bavards que des cigales ; ils caressent, ils flattent d’une manière peu convenable à des hommes, les oreilles de ceux qui les écoutent. Ce sont des fleuves et non de simples ruisseaux de paroles stériles, ils ressemblent à de vieilles chaussures. Tout est faible en eux et sans consistance, ils n’ont de bon que la langue. L’athénien Solon les a très-bien caractérisés lorsqu’il les attaque en ces termes :
La langue est tout pour vous, vous ne songez qu’aux paroles qui séduisent ; les actes ne vous importent nullement. Chacun de vous suit les traces du renard, et vous avec tous l’esprit vide et frivole. C’est ce que nous donne à entendre cette parole du Sauveur : « Les renards ont des tanières, mais le fils de l’homme n’a point où reposer sa tête. » Car c’est sans doute en celui qui croit, en celui qui a été entièrement séparé de ceux que l’Écriture nomme bêtes sauvages, que se repose la tête de celui par qui tout existe, « le Verbe doux et bienfaisant qui surprend les sages dans leurs propres artifices ; car le Seigneur pénètre seul les pensées des sages, et il en connaît la vanité. » L'Écriture donne ainsi le nom de sages aux sophistes qui ne s'occupent que. de mots et d'arts futiles. C'est de là que les Grecs eux-mêmes se sont aussi, par dérivation, servis a la fois du nom de sages et du nom de sophistes, pour désigner ceux qui se livrent avec ardeur à quelque étude que ce soit. C'est pourquoi Cratinus, faisant dans les Archiloques le dénombrement des poètes, dit : Vous avez bien examiné ce qu'étaient les sophistes ? Pareillement, le comique Jophon dit des rhapsodes et d'autres encore, dans Les joueurs de flûte et les satyres ?
« Une foule nombreuse de sophistes fit invasion chez nous. » C'est d'eux et de tous ceux qui, à leur exempte, se sont livrés à l'étude stérile d'une vaine éloquence, que l'Écriture dit avec raison : « Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la « science des savants. »
CHAPITRE IV.
Les arts humains ne sont pas moins sortis de la main de Dieu que la science des choses divines.
Homère donne à un simple artisan le nom de sage, c'est ainsi qu'il s'exprime sur un certain Margite :
« Les dieux n'en firent ni un cultivateur ou fossoyeur, ni un sage en quoi que ce soit ; il ne réussit en aucun art. »
Hésiode, après avoir dit que Linus le joueur de harpe était versé dans toutes sortes de sagesses, ne craint pas de nommer sage un matelot. Il ne montre, écrit-il, aucune sagesse dans la navigation. Que dit le prophète Daniel : « Les sages, les mages, les devins et les augures ne peuvent découvrir au roi te secret dont il s'inquiète ; mais il est un Dieu dans le ciel qui révèle les mystères. » Ainsi Daniel salue du nom de sages les savants de Babylone. Ce qui prouve clairement que l' Écriture tare enveloppe sous la même dénomination de sagessse toute science ou tout art profane, enfin tout ce que l’esprit de l’homme a pu concevoir et imaginer, et que toute invention d’art ou de science vient de Dieu ; ajoutons les paroles suivantes, elles ne laisseront aucun doute : « Et le Seigneur parla à Moïse en ces termes : Voilà que j’ai appelé Béséléel, fils d’Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda, et je l’ai rempli d’un divin esprit de sagesse, d’intelligence et de science, pour inventer et exécuter toutes sortes d’ouvrages, pour travailler l’or et l’argent, et l’airain, et l’hyacinthe, et le porphyre, et le bois de l’arbre qui donne l’écarlate, et pour exécuter tous les travaux qui concernent l’architecte et le lapidaire, et pour travailler les bois, etc. » Dieu poursuit de la sorte jusqu’à ces mots : « Et tous les ouvrages. » Puis il se sert d’une expression générale pour résumer ce qu’il vient de dire : « Et j’ai mis l’intelligence dans le cœur de tous les ouvriers intelligents ; » c’est-à-dire, dans le cœur de tous ceux qui peuvent la recevoir par le travail et par l’exercice. Il est encore écrit d’une manière formelle, au nom du Seigneur : « Et toi, parle à tous ceux qui ont la sagesse de la pensée, et que j’ai remplis d’un esprit d’intelligence. » Ceux-Jà possèdent des avantages naturels tout particuliers ; pour ceux qui font preuve d’une grande aptitude, ils ont reçu une double mesure, je dirai presque un double esprit d’intelligence. Ceux même qui s’appliquent à des arts grossiers, vulgaires, jouissent de sens excellents. L’organe de l’ouïe excelle dans le musicien, celui du tact dans le sculpteur, de la voix dans le chanteur, de l’odorat dans le parfumeur, de la vue dans celui qui sait graver des figures [sur des cachets. Mais ceux qui se livrent aux sciences ont un sentiment spécial par lequel le poète a la perception du mètre ; le rhéteur, du style ; le dialecticien, du raisonnement ; le philosophe, de la contemplation qui lui est propre. Car, c’est à la faveur de ce sentiment ou instinct qu’on trouve et qu’on invente, puisque c’est lui seul qui peut déterminer l’application de notre esprit. Cette application s’accroît à raison de l’exercice continu. L’apôtre a donc eu raison de dire que « la sagesse de Dieu revêt mille formes diverses, » puisque pour notre bien elle nous révèle sa puissance « en diverses occasions et de diverses manières, » par les arts, par la science, par la foi, par la prophétie. Toute sagesse vient donc du Seigneur, et elle est avec lui pendant tous les siècles, comme le dit l’auteur du livre de la sagesse : « Si tu invoques à grands cris l’intelligence et la science, si tu la cherches comme un trésor caché, et que tu fasses avec joie les plus grands efforts pour la trouver, tu comprendras le culte qu’il faut rendre au Seigneur, et tu découvriras la science de Dieu. » L’écrivain sacré la nomme ainsi pour la distinguer de la science philosophique ; science que d’ailleurs il nous invite en termes pompeux et magnifiques à chercher avec soin, pour avancer dans la connaissance du vrai culte et croître dans la piété ©avers Dieu. En regard de cette science philosophique, il a mis l’intelligence des devoirs qu’impose la piété, voulant ainsi désigner la science de la vraie religion, et il s’explique en ces termes : « Car, de la bouche du Seigneur se répandent à la fois le don de la sagesse et le don du savoir et de la prudence, et ce sont des secours que le juste amasse comme un trésor ; » car, ceux que la philosophie éclaire trouvent un secours caché qui est mis en réserve comme un trésor ; c’est elle qui les conduit au vrai culte et à la piété envers Dieu.
CHAPITRE V.
La philosophie est la servante de la théologie. Interprétation de l’histoire de Sara et d’Agar.
Avant la venue du Seigneur, [la philosophie était nécessaire aux Grecs pour les conduire à la justice ; maintenant encore elle est utile pour les conduire à la véritable religion ; elle sert d’instruction préparatoire à ceux dont l’esprit ne s’ouvre à la foi qu’après une démonstration préalable. Ton pied, dit l’ Écriture, ne chancellera pas, si tu rapportes à la providence divine tout ce qui est bon en toi, soit que tu le tiennes de la philosophie grecque ou de nos saints livres. Dieu est le principe de toutes les choses bonnes ; des unes immédiatement comme l’ancien et le nouveau Testament ; des autres secondairement, comme la philosophie. Peut-être même la philosophie a-t-elle été donnée aux Grecs au même titre que l’Écriture, avant que le Seigneur les appelât ; car elle aussi, elle a été un maître qui, de même que la loi pour les Hébreux, a conduit les Grecs comme des enfants à Jésus-Christ. La philosophie est donc une étude préparatoire ; c’est elle qui ouvre la route à celui que Jésus-Christ mène à la perfection. « Entoure ta sagesse d’un rempart, dit Salomon, et elle t’élèvera, et elle ornera ta tête d’une couronne d’honneur et de joie ; » lorsque tu auras élevé autour d’elle les murailles de la philosophie, et que, pour leur donner une plus forte assiette, tu n’auras rien épargné de ce que la vertu te permet, tu la conserveras inaccessible aux sophistes. Sans doute la vérité n’a qu’une voie ; mais d’autres ruisseaux lui arrivent de divers côtés, et se jettent dans son lit comme dans un fleuve éternel. Aussi Dieu nous dit : « Écoute, mon fils, et reçois mes paroles, afin que de nombreuses routes s’ouvrent devant toi dans la vie ; car je te montre les voies de la sagesse, afin que les sources ne tarissent pas, » les sources qui jaillissent du sol même. Le saint roi compte en cet endroit plusieurs voies de salut pour un seul juste, c’est ce qu’il fait entendre par ces paroles : « Les voies des justes brillent comme la lumière. » Les préceptes et les instructions préparatoires sont aussi des chemins et des ressources pour entrer dans la vie. « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule ses petits ? » Or, Jérusalem veut dire vision de la paix ; le Seigneur nous déclare donc d’une manière prophétique que ceux qui seront admis à contempler en paix les saints mystères, auront été préparés comme des enfants à cette sublime vocation. Quoi donc ? le Seigneur a voulu, mais il n’a pas pu ? Combien de fois et dans quel lieu ? Deux fois, par les prophètes et par sa venue. Ce mot, combien de fois, prouve donc que la sagesse divine prend des voies diverses, et que, par tous les moyens, quelle qu’en soit la forme particulière ou le nombre, elle nous sauve non-seulement pour le temps, mais pour l’éternité ; « car l’esprit du Seigneur remplit l’univers. » Que si l’on nous objecte ce passage de l’Écriture : « Ne prête pas l’oreille aux paroles de la femme perverse, car les lèvres de la courtisanne distillent le miel ; » et que l’on prétende, en forçant la signification des mots, que, par la courtisanne, l’Écriture désigne la science des Grecs ; que l’on écoute le verset qui vient ensuite : « Selon le temps, ses paroles sont onctueuses comme l’huile. » Or, la philosophie ne flatte pas. De quelle courtisanne l’Écriture veut-elle donc parler ? Elle la fait assez connaître lorsqu’elle ajoute : « Les pieds de la folie conduisent aux enfers après leur mort ceux qui l’écoutent ; ses démarches sont changeantes et ne laissent pas de traces. » Éloigne-toi de la folle volupté ; « ne te tiens pas auprès de la porte de sa maison, de peur qu’elle ne livre ta vie aux étrangers. » L’Écriture ajoute à l’appui de ses préceptes : « Tu te repentiras ensuite dans ta vieillesse, lorsque tes forces seront éteintes et ton corps épuisé ; » car telle est la fin des folles voluptés ; ainsi vont les choses. Mais lorsque l’Écriture nous dit : « Ne reste pas longtemps auprès de l’étrangère, > » elle nous conseille de faire usage de la science humaine, mais de ne pas nous y arrêter ; car les dons intellectuels qui ont été faits à chaque nation en temps convenable, sont pour elles toutes une instruction préalable, qui les disposait à recevoir le verbe du Seigneur. Cependant il y a des hommes qui, séduits par les charmes trompeurs des études préparatoires, qui ne sont que les servantes, ont dédaigné la maîtresse du logis, c’est-à-dire la philosophie, et ont vieilli, les uns dans la musique, les autres dans la géométrie ; d’autres dans la grammaire, la plupart, dans l’art oratoire. De même que les études encyclopédiques sont des degrés utiles pour arriver à la philosophie qui est leur souveraine, de même aussi la philosophie est une aide pour acquérir la vraie sagesse ; car la philosophie est un exercice préparatoire ; mais la sagesse est la science des choses divines et humaines, et des causes. La sagesse est donc la maîtresse de la philosophie, comme celle-ci est la maîtresse des études préparatoires ; car, si la philosophie fait profession de pratiquer la continence dans l’usage des sens, et s’il est beau de l’embrasser pour elle-même, elle paraîtra plus auguste et s’élèvera plus haut, si on l’embrasse pour honorer Dieu et arriver à sa connaissance. L’Écriture va nous fournir un témoignage pour confirmer ce que nous venons de dire : Sara, la femme d’Abraham, était depuis longtemps stérile ; comme elle n’enfantait pas, elle permit à Abraham de s’approcher de sa servante Agar, l’égyptienne, pour en avoir des enfants. Ainsi donc la sagesse, qui est la compagne du fidèle, c’est-à-dire d’Abraham qui fut réputé fidèle et juste, était encore stérile et sans enfants, puisqu’elle n’avait produit aucun fruit de vertu. Elle voulait donc avec raison que celui qui marchait déjà dans la voie du progrès s’approchât d’abord de la science mondaine (l’Égypte est le symbole qui représente le monde), et qu’ensuite s’approchant de la sagesse elle-même, il engendrât Isaac conformément à la volonté divine. Or, Philon prétend que le mot Agar signifie habitation voisine ; car il est dit à ce propos : « Ne reste pas longtemps auprès de l’étrangère. » Philon ajoute que le mot Sara signifie l’autorité dont je dépends. Toutes les études préparatoires peuvent donc conduire à la sagesse qui occupe le trône et par laquelle se multiplie la race d’Israël ; il est montré par là que la sagesse divine est un bien qui s’acquiert ; c’est à elle qu’Abraham est parvenu, en passant de la contemplation des choses ce « lestes à la foi et à la justice qui se rapportent à Dieu. Or, Isaac veut dire celui qui n’a pas eu d’autre maître que lui-même ; c’est pour cela qu’on le regarde comme la figure du Christ. Il fut le mari d’une seule femme, Rebecca, dont le nom signifie patience. On dit que Jacob lutta contre plusieurs adversaires, comme l’indique son nom qui veut dire : Qui s’exerce. Or, on ne trouve à s’exercer qu’au milieu du conflit des différentes doctrines ; c’est de là que Jacob reçut un autre nom, le nom d'Israël, qui signifie véritable voyant, parce qu'il fut éclairé par une longue expérience et par de longues épreuves. Ces trois aïeux du peuple juif nous offrent encore une autre interprétation, c'est que le sceau d'une science forte et solide résulte de la nature, de la doctrine et de la pratique. Thamar nous présente encore une autre image du principe que nous posons, Thamar qui vint s'asseoir â l'entrée d'un carrefour, et fit croire qu'elle était une courtisanne. Juda, qui possédait l'amour de la science (son nom signifie qui peut), qui n'a rien laissé sans l'examiner, sans l'étudier à fond, considéra Thamar et s'approcha d'elle, mais sans cesser de confesser Dieu. C'est par le même motif que voyant la jalousie de Sara contre Agar, qui était plus honorée que sa maîtresse, Abraham aussi qui n'avait pris dans la philosophie humaine que ce qu'elle renferme d'utile, dit à Sara : « Voilà ta servante entre tes « mains, fais d'elle ce que tu voudras ; » comme s'il disait : j'ai pris la science du siècle comme la plus jeune et comme une simple servante ; mais votre science je la respecte et l'honore comme la vraie maîtresse. Et Sara affligea l'Égyptienne ; c'est comme s'il y avait : la corrigea et la réprimanda. Il a donc été dit avec raison : « Mon fils, n'oublie pas les enseignements de Dieu ; ne te rebute pas devant ses réprimandes ; car le Seigneur châtie celui qu'il aime. Tous ceux de ses enfants qu'il recevra dans le ciel, il les frappe ici-bas. » Envisagés sous un autre jour, les passages des Écritures dont nous venons de parler, présentent l'explication d'autres mystères ; mais ils peuvent aussi très-bien signifier que la philosophie est la recherche de la vérité et de la nature des choses ; et la vérité c'est Dieu lui-même, ainsi qu'il l'a dit : Je suis la vérité. Ils nous font aussi comprendre que les doctrines qui précèdent le repos dont le Christ est le centre, exercent l'esprit et éveillent l'intelligence, en faisant naître une ardeur et une sagacité propres à rechercher la vérité avec l'aide de la véritable philosophie que les initiés dans les choses saintes ont trouvée, ou plutôt qu'ils l'ont reçue de la vérité elle-même.
CHAPITRE VI
C’est l’éducation, non la nature, qui le plus souvent nous rend vertueux. La science est d’un grand secours pour nous porter à la vertu.
Cette ardeur est d’un grand secours pour s’élever à la contemplation des choses qu’il faut étudier. Or, les choses perceptibles à l’intelligence sont de trois natures différentes : Les quantités distinctes, les quantités continues, et les pensées à formuler par la parole. L’ensemble de preuves qui en résulte produit dans l’esprit de l’auditeur une foi si solide, qu’il n’a pas même la pensée que ce qu’on lui a démontré puisse être autrement ; et l’effet est d’empêcher que le néophyte ne succombe aux séductions des sophistes. Ainsi donc, par ces études préalables, l’âme se dégage des sens, s’embrase, se purifie, afin de pouvoir tôt ou tard pénétrer jusqu’à la vérité. Cette éducation de l’esprit, ces heureuses connaissances que l’on conserve créent de bonnes natures, qui vont toujours s’améliorant pour en produire d’autres encore meilleures qu’elles-mêmes, ainsi qu’il arrive dans la reproduction des autres êtres. Voilà pourquoi il est dit : Paresseux, va vers la fourmi, et deviens plus sage qu’elle. Durant la moisson, elle met en réserve, pour braver les menaces de l’hiver, une abondante nourriture, composée de provisions de toute espèce ; ou bien encore : Va vers l’abeille, vas apprendre quelle est son ardeur au travail ; elle-même, dépouillant de leur suc toutes les fleurs de la prairie, en forme un seul rayon. Mais, si vous priez dans votre chambre, pour obéir au Seigneur, qui nous a dit de l’adorer en esprit, ce n’est plus seulement de l’administration de votre maison que vous devez vous occuper, c’est de l’administration de votre âme. Il faut examiner ce que vous lui donnerez, quand et comment vous le lui donnerez ; quelles choses vous lui tiendrez en réserve ou vous amasserez en elle ; car ce n’est pas la nature, mais l’éducation qui nous rend bons et honnêtes, comme elle fait les médecins et les pilotes. Tous, nous voyons également la vigne et le cheval ; mais le laboureur sait si la vigne peut ou non produire, et le marchand de chevaux reconnaît facilement si le cheval qu’il a devant les yeux est lent ou rapide. Sans doute les résultats obtenus dans certaines études par ceux qui tiennent de la nature des facultés supérieures, nous montrent qu’il est des hommes dont l’esprit est naturellement plus propre que d’autres à la vertu ; mais ils ne prouvent nullement que la perfection de la vertu se trouve dans ces organisations privilégiées, puisque ceux même qui sent doués d’une nature contraire à la vertu parviennent à la pratique des vertus les plus éminentes, s’ils obtiennent et reçoivent les enseignements convenables ; tandis que, d’autre part, ceux dont la nature était propre a la vertu tombent dans le vice par le défaut d’éducation et par la négligence. En nous créant, Dieu a mis en nous les principes de la justice et nous a faits pour la société ; mais ce n’est pas à dire pour cela que le juste se forme par l’effet seul de ce don originel. Il faut admettre que l’éducation fait jaillir en nous les étincelles de bien que le Créateur y a déposées ; notre âme apprenant d’un maître à choisir le bien et à le préférer au mal. Mais de même que sans étude on peut être fidèle, de même sans être instruit de la foi on peut comprendre tout ce qu’elle enseigne. Ce n’est pas la foi pure et simple, mais la foi appuyée sur la science, qui sait admettre les saines doctrines et rejeter les mauvaises. Mais si l’on m’objecte que l’ignorance et le défaut d’instruction donnent, aussi bien que la science, l’intelligence des choses divines et humaines, je répondrai : De même que l’on peut bien vivre dans la pauvreté, on peut également bien vivre au milieu des richesses. Et nous disons encore qu’avec le secours d’une instruction préalable, on s’avance plus rapidement et plus facilement dans la carrière de la vertu, bien qu’on puisse arriver au terme sans un pareil secours. Mais que ne peuvent pas ceux qui ont été pourvus de ce secours, et qui ont l’intelligence plus exercée ! « Les contestations allument la haine, dit Salomon, mais la science garde les voies de la vie 5 afin que nous ne soyons ni trompés, ni circonvenus à notre insu par les artifices de ceux qui ne cherchent qu’à perdre leurs auditeurs. Quiconque dédaigne la science, erre çà et là. » Il faut donc étudier la dialectique pour repousser les arguments captieux des sophistes. Et Anaxarque, surnommé l’heureux, a eu raison d’écrire dans son livre de la Royauté : « Une grande érudition peut être fort utile à celui qui la possède ; elle peut également lui être fort nuisible. Elle est utile à celui qui en est digne ; elle est nuisible à celui qui la prodigue à la foule, sans choix et sans retenue. Il faut savoir parler à propos ; telle est la fin de la sagesse. Mais tous ceux qui haranguent sur les places publiques, leur bouche prononçât-elle les choses les plus sensées, ne sont pas réputés sages ; ils font acte de folie. » Hésiode a dit que « Les muses donnaient au poète la fécondité, l’inspiration, la voix retentissante. » Il entend par la fécondité, l’abondance des paroles ; par la voix retentissante, la force et la véhémence ; et par l’inspiration divine, l’expérience du vrai philosophe, la connaissance de la vérité.
CHAPITRE VII
La philosophie ouvre à l’homme une route vers le ciel. Elle n’est pas particulière à une secte, mais ecclectique.
Il est donc évident que les études préparatoires des Grecs nous viennent de Dieu avec la philosophie elle-même, non pas comme but principal, mais comme les eaux de la pluie qui tombent indistinctement sur la bonne terre, sur le fumier et sur le toit des maisons. L’herbe et le froment poussent de la même manière ; le figuier croît même sur les tombes ; et s’il est quelque arbre encore plus hardi, il s’élève aussi. Et ces productions du hasard ont quelquefois plus d’apparence que les véritables, car elles participent également aux bienfaits de la pluie ; mais elles n’ont pas le même privilége que les productions nées dans le sol fertile, puisqu’elles sèchent et qu’on les arrache. La parabole de la semence, expliquée par notre Seigneur, revient très-bien à notre sujet. Le seul laboureur du champ qui est dans l’homme, c’est celui qui, depuis la création du monde, répand d’en haut les semences nutritives, celui qui, dans tous les temps, a fait pleuvoir sur les hommes le verbe divin. Mais la différence des temps et des sols qui l’ont reçu est la cause des différences qui se trouvent entre les productions sorties du même germe. Et d’ailleurs le laboureur ne sème pas seulement du froment (bien qu’il en existe de plusieurs sortes), il sème encore de l’orge, des fèves, des pois, et la graine des légumes et des fleurs que l’on cultive dans les jardins. C’est la même agriculture qui s’occupe des plantations, des jardins et des vergers, enfin, des soins qui font naître et qui nourrissent toutes sortes d’arbres. Da même il n’y a pas seulement la science de faire paître les brebis ; il y a encore celle de faire paî ! re les bœufs, celle de nourrir et de dresser les chevaux et les chiens, celle d’élever les abeilles ; et pour tout dire en un mot, celle de soigner les troupeaux et de nourrir les animaux ; toutes sciences qui diffèrent plus ou moins les unes des autres, mais qui sont toutes utiles à la vie d’ici-bas. Je ne donne le nom de philosophie, ni à la doctrine stoïcienne, ni à celle de Platon, ni à celle d’Épicure, ni à celle d’Aristote ; mais seulement au choix qui se compose des meilleures maximes professées par chacune de ces écoles sur la justice, la science et la piété. Tout ce que les sophistes ont pris à la philosophie humaine en l’altérant, je n’en ferai jamais l’ouvrage de Dieu. Voyons ceux qui n’ont pas la science de bien vivre : il leur arrive parfois de faire le bien ; mais il en est qui marchent avec connaissance de cause vers la parole de vérité, comme vers un but. Or, Abraham n’a pas été justifié par ses œuvres, mais par sa foi. Ainsi donc, toutes leurs bonnes œuvres ne leur serviront de rien pour le salut, s’ils n’ont pas eu la foi. Dieu a permis que les saintes Écritures fussent traduites en grec, afin de leur ôter tout prétexte d’avoir ignoré la vérité qu’il leur était facile de connaître, il leur suffisait de le vouloir. Autre chose est d’entendre discourir quelqu’un sur la vérité, autre chose est d’entendre la vérité s’expliquer elle-même. Autre chose est d’avoir une conjecture sur la vérité, autre chose est de la posséder ; autre chose est l’image, autre chose est la réalité. Il est une science qui s’obtient par le travail ; il en est une qui est le fruit de la foi. La doctrine qui nous enseigne la piété est un don, comme la foi est une grâce ; dès lors que nous faisons la volonté de Dieu, nous la connaissons. « Ouvrez-moi donc, dit l’Écriture, les portes de la justice, afin que j’y entre et que je célèbre le Seigneur. » Mais les voies qui mènent à la justice sont nombreuses et variées (car Dieu, dans sa bonté, emploie divers moyens pour sauver les hommes), et tous nous conduisent à la voie et à la porte du Seigneur. Si vous demandez la voie royale et avouée par Dieu même, il vous sera répondu : « Voici la porte du Seigneur, c’est par elle que les justes entreront. » Toutes les portes de la justice aboutissent à celle qui mène au Christ, et dans laquelle tous les bienheureux sont entrés et ont marché selon la sainteté et la science. Saint Clément, dans son épître aux Corinthiens, fait en ces termes l’énumération des différentes voies que suivent ceux que l’Église honore : « Que l’un soit simple fidèle, qu’un autre sache expliquer les vérités saintes ; que celui-là soit habile dans le « choix des paroles ; que celui-ci étonne par ses œuvres. »
CHAPITRE VIII.
L’art du sophiste, et généralement tous les arts qui ne traitent que des mots, ne doivent pas être regardés comme utiles.
L’art du sophiste, art dont les Grecs ont toujours fait le plus grand cas, est une puissance factice qui agit sur l’imagination, et qui par la multitude des paroles produit l’erreur et la donne pour la vérité. La rhétorique pour convaincre, la dispute pour l'emporter dans une discussion, voilà ses moyens. Les arts qui ne sont pas unis à la saine philosophie sont funestes à quiconque veut s'en servir. C'est pourquoi Platon dit positivement que la sophistique est un art pernicieux. Aristote est du même avis ; il déclare qu'elle est l'art de tromper, puisqu'elle usurpe les fonctions de la sagesse, et qu'elle se donne pour la sagesse elle-même, à l'étude de laquelle elle ne s'est jamais livrée. La rhétorique a pour principe ce qui est probable ; pour moyen, l'argument ; pour fin, la persuasion : l'art de la dispute a pour principe ce qui est vraisemblable ; pour moyen, la discussion ; pour fin, la victoire. La sophistique aussi a pour principe le vraisemblable, mais son mode est double : l'un rentre dans la rhétorique, et emploie la forme du discours suivi ; l'autre rentre dans la dialectique, et emploie la forme interrogative ; son but est l'admiration, l'étonnement. Enfin cette dialectique tant vantée dans les écoles, n'est qu'un exercice philosophique sur des choses d'opinions, dans la vue de contredire et de se rendre habile dans la dispute. C'est donc avec raison que le grand apôtre, exprimant son mépris pour ces arts inutiles qui ne s'occupent que des mots, a dit : « Si quelqu'un ne se rend point aux saines paroles, c'est qu'il est enflé de quelque vaine doctrine, orgueilleux qui ne sait rien, mais dont l'esprit malade s'arrête à des questions et à des disputes de mots, d'où naissent les contestations, les jalousies, les médisances, les mauvais soupçons, les vaines disputes des hommes dont l'intelligence est dépravée, et qui sont privés de la vérité. » Vous voyez comment l'apôtre les traite ; il nomme maladie cette dialectique dont se glorifient les sophistes grecs ou barbares qui se plaisent dans cette loquacité si dangereuse. Ces paroles que le poète tragique Euripide met à la bouche d'un de ses personnages, dans les Phéniciennes, sont dignes de remarque :
« Un discours contraire à la justice est malade au fond ; il a besoin des remèdes de la sagesse. »
La parole du salut est appelée parole saine, parce qu'elle est elle-même la vérité. Or, ce qui est toujours sain est immortel. Mais tout ce qui s'en éloigne est impiété et maladie mortelle.
Ces sophistes sont des loups ravissants, couverts de la peau des brebis, des hommes qui trafiquent de leurs semblables, d’éloquents séducteurs ; ils volent en secret, et il est facile de convaincre de vol ces hommes qui mettent tout en œuvre pour s’emparer par ruse et par force de ceux qui n’aiment pas leur vain partage et qui n’ont pas leur habileté. Écoutez ce que dit un poète tragique :
« Il arrive souvent qu’un homme qui n’a pas le don de l’éloquence produit avec un discours, fort de raisons moins d’effet qu’un homme éloquent. De nos jours on couvre d’un fleuve de paroles les choses les plus vraies, afin d’empêcher la vérité d’apparaître. »
Ainsi font ces sophistes ergoteurs, soit qu’ils suivent les opinions d’une secte, soit qu’ils s’exercent à je ne sais quelle misérable dialectique. « Ce sont eux, dit l’Écriture, qui enlèvent du métier la trame du tisserand ; mais ils n’en ourdissent pas ; » ils s’épuisent en efforts inutiles dans le travail que l’apôtre appelle « malice et adresse propre à jeter dans les piéges de l’erreur. Car, il y en a plusieurs, dit-il encore, qui ne veulent point se soumettre, qui s’occupent à conter des fables et à séduire les âmes. » Il n’a donc pas été dit à tous : « Vous êtes le sel de la terre. » Car, même parmi ceux qui ont reçu l’enseignement de la divine parole, il en est qui ressemblent aux poissons de la mer, qu’il faut assaisonner avec du sel, bien que dès leur naissance ils aient vécu dans l’eau salée. C’est pourquoi je souscris pleinement à ces paroles du poète tragique :
« Ô mon fils, souvent un discours habilement composé n’est qu’un mensonge ; et par les charmes du style, il l’emporte sur la vérité. Ce n’est pas là ce qu’on doit estimer le plus, c’est le caractère et la droiture. Sans doute, l’homme qui possède le don de la parole fait preuve de mérite et d’habileté ; mais pour moi je préférerai toujours les choses mêmes aux plus belles paroles. »
Il ne faut donc pas désirer plaire à la foule ; nos études, nos sciences n’ont rien qui lui soit agréable, elles sont même bien loin de ses goûts. « Ne soyons point, dit l’apôtre, amateurs de la vaine gloire ; nous provoquant les uns les autres, et nous portant envie les uns aux autres, » C’est pour cela que Platon, cet ami de la vérité, a dit, comme inspiré par Dieu lui-même : « Voilà mon caractère, je ne me rendrai jamais qu’à la raison qui, après examen, m’aura paru la meilleure. » Il blâme donc ceux qui, sans connaître et sans réfléchir, ajoutent foi aux premières doctrines venues. Il n’est pas permis d’abandonner la droite et saine raison pour croire à des paroles mensongères. S’écarter de la vérité est mal ; mais dire la vérité et n’émettre que des idées justes, est bien. Or, c’est malgré eux que les hommes se voient privés de ce qui leur est utile ; ils perdent de précieux avantages, soit par la ruse, soit par la séduction, soit par la violence, soit enfin par leur manque de foi. Celui qui a cru n’est surpris que parce qu’il le veut bien ; il change, il se laisse prendre aux piéges, parce qu’il n’est point sur ses gardes, qu’il oublie que, faute de vigilance, le temps et notre raison laissée à elle-même suffisent pour nous ravir nos convictions. Souvent aussi un moment de dépit, d’angoisse, de contension ou de colère font rejeter le sentiment que l’on avait d’abord adopté. Ceux que la volupté séduit ou que la crainte effraie, sont facilement dupes de l’erreur. Mais la volonté est toujours pour beaucoup dans ces changements ; la vraie science n’est sujette’à aucune de ces vicissitudes.
CHAPITRE IX.
Pour bien comprendre les Écritures, les sciences qui se rapportent à la philosophie sont absolument nécessaires.
Il est des hommes qui, se croyant heureusement nés, pensent n’avoir besoin de se livrer ni à l’étude de la philosophie, ni à l’étude de la dialectique, ni même à la contemplation de la nature, et qui ne demandent que la foi pure et simple. C’est comme si, n’ayant pris aucun soin de la vigne, ils voulaient, aussitôt après l’avoir plantée, en avoir des fruits. Or, le Seigneur est appelé vigne dans un sens figuré, et c’est lui-même qui doit cueillir le fruit quand la vigne a été cultivée avec soin, et cette culture se fait par la parole. Il faut la tailler, la bêcher, la lier, faire tous les autres travaux. Pour la culture de la vigne, il est besoin, ce me semble, et de la serpe, et du hoyau, et des autres instruments aratoires, afin qu’elle donne de bons fruits. En agriculture, en médecine, on n’est habile qu’autant qu’on a étudié les sciences diverses, dont le but est d’apprendre à mieux cultiver la terre, ou à mieux guérir ; de même, en fait de religion, on n’est solidement instruit qu’autant qu’on rapporte tout à la vérité ; qu’on prend à la géométrie, à la musqué, à la grammaire, à la philosophie, ce qu’elles ont d’utile pour en faire le soutien de la foi et la mettre à l’abri de tous les piéges. Nous l’avons déjà dit, on méprise l’athlète qui ne s’est point exercé dans des luttes préparatoires. N’accordons-nous pas des éloges au pilote expérimenté qui a vu beaucoup de peuples et beaucoup de villes, et au médecin qui a traité beaucoup de malades ? C’est pour cela qu’on l’appelle empirique, c’est-à-dire qui a plus d’expérience. Celui qui rapporte tout à la vertu, soit qu’il emprunte sa science à la philosophie grecque, soit qu’il la tire de la philosophie barbare, est un véritable ami de la vérité qui la recherche de bonne foi. Il est comme la pierre de touche, autrement dite pierre de Lydie, par le moyen de laquelle on reconnaît, dit-on, For pur de l’or qui contient de l’alliage. Un homme de science et d’expérience sait distinguer la sophistique, de la philosophie ; la gymnastique d’un art d’agrément ; l’art culinaire, de la médecine ; la rhétorique, de la dialectique ; enfin toutes les erreurs qui se trouvent dans la philosophie barbare, de la vérité elle-même. Combien il importe pour celui qui veut se faire une grande idée de la puissance de Dieu, de s’occuper, par l’étude de la philosophie, des choses qui sont du domaine de la raison ? Combien n’est-il pas utile de savoir discerner le sens véritable de certains endroits difficiles et équivoques qui se trouvent dans l’ancien et dans le nouveau Testament ? C’est par une expression amphibologique que le Seigneur, quand il fut tenté, mit satan en défaut. Et je ne vois plus dès lors comment l’on pourrait attribuer à satan, comme plusieurs le font, l’invention de la philosophie et de la dialectique, puisqu’il s’est lui-même laissé mettre en défaut par un terme équivoque. Quand bien même les prophètes et les apôtres n’auraient pas connu les sciences qui sont du ressort de la philosophie, il n’en est pas moins vrai que le sens allégorique de beaucoup de passages obscurs ne peut, sans le secours des sciences en question, être expliqué clairement. Les prophète » et les apôtres ont eu, il est vrai, l’intelligence « des Écritures sans le secours de la philosophie, mais ils étaient instruits par l’Esprit saint, et c’est de lui qu’ils ont appris la doctrine qu’ils nous tout enseignée. Mais ceux qui n’ont pas été instruits de la même manière ne peuvent saisir le sens des Ecritures aussi facilement : « Écris deux fois mes préceptes, dit « le Seigneur, en toi-même, par la volonté et par la science nécessaires pour répondre des paroles de vérité à ceux qui t’interrogeront. » Or, quelle est la science de répondre, ou quelle est la science d’interroger ? La dialectique elle-même. Mais quoi I La parole aussi n’est-elle pas un acte, et l’acte ne procède-t-il pas de la raison ? Car, si la raison n’était pas le principe de nos actions, nous agirions comme les brutes. Or, l’acte qui procède de la raison, est conforme à la volonté de Dieu ; « et rien, dit l’apôtre, n’a été fait sans lui, c’est-à-dire « sans le Verbe divin, sans la raison. » Le Seigneur aussi n’at-il pas tout fait par le Verbe ? tandis que les bêtes travaillent sous l’impulsion irrésistible de la crainte. Mais ceux que l’on nomme orthodoxes se porteraient-ils vers des œuvres louables, sans savoir ce qu’ils font ?
CHAPITRE X.
Il faut plutôt s’appliquer à bien faire qu’à bien dire.
C’est pour cela donc que le Sauveur, après avoir pris le pain, a parlé d’abord et rendu grâces ; puis, après avoir rompu le pain, l’a placé devant nous pour en faire notre nourriture spirituelle, et que les saintes Écritures une fois connues, l’obéissance devint la règle de notre conduite. Or, de même que celui qui profère de mauvais discours, ne diffère en rien de celui qui commet une action mauvaise (car la calomnie est une sorte de glaive, et la médisance enfante la douleur, et la douleur et le glaive frappent de mort ; et voilà l’effet des mauvais discours) ; de même aussi celui qui n’en tient que de bons touche de près à celui qui fait de bonnes actions. La parole régénère donc l’âme et la porte à la vertu. Heureux celui qui est également adroit des deux mains ! Pourtant, celui qui a le don de la parole ne doit pas mépriser celui qui a le don des œuvres ; pas plus que celui-ci ne doit blâmer l’autre. Que chacun d’eux accomplisse la tâche pour laquelle il est né. Que l’un montre ses œuvres, et que l’autre parle ; le premier ouvrant la route par son exemple, le second portant ses auditeurs à bien faire. Car les paroles sauvent comme les œuvres. Sans les paroles, pas de justice. Mais, de même qu’il n’y a plus de bienfaits où il n’y a plus de bienfaiteurs ; de même il n’y a plus d’obéissance ni de foi, si l’on n’admet point ensemble et le précepte et celui qui doit l’expliquer. C’est ainsi qu’en nous entr’aidant, nous sommes riches en paroles et en œuvres. Mais il faut repousser la sophistique et tout esprit de contention. Les phrases des sophistes, non-seulement aveuglent et séduisent la plupart de ceux qui les écoutent, mais parfois respirent la violence et remportent une victoire à la Cadmus. Cette parole du psalmiste est de la plus grande vérité : « Le juste vivra jusqu’à la fin, et il ne verra point lui-même la mort, tout en voyant les sages mourir. » Qui désigne-t-il par ce nom de sages ? Apprenez-le du livre de la sagesse : « L’habileté dans le mal n’est pas la sagesse. » Il veut dire l’habileté née de l’art oratoire et de la dialectique. « Cherchez la sagesse dans l’esprit des méchants et vous ne la trouverez pas. » Et si vous demandez encore où est cette sagesse, il vous sera répondu : « La bouche du juste distille la sagesse. » C’est une équivoque quand on donne le nom de sagesse à la sophistique comme à la vérité. Pour mot, le seul but que je me propose, et avec raison, je crois, c’est de vivre selon le Verbe, et de comprendre l’esprit de ses préceptes ; c’est de ne jamais m’inquiéter de bien dire, et d’être content si je parviens à faire comprendre ce que je comprends. Peu m’importe le style pourvu que je rende bien la pensée que je veux exposer. L’essentiel, à mes yeux, c’est de sauver ceux qui désirent être sauvés, c’est de coopérer à leur salut, et non pas d’arranger des mots, comme on ajuste des colifichets de toilette. « Si tu ne t’inquiètes pas trop des mots, dit un pythagoricien, dans le Politique de Platon, la sagesse sera ton trésor aux jours de ta vieillesse. » On lit encore dans le Theætète : « La négligence dans le style et l’incorrection ne doivent pas être considérées comme les défauts d’un homme sans goût ; c’est plutôt la manière opposée, indigne d’un homme libre. Car, celle dont nous parlons est quelquefois une nécessité. » C’est ce que l’Écriture nous dit d’une manière bien précise : « Ne vous appesantissez pas trop sur les mots, dit-elle, car le style est aux choses ce que les vêtements sont au corps, les choses sont tes « chairs et les muscles. » Il ne faut donc pas que le soin du vêtement passe avant le salut du corps. Car, lorsqu’on a embrassé la vie de la vérité, il ne suffit pas d’être frugal dans son régime, il faut en outre écarter de ses paroles toute recherche et tout ornement superflu ; si toutefois nous repoussons le faste et la mollesse, à cause des piéges qu’ils renferment, et des excès dont ils sont la source ; si nous les repoussons, dis-je, comme les anciens Lacédémoniens proscrivaient les essences et la pourpre, comme des vêtements trompeurs et des parfums mensongers. Car ce n’est pas un mets bien préparé que celui où il entre plus d’assaisonnements que de choses nutritives ; et ce n’est un discours ni utile, ni convenable, que celui qui est plus propre à plaire qu’à profiter à ceux qui l’écoutent. Pythagore nous exhorte à préférer les muses aux Syrènes, nous enseignant à écarter la volupté de la sagesse, la regardant comme une amorce trompeuse qui perd et séduit l’âme. Il s’est rencontré tout au plus un homme dont le vaisseau a passé sans danger à côté des Syrènes, et un autre qui a pu expliquer l’énigme du Sphinx ; il n’y en a pas eu même un, si vous le voulez. Il ne faut donc pas élargir ses phylactères par un désir de vaine gloire. Le gnostique n’eût-il même trouvé qu’un seul auditeur, c’est assez pour lui. Ces paroles du poète thébain peuvent ici trouver leur place : « Ne faites pas jaillir à tous les « yeux la source des traditions antiques. » Le silence est quelquefois plus sûr. Souvent le meilleur discours est un aiguillon de combat. Aussi est-ce avec raison que le bienheureux apôtre nous recommande expressément « de ne point nous livrer à des disputes de paroles qui ne servent qu’à pervertir ceux qui les écoutent, et de fuir les vains discours des séducteurs. Car ils contribuent beaucoup à l’impiété, et leur doctrine est comme la gangrène qui répand insensiblement sa corruption. »
CHAPITRE XI.
Quelle est la sagesse et la philosophie que l’apôtre nous exhorte à fuir.
Cette sagesse de l’homme est donc une folie aux yeux de Dieu, et le Seigneur pénètre les pensées de ces sages, et il en connaît la vanité. Que personne donc ne se glorifie de l’emporter en sagesse sur les autres ; car c’est avec raison qu’il est écrit dans Jérémie : « Que le sage ne se glorifie point dans sa sagesse, que le fort ne se glorifie point dans sa force, que le riche ne se glorifie point dans sa richesse ; mais que celui qui se glorifie, se glorifie de me connaître et de savoir que je suis le Seigneur qui fais miséricorde et jugement et justice sur la terre, parce que telle est ma volonté, dit le Seigneur. » « Ne mettons point notre confiance en nous-mêmes, dit l’apôtre, mais en Dieu qui ressuscite les morts, lequel nous a délivrés des mains d’une telle mort ; afin que « notre foi ne soit pas établie sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ; car l’homme spirituel juge de tout et n’est jugé par personne. » Je comprends aussi ces paroles rôles du même apôtre : « Or, je dis ceci, afin que personne ne vous séduise par la subtilité des discours, et que le ravisseur ne s’introduise pas furtivement dans votre esprit. » L’apôtre dit encore : « Prenez garde que quelqu’un ne vous séduise par la philosophie et par de vaines subtilités, selon les traditions des hommes, selon les éléments de ce monde, et non selon Jésus-Christ. « L’apôtre ne s’élève pas là contre toute espèce de philosophie, mais contre celle d’Épicure, qui rejette la Providence et déifie la volupté (philosophie dont Paul a fait aussi mention dans les actes des apôtres) ; et contre toute autre philosophie qui rend un culte aux éléments, ne reconnaît point de cause première, et ne s’élève pas jusqu’à l’idée d’un Créateur. Les stoïciens dont le même apôtre a fait également mention, ne sont pas plus dignes d’éloges lorsqu’ils disent que Dieu est un corps, puisqu’il s’unit à la plus vile matière. L’apôtre nomme traditions humaines les subtilités de la logique ; c’est pourquoi il ajoute encore : « Fuyez les questions de jeune homme, » car de pareils débats sont puérils. Or, ce n’est point là ce qu’aime la vertu, dit le philosophe Platon ; et, selon Gorgias le Léontin, il nous faut deux vertus pour le combat que nous avons à soutenir, l’intrépidité et la sagesse : l’intrépidité, pour faire face au danger ; la sagesse, pour comprendre le sens caché des choses ; car le Verbe, comme le héraut d’armes aux jeux olympiques, appelle quiconque veut combattre, mais il ne couronne que celui qui n’a pu être vaincu ; le Verbe ne veut pas que celui qui a cru demeure oisif. « Cherchez, dit-il, et vous trouverez. » Il nous assure donc que cette recherche a pour fin la découverte, quand on rejette les futilités et qu’on s’applique à la contemplation qui fortifie en nous la foi. « Or, je dis « ceci, dit l’apôtre, afin que personne ne vous séduise par la a subtilité des discours ; « instruits que vous avez été à les apprécier à leur juste valeur, et à repousser toutes les vaines objections. « Marchez donc dans les voies de Jésus-Christ, notre Seigneur, selon ce que vous avez appris de lui, enracinés en lui, édifiés en lui comme sur un fondement, et affermis dans la foi. » Or, c’est la persuasion qui affermit la foi. « Prenez garde que quelqu’un ne vous détourne de la foi au Christ par la philosophie vaine et subtile, qui rejette la Providence et qui s’appuie sur les traditions des hommes. » Car la philosophie, qui s’appuie sur la tradition divine, élève et affermit le dogme de la Providence. Enlevez la Providence, et le gouvernement du Sauveur ne paraît plus qu’une fable, puisque dès lors ce sont les éléments > et non le Christ, qui nous régissent. La doctrine conforme à celle du Christ, enseigne que c’est Dieu qui a tout créé, et fait descendre l’action de sa providence jusque dans les moindres choses, et sait que le propre de la nature des éléments est de naître ou de changer. Elle nous dit encore que le but de Dieu, par sa providence qui gouverne tout, c’est de nous rendre semblables à lui et de placer ce principe à la tête de tout enseignement. Diogène, Thaïes, Hippasus, et certains hommes impies et misérables, qui usurpent le nom de philosophes, se livrent aux plaisirs, et posent pour principes les atomes ; ces faux philosophes, dis-je, adorent les éléments ; Diogène, par exemple, l’air ; Thaïes, l’eau ; Hippasus, le feu. « C’est pourquoi, dit l’apôtre, je prie Dieu que votre charité croisse de plus en plus en science et en sagesse, pour que vous puissiez faire l’essai des choses qui sont les meilleures. Car, lorsque nous étions encore enfants, nous étions assujettis aux éléments de ce monde. Or, l’enfant bien qu’il soit héritier, ne diffère en rien du serviteur, jusqu’au temps marqué par son père. » Les philosophes aussi sont donc des enfants, à moins que la doctrine du Christ ne les fasse devenir hommes. » Car, si le fils de la servante ne doit pas hériter avec le fils de la femme libre, » toujours est-il qu’il est vraiment cet enfant d’Abraham, qui n’est point l’enfant de la promesse, et qui a reçu sa part. « Mais la nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l’esprit, par un long exercice, s’est accoutumé à discerner le bien et le mal ; car, quiconque n’est nourri que de lait est incapable d’entendre la doctrine de la justice, parce qu’il est encore enfant, » et qu’il ne comprend pas la parole selon laquelle il a cru, et selon laquelle il agit, et parce qu’il ne peut en rendre raison : « Au reste éprouvez tout, et attachez-vous à ce qui est bon, » dit l’apôtre aux hommes spirituels, qui examinent si les choses qui leur sont dites au nom de la vérité n’ont que l’apparence de la vérité, ou si elles la renferment réellement. « Celui qui dédaigne la discipline erre ça et là, et la verge et la réprimande inspirent la doctrine ; » évidemment, la réprimande jointe à la charité. « Car un cœur droit cherche la connaissance ; et celui qui cherche Dieu trouve la connaissance avec la justice ; et ceux qui ont cherché la connaissance avec droiture ont trouvé la paix. « Et je connaîtrai, dit l’apôtre, non les paroles orgueilleuses, mais la vertu. » S’élevant contre ceux qui, sages en apparence, croient l’être et ne le sont pas, il écrit : « Le royaume de Dieu ne consiste pas dans les paroles, » dans celles qui ne sont pas conformes à la vérité, mais qui n’en offrent qu’un faux semblant ; il consiste dans l’efficacité des paroles, dit l’apôtre ; car il n’y a que la vérité qu| soit efficace. Il dit encore : « Si quelqu’un se flatte de savoir quelque chose, il ne sait pas même encore de quelle manière il faut savoir ; » la vérité n’est point une affaire d’opinion, et l’opinion qu’on a de sa propre connaissance enfle et remplit d’orgueil, mais la charité édifie, parce qu’elle ne consiste pas dans l’opinion de soi-même, mais dans la vérité. De là, « si quelqu’un aime Dieu, il est connu de Dieu, » dit l’apôtre.
CHAPITRE XII.
Il ne faut pas dévoiler au premier venu les mystères de la foi.
Chacun n’est pas apte à entendre la vérité : cependant, comme la tradition divine ne frappe pas seulement les oreilles de celui qui comprend la majesté de la parole, mais qu’elle s’adresse également à tous, il faut envelopper d’un voile la sagesse qui est révélée d’une manière mystérieuse, et que le fils de Dieu a enseignée. C’est ainsi que le prophète Isaïe eut la langue purifiée avec du feu, afin de pouvoir raconter sa vision ; et ce n’-est pas seulement notre langue, mais nos oreilles que nous devons purifier, si toutefois nous voulons être faits participants de la vérité. Ces considérations m’empêchaient d’écrire ; et maintenant encore je crains, comme dit le Seigneur, « de jeter nos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les « foulent aux pieds, et que, se retournant, ils ne nous déchirent : « car il est dangereux de proférer des paroles vraiment pures et claires sur la lumière véritable, devant des auditeurs ignorants et semblables à des pourceaux ; car rien ne leur paraît plus ridicule, tandis que l’auditeur intelligent île trouve rien de plus admirable, rien où Dieu se révèle davantage. « L’homme-animal n’admet point les choses qui sont de l’esprit « de Dieu ; elles lui paraissent une folie. » Les sages ne divulguent pas au dehors le secret des délibérations intérieures. « Ce que vous entendez à l’oreille, dit le Seigneur, prêchez-le sur les toits. » Mais ici il veut parler des traditions ignorées concertant lia vérité, traditions dont il nous a donné le sens d’une manière sublime et parfaite. Voilà celle dont il veut qu’on reçoive le dépôt pour le transmettre à tous. Mais il ne nous enjoint pas de dévoiler à tous indistinctement les choses qui leur ont été dites en paraboles. C’est sur ce modèle que nous avons fait ce recueil où la vérité est répandue comme une semence qui peut échapper à ceux dont le langage n’est pas plus suivi 4ue celui du geai. Pour échapper à l’œil de ceux qui vont partout recueillant des lambeaux de phrases, comme les geais recueillent les graines semées, ces commentaires ressembleront à toute œuvre qui renferme çà et là répandue la vérité ; mais qu’elle rencontre un laboureur intelligent, elle germera et produira du froment.
CHAPITRE XIII
Chacune des différentes sectes s’est emparée de quelque fragment de la vérité.
La vérité est une, le mensonge a mille faces différentes. De même que les bacchantes mirent en pièces Penthée, et dispersèrent ses membres, de même les hérésies qui ont déchiré le sein, tant de la philosophie barbare que de la philosophie grecque, se glorifient chacune de ce qu’elle conserve de vérité, comme si chacune possédait la vérité tout entière. C’est l’apparition de la lumière qui fait ressortir tous les objets. Tous ceux d’entre les Grecs et d’entre les barbares qui ont recherché la vérité ont été illuminés plus ou moins par le Verbe, source de la vérité. Si l’éternité résume en elle-même l’avenir, le présent, et aussi le passé, la vérité, beaucoup mieux que l’éternité, peut rassembler ses propres semences, bien que tombées dans des terres étrangères. En effet, on retrouve ces parcelles dans les hérésies (je parle de toutes celles qui ne sont pas entièrement absurdes, qui n’ont pas détruit et brisé l’enchaînement et l’ordre de la nature), bien qu’elles aient mis en pièces le Christ et sa doctrine, comme les bacchantes déchirèrent le corps de Penthée ; bien qu’elles soient si différentes entr’elles et qu’elles soient à si grande distance de ce qui forme l’ensemble de la rérité ; car elles s’y rattachent par quelque côté, ou par la forme, ou par le genre, et peuvent recomposer le corps. Dans un instrument de musique, la plus haute corde est le contraire de la plus basse ; et pourtant, de leur vibration simultanée, jaillit un seul accord. Le nombre pair diffère du nombre impair, et pourtant l’arithmétique les rapproche. Ainsi du cercle, du triangle, du tétragone, et des autres figures géométriques si différentes entr’elles. De plus, toutes les parties de l’univers, quelque soit leur diversité, ont cependant cela de commun, que des rapports identiques les unissent toutes au même tout. Il en est de même de la philosophie barbare et de la philosophie grecque. Elles ont pris des fragments de l’éternelle vérité, non dans la mythologie de Bacchus, mais dans la théologie du Verbe éternel. Or, celui qui réunira de nouveau en un seul tout ces fragments épars, sachez qu’il contemplera, sans danger d’erreur, le Verbe parfait, la vérité. C’est pour cela qu’il est écrit dans l’Ecclésiaste : « Et j’ai élevé ma sagesse au-dessus de tous ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem, et mon âme a vu beaucoup de choses, et j’ai eu en outre l’intelligence de la sagesse et de la connaissance des paraboles et de la science. Tel a été l’ordre établi par l’Esprit saint. Une grande sagesse renferme une science profonde. » Le véritable gnostique est l’homme en possession de toute la sagesse. N’est-il pas écrit : « Quiconque se règle sur la sagesse, la connaissance de la sagesse lui viendra en abondance et le vivifiera ? » Les versets suivants viennent confirmer d’une manière encore plus positive ce que nous avons dit plus haut : « Toutes mes paroles sont à la portée des intelligents. » Par toutes, le Seigneur entend la philosophie grecque et la philosophie barbare. Et dès lors, l’une ou l’autre ne représente pas la signification du mot toutes. « Elles s’offrent d’elles-mêmes pour ceux qui veulent en pénétrer le sens. Préférez mes enseignements à l’argent, et la science à l’or éprouvé. » Préférez cette science aussi à l’or le plus pur. « Car la sagesse est meilleure que les pierres précieuses ; il n’est rien d’un si grand prix et qui lui soit comparable. »
CHAPITRE XIV
Série des philosophes grecs.
Les Grecs disent qu’après Orphée, Linus et leurs plus anciens poètes, les hommes les plus admirés pour leur sagesse furent les sept auxquels on donna le surnom de sages. Quatre d’entr’eux étaient originaires d’Asie, savoir : Thalès de Milet, Bias de Priène, Pittacus de Mitylènes, Cléobule de Lindus ; deux autres étaient originaires d’Europe, savoir : Solon d’Athènes et Chilon de Lacédémone. Quant au septième, les uns disent ; que c’est Périandre de Corinthe ; d’autres, Anacharsis le scythe ; d’autres enfin, Épiménides de Crète, que l’apôtre Paul reconnaissait pour prophète, et dont il fait mention en ces termes, dans l’épître à Titus : « Un de leurs compatriotes, qui est leur prophète, a dit d’eux : Les Crétois sont toujours menteurs ; ce sont des bêtes cruelles, des cœurs lâches. Ce témoignage est véritable. » Vous voyez qu’il accorde aussi aux auteurs grecs quelque connaissance de la vérité, et que, dans ses discours pour édifier les uns et pour couvrir les autres de honte, il ne craint pas d’employer leur autorité. C’est pour cela que parlant de la résurrection des morts, dans son épître aux Corinthiens, (car l’exemple cité plus haut n’est pas le seul), c’est pour cela, dis-je, qu’il emploie un iambe tragique, en s’écriant : « À quoi cela me sert-il, si les morts ne ressuscitent point ? Ne pensons qu’à boire et à manger, puisque nous mourrons demain. Ne vous laissez pas séduire ; les mauvais entretiens corrompent les mœurs. » Les uns mettent Acusilaüs d’Argos au nombre des sept sages ; les autres, Phérécyde le syrien. Platon met Myson le chénéen à la place de Périandre, qu’il regarde comme indigne du nom de sage, parce qu’il fut tyran. Nous montrerons un peu plus tard que les sages de la Grèce sont venus bien longtemps après Moïse. Maintenant, il nous faut examiner leur philosophie souvent mystérieuse, et combien elle a de rapports avec la philosophie hébraïque. C’est ainsi qu’ils recherchaient la concision, comme étant la forme la meilleure et la plus commode pour transmettre des maximes et des préceptes. Platon lui-même nous dit que tous les Grecs en général, mais surtout les Lacédémoniens et les Crétois, qui avaient les meilleures lois, suivaient autrefois soigneusement cette méthode. Ainsi cet apophthegme : Connais-toi toi-même, les uns l’attribuent à Chilon. Chamæléon, dans son livre sur les dieux, l’attribue à Thalès ; Aristote, à la Pythie. Il est possible que cette maxime soit un avertissement pour nous exhorter à chercher la sagesse. Car on ne peut connaître les parties, si Ton ne connaît pas l’essence du tout. Pour se livrer avec fruit à l’étude de la nature humaine, il faut d’abord avoir pénétré les mystères de la création du monde. On attribue en outre au Lacédémonien Chilon cet apophthegme : Rien de trop. Mais Straton, dans son livre sur les Inventions, l’attribue à Stradodème le tégéate. Didyme l’attribue à Solon ; comme il attribue aussi à Cléobule cette autre parole : Le mieux en tout est la mesure. Ce proverbe : Rends-toi caution y et ton dommage est proche, Cléomène, dans son livre sur Hésiode, prétend qu’Homère s’en était déjà servi en ces termes : « C’est une méchante caution que de cautionner un « méchant. » Aristote attribue ce proverbe à Chilon ; Didyme veut que ce soit une maxime de Thalès. Puis cet apophthegme : Tous les hommes sont méchants ; ou : La plupart des hommes sont méchants, (car il y a deux versions) ; Sotades de Bysance l’attribue à Bias. Et cet autre : Le travail vient à bout de tout, on veut qu’il soit de Périandre. On veut également que celui-ci : Saisissez l’occasion, soit de Pittacus. Or, Solon fut le législateur d’Athènes, et Pittacus, de Mitylènes. Enfin Pythagore, l’ami de Phérécyde, prit le premier le nom de philosophe. Aux hommes dont nous venons de parler, succédèrent trois écoles, qui prirent leurs noms des lieux où elles fleurirent. L’école d’Italie, fondée par Pythagore ; l’école d’Ionie, fondée par Thalès, et l’école d’Elée, fondée par Xénophane. Selon Hyppobote, Pythagore était fils de Mnésarque, et originaire de Samos. Mais Aristoxène, dans la vie de Pythagore, et Aristarque et Théopompe, veulent qu’il soit de Toscane ; Néanthe, qu’il soit de Tyr ou de Syrie ; en sorte que, selon la plupart, Pythagore est d’origine barbare. Thalès, s’il faut en croire Léandre et Hérodote, était phénicien, et, selon d’autres, de Milet. Il parait que ce philosophe n’eut de rapport qu’avec les sages d’Egypte. L’histoire ne lui donne aucun maître, il en est de même de Phérécyde le syrien, dont Pythagore fut le disciple. Quant à l’école italique, fondée par Pythagore, elle vieillit dans le sein de Métaponte, ville d'Italie. Anaximandre, fils de Praxidame et originaire de Milet, fut le successeur de Thaïes. Après lui vint Anaxagore, fils d'Hégésibule et né à Ciazomène. Anaxagore transporta d'Ionie à Athènes l'école Ionique. Il eut pour successeur Archélaüs, dont Socrate fut le disciple. « Mais ce tailleur de pierres, grand parleur d'équité, « cet enchanteur des Grecs, » dit Timon dans ses Silles, quitta son maître. Socrate en effet abandonna les sciences physiques pour la morale. Après avoir l'un et l'autre entendu Socrate, Antisthène fonda la secte des cyniques, et Platon se retira dans l'Académie. Aristote ayant étudié la philosophie dans l'école de Platon, passa dans le Lycée et fonda la secte des péripatéticiens. Il eut pour successeur Théophraste ; celui-ci Straton ; Straton, Lycon ; puis Critolaüs, puis Diodore. À Platon succéda Speusippe ; à Speusippe, Xénocrate ; à celui-ci, Polémon. Polémon eut pour auditeurs Cratès et Crantor, avec lesquels s'éteignit l'ancienne Académie. Crantor eut pour disciple Arcésilaus, depuis lequel jusqu'à Hégésilaüs fleurit la seconde Académie. Après Hégésilaüs, vint Carnéade, puis ceux qui suivirent. Cratès eut pour disciple Zénon de Citium, fondateur de la secte des stoïciens. À Zénon succéda Cléanthe ; à Cléanthe, Chrysippe et ceux qui suivirent. Le fondateur de l'école d'Élée fut Xénophane de Colophon ; Timée dit qu'il vécut du temps d'Hiéron, roi de Syracuse, et qu'il fuf le contemporain du poète Épicharme. Mais Apollodore veut qu'il soit né dans la quarantième olympiade, et que sa vie se soit prolongée jusqu'au temps de Cyrus et de Darius. Xénophane eut pour auditeur Parménide ; celui-ci, Zénon ; puis vint Leucippe, puis Démocrite. Démocrite eut pour auditeurs Protagoras l'abdéritain, et Métrodore de Chio ; Métrodore, Diogène de Smyrne ; Diogène, Anaxarque ; Anaxarque, Pyrrhon ; Pyrrhon, Nausiphane. Il en est qui prétendent que Nausiphane eut pour disciple Épicure. Telle est en abrégé la suite des philosophes grecs. Il ne nous reste qu'à dire dans quels temps vivaient ceux qui furent les fondateurs de leur secte, afin de montrer, en comparant les dates, que la philosophie des Hébreux est plus ancienne d’un grand nombre de générations. On dit que c’est Xénophane qui est le fondateur de l’école d’Élée ; selon Eudème, dans son Histoire de l’Astrologie, c’est Thalès, qui a prédit l’éclipse de soleil qui eut lieu le jour où les Mèdes en vinrent aux mains avec les Lydiens ; Cyaxare, père d’Astyage, était alors roi des Mèdes, et Alyatte, père de Crésus, régnait sur les Lydiens. À la tête de ceux qui sont d’accord sur ce point avec Eudème, nous citerons Hérodote. La date de cette éclipse correspond environ à la cinquantième olympiade ; et il est dit que Pythagore vécut sous le règne du tyran Polycrate, vers la soixante-deuxième olympiade. D’une autre part, on rapporte que Mnésiphile, qui eut Thémistocle pour disciple, fut le rival de Solon. Or, Solon florissait dans la quarante-sixième olympiade. Quant à Héraclite, le fils de Bauson, il détermina le tyran Mélancome à se démettre de son autorité. Il refusa d’écouter les propositions du roi Darius, qui l’invitait à venir en Perse.
CHAPITRE XV
La philosophie grecque est puisée en grande partie dans la philosophie barbare.
Telles sont les époques ou vécurent les sages et les philosophes les plus anciens de la Grèce. Est-il besoin d’ajouter que la plupart d’entre eux furent d’origine barbare, et qu’ils eurent des barbares pour maîtres ? Nous l’avons vu, Pythagore était de Toscane ou de Tyr « Antisthène était phrygien ; orphée, odryssien ou thrace. La plupart des historiens rapportent qu’Homère était égyptien ; On dit que Thalès, originaire de Phénicie, eut des entretiens avec les sages d’Égypte. Il en est de même de Pythagore. Il reçut en outre de la main de ces sages la circoncision, afin de pénétrer dans les sanctuaires d’Égypte, et d’être initié dans leur philosophie mystique. Il fréquenta les plus illustres d’entre les Chaldéens et d’entre les Mages, et le lieu qn’il nomme Homacæon (omôs acoéion), lieu où tous écoutent ensemble) représente indirectement le lieu que maintenant nou§ nommons Église (ecclesia, assemblée). Platon ne nie pas qu’il ait reçu des barbares ce que sa philosophie renferme de plus beau ; et il avoue qu’il est allé en Egypte ; c’est pourquoi il écrit dans le Phaedon que le philosophe peut recueilli ? en tous lieux quelque avantage. « La Grèce est grande, ô Cébès, dit-il, et elle renferme des hommes doués de mille qualités : les peuples barbares sont nombreux aussi. » Platon pense donc que les barbares aussi possèdent quelques philosophes. Épicure, au contraire, croit que les Grecs seuls peuvent se livrer à la philosophie. Mais Platon, dans le Banquet, louant les barbares pour avoir excellé dans la philosophie, leur rend justice aussi bien qu’aux Grecs ; il montre les honneurs qu’ils ont reçus de leurs dignes successeurs. Il est certain que les barbares ont environné des plus grands hommages leurs législateurs et leurs maîtres, car ils les ont appelés dieux. Ils pensent, s’il faut en croire Platon, que les âmes vertueuses, après avoir abandonné la région qui est au-dessus des cieux, ont bien voulu descendre sur cette terre, dans ce tartare, et y revêtir un corps, et prendre leur part de tous les maux attachés à la condition mortelle, et que, chargées de veiller sur le sort des hommes, ce sont elles qui ont fondé les lois, et ont enseigné la philosophie, le plus grand des biens que les hommes aient reçu ou recevront jamais. C’est aussi, je crois, pour avoir compris la grandeur des bienfaits qu’ils tenaient des sages, que les Brachmanes, les Odrysiens et les G êtes leur rendirent les honneurs divins ; c’est par le même motif que la nation égyptienne les mit au rang des dieux ; comme aussi les Chaldéens et les Arabes, surnommés heureux, et tous les peuples qui habitèrent la Palestine, et une grande partie des Perses, et des milliers d’autres nations. Platon ne fait pas mystère de l’estime qu’il porte aux barbares. Il se souvenait que lui et Pythagore tenaient des barbares une suite de vérités les plus belles et les plus élevées de la philosophie. C’est pour cela qu’il nomme ces peuples, nations de philosophes barbares. Il fait voir dans son Phœdre qu’il connaît le roi égyptien, et il nous le montre plus sage que Toïth, qu’il sait être une sorte de Mercure, De plus, il paraît, d’après ce qu’il dit dans son Charmide, avoir couuu quelques Thraces qui passent pour croire l’ame immortelle, On rapporte que Pythagore eut pour maître Sonchis, le premier des sages égyptiens ; Platon, Sechnuphis d’Héliopolis ; et Eudoxe de Cnide, Chonuphis, également égyptien. Dans le dialogue sur l’âme, Platon paraît encore reconnaître le don de la prophétie ; car il introduit un prophète qui proclame les arrêts de Lachésis, et qui prédit l’avenir aux âmes désignées par le sort. Pour venir sur la terre dans le Timée, il nous montre le sage Solon recevant des leçons d’un barbare. Telles sont les paroles qu’on lui adresse : « Ô Solon, Solon, vous autres Grecs, vous êtes toujours enfants. Il n’y a pas un vieillard parmi vous, car vous n’avez aucune doctrine que le temps ait rendue vénérable. » En effet, Démocrite a composé des traités sur la morale babylonienne, et l’on dit qu’il a joint à ses écrits l’interprétation des hiéroglyphes gravés sur la colonne d’Acicarus. On peut s’assurer au fait par les ouvrages mêmes de ce philosophe : or, voilà ce qu’écrit Démocrite parlant de lui-même, et se glorifiant de son érudition ; « Parmi les hommes de mon temps, c’est pioi qui, pénétrant jusqu’aux peuples les plus reculés pour en étudier les traditions, ai parcouru le plus de contrées, moi qui ai vu le plus de régions aériennes ou terrestres, moi qui ai entendu le plus d’hommes érudits ; et pas un ne m’était comparable pour disposer des digues et résoudre les problèmes ; pas un, même parmi les égyptiens, nommés Arpédonaptes. J’ai vécu comme hôte pendant quatre-vingts ans avec tous ces différents sages. » En effet, il parcourut la Babylonie, la Perse et l’Égypte, et se fit le disciple des mages et des prêtres. Pythagore s’inspira de la philosophie de Zoroastre, mage de la perse ; ceux qui partagent l’hérésie de Prodicus se gloriflent de posséder des livres apocryphes de ce mage. Alexandre, dans son ouvrage sur les symboles pythagoriciens, rapporte que Pythagore fut le disciple de l’assyrien Nazaratus (quelques-uns pensent que cet assyrien est Ézéchiel, nous prouverons plus tard qu'ils se trompent) ; Alexandre veut encore que Pythagore ait en outre entendu les Galates et les Brachmanes. Cléarque le péripatéticien nous dit qu'il connaissait un certain Juif qui avait eu des relations et des entretiens avec Aristote. Héraclite prétend que les paroles de la Sybille n'émanaient pas d'une intelligence humaine, mais bien plutôt de l'inspiration divine. Aussi dit-on que dans la salle des délibérations, à Delphes, on montrait une pierre qui, selon la tradition, avait servi de siège à la première Sybille, laquelle était venue de l'Hélicon, après avoir été élevée par les Muses. Quelques-uns la disent venue de Malée, et fille de Lamie de Sidon. Dans un poème, Sérapion dit que la Sybille n'a pas cessé de prédire, même après sa mort, et que ce qui s'est alors exhalé d'elle dans les airs constitue la faculté divinatrice des augures et des présages ; et que son corps, après s'être changé en terre, ayant fait, comme de raison, pousser de l'herbe, les entrailles de tous les bestiaux qui la broutaient à l'endroit même où elle croissait, donnaient aux hommes une connaissance parfaite de l'avenir. Il croit enfin que le visage que nous présente la lune est l'âme de cette Sybille. Voilà ce que nous apprennent d'elle les traditions anciennes. Numa, roi des Romains, était pythagoricien ; c'est d'après ce qu'il apprit dans les livres de Moïse, qu'il défendit aux Romains de représenter Dieu sous l'image d'un homme ou de tout autre être vivant. Aussi, dans les cent soixante-dix premières années, on ne voit dans leurs temples aucune statue ni peinture. Numa leur montrait ainsi, d'une manière allégorique, qu'on ne peut atteindre au souverain bien que par l'intelligence. Ainsi donc la philosophie, cette science si utile, fleurit autrefois chez les barbares, et brilla au milieu des nations. Plus tard, elle pénétra aussi chez les Grecs. Ceux qui la professèrent furent en Egypte, les prophètes ; en Assyrie, les Chaldéens ; en Gaule, les Druides ; en Bactriane, les Samanœens ; parmi les Celtes, les philosophes ; en Perse, les mages (ces derniers annoncèrent aussi la naissance du Sauveur, avant qu'elle fut connue, et vinrent en Judée, conduits par une étoile) ; dans les Indes, les Gymnosophistes, et d’autres philosophes barbares. Ils sont de deux sortes : les uns se nomment Sarmanes, les autres Brachmanes. Parmi les Sarmanes, ceux que l’on nomme Allobiens, n’habitent pas les villes, n’ont pas de maisons, se revêtent d’écorce d’arbres, se nourrissent de fruits, et boivent de l’eau qu’ils puisent dans leurs mains ; ils ne connaissent ni le mariage, ni les enfants, de même que les hérétiques de nos jours, auxquels on donne le nom de Continents. Parmi les Indiens, il en est qui suivent les préceptes d’un certain Butta, que sa grande vertu leur fait honorer comme un Dieu. Anacharsis aussi était scythe, et des historiens l’ont placé au-dessus d’un grand nombre de philosophes grecs. Hellanicus rapporte que les Hyperboréens habitent au delà des monts Ryphées, qu’ils sont élevés dans la justice, qu’ils se nourrissent, non de chair, mais de fruits. Us conduisent les sexagénaires hors des portes de la ville, et les retranchent du milieu d’eux. Chez les Germains les femmes sont des êtres sacrés ; elles interrogent l’agitation des fleuves, les sinuosités et le bruit des flots, et, d’après ce qu’elles ont vu ou entendu, elles devinent et prédisent l’avenir. Ce sont elles qui empêchèrent d’engager le combat contre César, avant Ja nouvelle lune. La nation juive est beaucoup plus ancienne que tous ces peuples, et le pythagoricien Philon prouve, par de nombreux exemples, que leur philosophie écrite est antérieure à la philosophie grecque ; Aristobule le prouve également, et bien d’autres encore ; mais je ne veux pas m’arrêter à les désigner tous par leur nom. L’écrivain Mégasthènes, contemporain de Séleucus Nicator, s’exprime en ces tenues, dans le troisième livre de son ouvrage sur les Indiens : « Toutes les choses qui ont été dites par les anciens sur la nature, l’ont été aussi par les philosophes étrangers à la Grèce, savoir : en partie dans l’Inde, par les Brachmanes ; en partie en Syrie, par ceux qu’on appelle Juifs. » Dans un récit plein de fables, des historiens rapportent que les Dactyles Idéens ont été primitivement des sages. On attribue à ces anciens Dactyles l’invention des lettres dites éphésiennes et du rythme musical. C’est delà que les dactyles de la musique tirent leur nom. Or, les Dactyles Idéens étaient Phrygiens et barbares. Hérodote rapporte que le célèbre Hercule était devin, qu’il s’occupait à contempler la nature, et qu’il reçut d’Atlas, phrygien et barbare, l’idée des colonnes du monde. Cette fable signifie qu’il fût instruit par Atlas, dans la science des choses célestes. Hermippe de Berytium appelle sage le centaure Chiron. C’est de Chiron que l’auteur de la Titanomachie dit : « Il est le premier qui ait conduit les mortels à la justice, après leur avoir enseigné les formules des serments, les cérémonies des sacrifices propitiatoires, et la science des figures célestes. Il fut l’instituteur d’Achille, qui combattit au siège de Troie. Hippo, fille du Centaure, ayant épousé Eole, le forma à la contemplation de la nature, Science qu’elle tenait de son père. Euripide rend aussi témoignage à Hippo : « C’est elle la première, dit-il, qui prédit la volonté des dieux, soit d’elle-même et par une faculté divinatrice, soit en interrogeant le lever des astres. »
Ulysse, après la prise de Troie, reçut l’hospitalité de ce Eole. Remarquez bien les dates, pouf comparer le temps de Moïse, avec l’époque de la plus ancienne philosophie.
CHAPITRE XVI
Les barbares sont aussi les inventeurs de presque tous les autres arts.
Ce n’est pas seulement de la philosophie, c’est encore de presque tous les arts que les barbares furent les inventeurs. Les Égyptiens furent les premiers qui enseignèrent l’astrologie aux hommes. Il en est de même des Chaldéens. Les premiers encore, les Égyptiens enseignèrent aux hommes à se servir de flambeaux. Ce sont eux qui divisèrent Tannée en douze mois, qui proscrivirent tout commerce impur avec les femmes dans les temples, et qui en défendirent l’entrée à quiconque s’y rendrait en sortant des bras de son épouse sans s’être préalablement purifié. Ce sont eux encore qui ont inventé la géométrie. On attribue aux Cariens la découverte de la science qui consiste à prévoir l’avenir d’après l’inspection des astres. Les Phrygiens sont les premiers qui aient observé le vol des oiseaux. Et tous les peuples voisins de l’Italie ont connu parfaitement la science des aruspices. Les Isauriens et les Arabes s’appliquèrent à la science des augures, comme les Tolmessiens à la divination, qui a pour base l’interprétation des songes. Les Étrusques ont Inventé la trompette, et les Phrygiens la flûte ; car Olympe et Marsyas étaient phrygiens. Cadmus, qui, selon Euphore, enseigna aux Grecs l’alphabet, était phénicien. C’est delà qu’Hérodote écrit que l’on nommait aussi phéniciennes les lettres dont cet alphabet se compose. Selon d’autres, les Phéniciens et les Syriens sont les premiers inventeurs de l’alphabet. Apis, égyptien d’origine, a inventé la médecine, avant que la nymphe Io fût venue en Égypte ; et dans la suite, Esculape a perfectionné cet art. Atlas de Lybie a le premier construit un vaisseau, et le premier tenté la mer. Celmis et Damnanéus, Dactyles idéens, ont les premiers trouvé le fer dans l’Ile de Chypre. Un autre Idéen a trouvé l’art de le forger et de s’en servir. Suivant Hésiode, ce serait un Scythe. Les Thraces ont inventé l’arme que l’on nomme harpe ; c’est un sabre recourbé. Ils se sont servi les premiers, à cheval, du bouclier nommé pelte. Les Illyriens passent aussi pour en être les inventeurs. On croit que les Toscans ont inventé la plastique, et que le samnite Itanus fit le premier bouclier. Ce fut Cadmus de Phénicie qui découvrit les premières carrières, et qui, le premier, trouva les mines d’or du mont Pangée. On doit à un autre peuple, les Cappadociens, l’instrument de musique nommé nabla ; de même que l’on doit aux Assyriens le dicordon. Les Carthaginois construisirent la première quadrirème : Bosphore, d’origine carthaginoise, en fut l’architecte, il l’imagina tout à coup. Médée, fille d’Aéta et originaire de Colchide, inventa la première l’art de teindre les cheveux. Les Noropes (nation de Pæonie, maintenant appelée Norique), sont les premiers qui aient travaillé l’airain et purifié le fer. Amycus, roi des Bebryces, est le premier inventeur des cestes. Dans le domaine de la musique, Olympe a introduit le mode lydien ; et les peuples qu'on appelle Troglodytes ont inventé la sambuque. On dit que Satyre, phrygien, a inventé la flûte champêtre aux tuyaux obliques ; Yagnis, phrygien aussi, le tricorde et le diatonum ; et Olympe le phrygien, Fart de toucher des instruments à cordes ; comme Marsyas, qui était du même pays que les précédents, a inventé le mode phrygien, le mode demi-phrygien', et le mode demi-lydien ; et Thamyris de Thrace, le mode dorien. Nous savons aussi que les Perses ont construit les premiers chars, les premiers lits, les premiers marche-pieds ; et les Sidoniens, les premières trirèmes. Les Siciliens, peuples voisins de l'Italie, sont les premiers inventeurs de la phormingue, qui diffère peu de la cithare ; ils ont aussi inventé les crotales. On rapporte que la fabrication des vêtements de lin date du règne de Sémiramis, reine d'Égypte. Hellanicus dit qu'Atossa, reine des Perses, est la première qui ait écrit des lettres. Scamon de Mitylènes, Théophraste d'Érèse, Cydippe de Mantinée, Antiphanes, Aristodème, Aristote, Philostéphane, et Straton le péripatéticien, dans son ouvrage sur les inventions, rapportent tous ces faits. J'en ai ajouté quelques-uns, afin de prouver que les barbares sont féconds en inventions des plus utiles à la vie, et que les Grecs ont puisé chez eux de grands secours pour leurs études et pour leurs arts. Si quelqu'un se récrie contre l'idiome barbare, je lui répondrai par ce mot d'Anacharsis : « Le grec est à mon oreille ce que le scythe est à l'oreille des Grecs. » Anacharsis est ce philosophe admiré des Grecs, pour avoir dit : « La laine est mon vêtement, le lait et le fromage ma nourriture. » Vous voyez la philosophie barbare, elle ne parle pas, elle agit. Or, l'apôtre dit de même : « Si la langue que vous parlez n'est pas intelligible, comment saura-t-on ce que vous dites ? vous ne parlerez qu'en l'air. Il y a tant de langues différentes dans le monde, et il n'y a point de peuple qui n'ait la sienne. Si donc j'ignore ce que signifient les paroles, je serai barbare pour celui à qui je parie ; et celui qui me parle sera barbare pour moi ; celui qui parle une langue inconnue a besoin d’un interprète. » Que dirai-je encore ! l’art oratoire et l’art d’écrire pénétrèrent tard chez les Grecs. En effet, Alcméon, fils de Périthe, et originaire de Crotone, écrivit le premier un ouvrage sur la nature. D’autres rapportent que ce fut Anaxagore de Clazomène, fils d’Hégésibule, qui publia le premier livre. Terpandre d’Antisse fut le premier qui introduisit dans les poèmes la forme du vers, il mit en vers les lois de Lacédémone. Lassus Hermionée inventa le dithyrambe ; Stésichored’Himère, l’hymne ; Alcman de Lacédémone, la danse ; Anacréon de Téos, le poème erotique ; Pindare de Thèbes, les chants qui accompagnent la danse ; Timothée de Milet chanta le premier les nomes sur la cithare et avec accompagnement de chœurs. Archiloque de Paros inventa l’ïambe ; Hipponax d’Éphèse, le choliambe ; Thespis d’Athènes, la tragédie ; et Susarion d’Icarie, la comédie. Les grammairiens nous disent les époques où ces poètes ont vécu. Il serait trop long d’en donner le tableau détaillé, d’autant plus qu’il nous est prouvé que Bacchus même, en l’honneur duquel ont été institués les jeux et les spectacles dionysiaques, est postérieur à Moïse, et de beaucoup. Selon Diodore, on doit à Antiphon, fils de Sophylus, et originaire de Rhamnus, le premier discours qui ait été prononcé dans une école, et les premiers traités de rhétorique. Selon le même Diodore, Antiphon fut aussi le premier avocat qui se fit payer ; le premier, il écrivit un plaidoyer pour le remettre à un client. Apollodore de Gumes reçut le nom de Critique et fut le premier grammairien. Quelques-uns veulent que ce soit Eratosthènes le cyrénéen, parce qu’il publia deux livres ayant pour titre, Traité grammatical. Mais le premier qui fut nommé grammairien, dans l’acception que nous donnons maintenant à ce mot, fut Praxiphanès, fils de Dionysiphanès, et originaire de Mitylène. On rapporte queZaleucus de Locresfut le premier législateur. D’autres désignent Minos, fils de Jupiter, et contemporain de Lyncée. Celui-ci succéda à Danaùs, onze générations après Inachus et Moïse, comme nous le prouverons un peu plus bas. Lycurgue, né longtemps [après la prise de Troie, donna des lois à Lacédémone, cent cinquante ans avant la première olympiade. Nous avons déjà dit à quelle époque vécut Solon. Nous voyons pareillement que Dracon, qui fut aussi législateur, vécut vers la trente-neuvième olympiade. Antiloque, auteur d’un ouvrage sur les philosophes et les savants qui se succédèrent depuis le temps de Pythagore jusqu’à la mort d’Épicure, arrivée le dixième jour du mois de gémélion, embrasse l’intervalle de trois cent douze ans complets, Ou dit encore que Phanothée, femme d’Icare, a inventé l’hexamètre héroïque ; d’autres en attribuent l’invention à Thémis, l’une des Titanides, Didyme, dans son traité de la philosophie pythagoricienne, rapporte que Théano de Crotone est la première femme qui se soit livrée à l’étude de la philosophie, et qui ait écrit des poèmes. Ainsi donc la philosophie grecque, selon les uns, atteint comme par hasard la vérité, mais très-faiblement ; elle est loin de la posséder toute entière. Selon les autres, c’est une création du démon. Quelques-uns pensent que toutes les philosophies émanent de certaines puissances d’un ordre inférieur. Mais, selon nous, si la philosophie grecque n’a pas la vérité dans toute sa sublimité, si elle est absolument sans force pour l’accomplissement des préceptes du Seigneur, toujours est-il qu’elle prépare la voie qui mène à la doctrine vraiment royale, puisqu’elle corrige et forme les mœurs à un certain point, et qu’elle rend assez fort pour recevoir l’enseignement de la vérité, celui qui croit à la Providence.
CHAPITRE XVII
Sur cette parole du Sauveur : « Tous ceux qui sont venus ayant moi sont des voleurs. »
Mais, dit-on, il est écrit : Tous ceux qui sont venus avant le Seigneur sont des voleurs. Tous ceux donc qui ont parlé sans mission avant l’incarnation du Verbe sont compris généralement dans cette parole. Mais les prophètes, comme ayant été envoyés et inspirés par le Seigneur, ne sont pas des voleurs, ce sont des ministres ; c’est pourquoi l’Écriture dit : « La sagesse a envoyé ses serviteurs ; et, des lieux les plus hauts, elle a convié tout le monde à venir se désaltérer dans la coupe remplie de vin. » Quant à la philosophie, dit-on encore, elle n’a pas été envoyée par le Seigneur, elle a été dérobée ou elle a été donnée par celui qui l’avait dérobée. Ainsi donc, me puissance ou un ange, n’importe, après avoir appris quelque chose de ce qui constitue le vrai, et avoir déserté la vérité, inspira et enseigna aux hommes les doctrines qu’il avait dérobées ; non pas que le Seigneur l’ait ignoré, lui qui sait la fin des choses futures, avant même qu’elles existent, mais il ne l’a pas empêché. Car le larcin transmis aux hommes leur fut de quelque utilité, non que l’auteur du larcin se proposât un pareil but, mais la Providence donna cette direction utile à son audacieuse entreprise. Je sais que beaucoup de sophistes nous attaquent, en disant que celui qui n’empêche pas un fait en est cause. Ils disent que celui qui ne veille pas à la garde d’une chose ou qui ne s’oppose pas au vol, est la cause du vol ; de même qu’on est la cause d’un incendie, lorsqu’on n’éteint pas le feu dès sa naissance ; de même encore que le pilote est la cause du naufrage, lorsqu’il ne cargue pas les voiles. Or, la loi punit ceux qui causent de pareils malheurs ; car celui qui pouvait empêcher un accident en est responsable. Je réponds : Être cause, s’entend de l’action de faire, d’opérer et d’agir ; mais ne pas défendre, c’est par cela même s’interdire toute action. En outre, la cause a pour objet l’action, comme le constructeur de navires la construction de la carène, et le maçon la construction de la maison ; mais celui qui n’empêche pas est entièrement étranger à ce qui advient. Il suit de là que la faculté de pouvoir empêcher ne constitue ni un acte ni une défense ; car quel est l’acte de celui qui n’empêche pas ? Mais le système des adversaires touche à l’absurde, puisqu’il leur faudrait dire que la cause de la blessure n’est pas le javelot, mais le bouclier qui n’a pas empêché le javelot de traverser les chairs ; puisqu’il faudrait s’en prendre non au voleur, mais à celui qui n’a pas empêché lé vol ; dès-lors ce n’est plus à Hector, mais à Achille, qu’il faut imputer l’embrasement des vaisseaux grecs, puisque Achille aurait pu l’empêcher, et qu’il ne l’a pas fait. Sa colère, je l’avoue (car il était en son pouvoir de s’y livrer ou de la vaincre), fut cause qu’il n’empêcha pas l’incendie, et l’en constitua peut-être en partie l’auteur. Mais le démon, puisqu’il avait son libre arbitre, pouvait à son gré ou s’abstenir ou commettre le vol ; il est donc lui-même la cause du vol, iion le Seigneur qui ne l’a pas empêché. Et d’ailleurs, il n’y avait pas de raison qui provoquât une défense, puisque le don fait aux hommes par le démon n’était pas nuisible. S’il faut recourir à l’égard des adversaires à des raisonnements plus subtils, nous leur dirons que ne pas empêcher ce qui s’est fait au sujet du vol, n’est point en être cause ; mais que la cause et la faute sont imputables à celui qui empêche ; car celui qui couvre quelqu’un de son bouclier est cause que celui qu’il couvre n’est pas blessé, puisqu’il le défend de toute blessure. Le démon de Socrate était la cause de ses actions, moins en l’empêchant qu’en l’exhortant, si toutefois il eut un démon qui l’ait poussé à agir. Ni les louanges, ni les reproches, ni les récompenses, ni les châtiments ne seraient justes, si l’âme n’était pas libre de se porter vers une chose ou de s’en éloigner, et si le vice était involontaire ; c’est pourquoi celui qui empêche est cause ; mais celui qui n’a pas empêché peut juger avec équité le choix volontaire de l’âme ; de sorte que, dans aucun cas, Dieu ne se trouve l’auteur du mal. Comme c’est un libre choix joint au désir qui commence le péché, et que par fois nous laissons par ignorance ou inadvertance régner dans notre esprit une opinion erronée en soi, un faux préjugé dont nous négligeons de nous éloigner, ignorants et inexpérimentés que nous sommes, le châtiment est juste. En effet on pourrait s’affranchir : la fièvre est une souffrance involontaire ; mais si quelqu’un la provoque par sa propre intempérance, la faute retombe sur lui sous un rapport. Le vice aussi est involontaire ; car personne ne choisit le mal en tant que mal ; mais, séduits par la volupté qui l’entoure, nous le prenons pour un bien, et nous le regardons comme digne de notre choix. Mais il est en notre pouvoir de nous délivrer de l’ignorance, et de tout choix qui plait ; et avant tout, de ne pas céder à ces trompeuses chimères qui nous attirent. Or, le démon est appelé voleur, pour avoir mêlé de faux prophètes aux prophètes véritables, comme l’ivraie au froment. Ainsi donc tous ceux qui sont vernis avant le Seigneur sont des voleurs ; mais quand on dit tous, on veut faire entendre tous les faux prophètes, et tous ceux qui n’ont pas reçu de mission spéciale du Seigneur. Les faux prophètes commirent aussi un vol qui leur est propre en se faisant appeler prophètes ; puisque, s’ils étaient prophètes, ils étaient les prophètes de l’imposteur ; car le Seigneur dit : « Le père dont vous êtes nés est le démon, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été homicide dès le commencement, et il n’a point persévéré dans la vérité ; car la vérité n’est point en lui. Quand il profère le mensonge, il dit ce qui lui est propre ; car il est menteur, et père du mensonge. » À leurs mensonges les faux prophètes mêlaient quelques mots de vérité ; et, lorsqu’ils prophétisaient, ils étaient réellement dans une sorte d’extase, comme les dignes ministres de l’apostat. Le pasteur aussi, Fange de la pénitence, dit à Hermas, en parlant du faux prophète : « Il profère quelques mots de vérité ; car le démon le remplit de son esprit, pour qu’il puisse renverser quelque juste. » Tout, sans exception, tourne à bien entre les mains de la Providence, afin que la sagesse de Dieu, si merveilleuse dans la diversité de ses opérations, soit manifestée par son Église, selon le dessein éternel qu’il a accompli par le Christ ; car rien ne résiste à Dieu, rien ne peut tenir contre lui ; il est le Seigneur, il est le Tout-Puissant. Bien plus, les desseins et les œuvres des anges révoltés ne sont que des incidents particuliers qui naissent d’une disposition mauvaise, comme les maladies corporelles. Mais la Providence universelle les dirige vers une fin salutaire, bien que la Cause en soit corrompue ; c’est pourquoi le trait le plus caractéristique de la divine Providence est de ne pas permettre que le vice né d’une défection volontaire demeure entièrement inutile, ou soit nuisible en tout et pour tous. En effet, le propre de la sagesse, de la vertu, de la puissance divine, est non-seulement de produire le bien ( car telle est, pour le dire, une fois en passant, la nature de Dieu, comme celle du feu est de répandre la chaleur, et comme celle de la lumière est d’éclairer), c’est encore, et surtout, d’amener à quelque fin bonne et utile les inventions pernicieuses de certains esprits méchants, et de tirer un parti avantageux de ce qui paraît nuisible, comme, par exemple, de faire naître de la tentation et de l’épreuve l’occasion et le mérite du témoignage. Il y a donc aussi dans la philosophie qui a été dérobée comme par un autre Prométhée, quelques étincelles propres à donner la lumière, si on les ranime avec le soin convenable ; il y a, dis-je, dans la philosophie, quelques traces de sagesse, quelque mouvement imprimé par la main divine ; mais les philosophes grecs ont été des voleurs qui ont pris dans les prophètes hébreux, avant la venue du Seigneur, quelques parties de la vérité ; et qui, loin d’avouer le fait, se les sont attribuées comme des dogmes leur appartenant en propre ; ils ont altéré les uns, ils ont glissé sur d’autres avec leur misérable adresse sophistique, et ils en ont inventé plusieurs, * car ils eurent peut-être aussi ï esprit d’intelligence. Aristote est d’accord avec l’Écriture, puisqu’il nomme la sophistique l’art de voler la sagesse ; nous avons déjà fait connaître cette expression. L’apôtre dit : « Et ces dons, nous les annonçons, non « avec les discours éloquents de la sagesse humaine, mais avec « ceux que l’esprit enseigne ; » car Jean dit des prophètes : « Nous avons tous reçu de sa plénitude, » de la plénitude du Christ ; c’est pourquoi les prophètes ne sont pas des voleurs. « Et ma doctrine n’est point de moi, dit le Seigneur, mais de « mon Père qui m’a envoyé. » Il dit des voleurs : « Qui parle « de soi-même, cherche sa propre gloire. » Or, tels sont les Grecs, vains et glorieux. L’Écriture, en les appelant sages, fait la critique non des vrais sages, mais de ceux qui ne le sont pas et qui croient l’être.
CHAPITRE XVIII
L’auteur développe cette parole de l’apôtre : « Je détruirai la sagesse des sages. »
L’Écriture dit de ces derniers : « Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants. » C’est pourquoi l’apôtre ajoute ; « Que sont devenus les sages ? que sont devenus les docteurs de la loi ? que sont devenus les esprits curieux des sciences de ce siècle. » Il les classe de la sorte, pour distinguer des docteurs de la loi, les esprits investigateurs et avides de la science de ce siècle, c’est-à-dire les philosophes des gentils, Dieu n’a-t-il pas rendu insensée la sagesse de ce monde ? en montrant qu’elle était folie et non vérité, ainsi que le monde le pensait. Et si vous demandez la cause qui les porte à se croire sages, l’apôtre vous répondra : « L’aveuglement de leur cœur. » En effet, le monde n’a pas connu Dieu, même à la lumière de cette sagesse de Dieu qui fut annoncée par les prophètes, je veux dire cette sagesse qui parle par leur bouche ; alors « il lui a plu de sauver par la folie de la prédication ; » c’est-à-dire par la prédication qui parait aux Grecs une folie, ceux qui croiraient, » Pour croire, dit l’apôtre, « les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse ; » c’est-à-dire, les discours à démonstrations rigoureuses, et les autres formules de raisonnement. « Or nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs, » parce que tout en connaissant la prophétie, ils ne croient pas à l’événement qui l’accomplit, » et une folie pour les Grecs, » car ceux qui se croient sages regardent comme une fable que le fils de Dieu parle par la bouche de l’homme, que Dieu ait un fils et que ce fils ait souffert ; c’est pourquoi Ta haute opinion qu’ils ont conçue d’eux-mêmes, les empêche de croire. Car la venue du Sauveur n’a pas fait de ceux qui ont obéi à la vocation, des insensés, des cœurs durs, des infidèles, mais bien des esprits sages, dociles et fidèles. Tandis que ceux qui se sont séparés des hommes dont l’obéissance fut volontaire et ont refusé de se soumettre, ont été convaincus d’erreur, d’incrédulité, de folie. « Pour ceux qui ont été fidèles à la voix qui les appelait, qu’ils soient Juifs ou gentils, le Christ est la force de Dieu, et la sagesse de Dieu. » Conséquemment, ne vaut-il pas mieux dire, pour rendre la pensée plus claire : « Dieu n’a pas rendu folle la sagesse de ce monde, en ce sens qu’il l’ait jetée lui-même dans la folie ; » comme s’il y avait : « Dieu n’a pas rendu folle ; » de peur que la dureté de cœur des incrédules ne semble venir de Dieu, « qui a montré la folie de leur sagesse ? » Puisqu’ils étaient si sages, ils sont donc plus coupables de n’avoir pas cru à la prédication de l’Évangile. Car le choix qui se déclare pour la vérité est volontaire. De plus, par cette expression : « Je détruirai la sagesse des sages, » le Seigneur veut dire qu’il l’a éclairée en faisant luire à côté d’elle le flambeau de la philosophie barbare trop dédaigné par elle, comme on dit d’une lampe éclairée par le soleil, que l’effet de sa lumière est détruit, parce qu’elle n’a pas le même éclat. Ainsi donc, tous les hommes ayant été appelés, ceux qui n’ont pas refusé d’obéir à la voix qui les invitait ont été également nommés les appelés, car il n’y a pas d’injustice en Dieu. Ceux d’entre les Juifs et d’entre les gentils, qui ont cru, composent « le peuple particulier de Dieu. » Et vous trouverez dans les actes des apôtres : « Ceux donc qui reçurent la parole furent baptisés. » Mais ceux qui ne voulurent pas la recevoir, se retranchèrent d’eux-mêmes de ce peuple de Dieu. C’est à eux que le prophète dit : « Si vous voulez, si vous « écoutez ma voix, vous jouirez des fruits de la terre ; » montrant par là qu’il est en notre pouvoir d’accepter ou de refuser. L’apôtre a nommé sagesse de Dieu la doctrine du Seigneur, afin de montrer que la véritable philosophie nous est transmise par lui. Pour ceux aussi qui se croient sages, il y a dans une des épîtres de l’apôtre des avertissements qui leur enjoignent de « se revêtir de l’homme nouveau, qui a été créé à la ressemblance de Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité. C’est pourquoi renonçant au mensonge, parlez selon la vérité, ajoute l’apôtre. Ne donnez pas entrée au démon. Que celui qui dérobait ne dérobe plus ; mais plutôt qu’il travaille à quelque ouvrage bon et utile. » (Or, s’appliquer à la recherche de la vérité, c’est aussi travailler ; car cette étude se rattache à la bienfaisance, qui a la parole pour instrument.) « Afin de pouvoir ouvrir à ceux qui sont dans « l’indigence et les trésors de ce monde, et les trésors de la sait gesse divine ; » car l’apôtre veut que la parole soit enseignée, comme l’argent, après avoir été bien éprouvé, est confié aux changeurs pour produire des intérêts. Il ajoute donc : « Que votre bouche ne profère aucune parole mauvaise. » Telles sont les paroles qui proviennent de l’opinion que l’on a de soi-même. « Mais que tout ce que vous direz soit propre à nourrir la foi et à communiquer la grâce à ceux qui vous entendent. » Il est nécessaire que les paroles dites au nom d’un Dieu bon soient bonnes. Or, comment ne seraient-elles pas bonnes, celles qui sauvent ?
CHAPITRE XIX
Il prouve que les philosophes ont recueilli quelques fragments de la vérité.
On peut aussi remarquer qu’il est prouvé par plusieurs témoignages que la philosophie grecque renferme plusieurs dogmes conformes à la doctrine de la vérité ; il est rapporté dans les Actes des apôtres que Paul paria en ces termes aux membres de l’Aréopage : « Vous me paraissez très-religieux ; car passant et voyant les statues de vos dieux, j’ai trouvé un autel où il était écrit : Au dieu inconnu. Ce Dieu que vous adorez sans le connaître, est celui que je vous annonce, le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, le Seigneur du ciel et de la terre, qui n’habite point dans des temples bâtis par les hommes, qui n’est point honoré par les œuvres des mortels, comme s’il avait besoin de quelque chose, lui qui donne tout à tous, et la vie et la respiration. Il a fait naître d’un seul toute la race humaine pour habiter sur toute la face de la terre, déterminant les temps de la durée des peuples et les limites de leur demeure ; afin qu’ils cherchent Dieu et qu’ils s’efforcent de le toucher ou de le trouver, bien qu’il ne soit pas loin de chacun de nous ; car en lui nous ayons la vie, le Mouvement et l’être ; et comme quelques-uns de vos poètes ont dit : Nous sommes les enfants de Dieu même. » De ces paroles, il résulte évidemment que l’apôtre approuve ce qu’il y a de bon dans les auteurs grecs ; il se sert d’exemples tirés de leurs poètes comme ceux qu’il prend aux livres des phénomènes célestes du poète Aratus. Il montre aussi que leur Dieu inconnu est une périphrase sous laquelle, à défaut du mot propre, les Grecs adoraient le Créateur ; et qu’il faut apprendre les attributs réels du Créateur, non plus sous la forme d’une périphrase, mais d’une manière positive, et le connaître lui-même par la personne du fils. « Je t’ai donc envoyé vers les gentils, dit le Seigneur, pour leur ouvrir les yeux, pour qu’ils passent des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu, et que, par la foi qu’ils auront en moi, ils reçoivent la rémission de leurs péchés et « qu’ils aient part à l’héritage des saints. » Les Grecs sont donc les aveugles dont on ouvre les yeux : connaître le père par la personne du fils, c’est saisir le vrai sens de la périphrase grecque, et « passer de la puissance de Satan à Dieu, » c’est être délivré de la servitude du péché.
Cependant nous n’admettons pas absolument toute philosophie, mais celle dont Socrate aussi parle dans Platon : « Car, selon le proverbe en usage parmi les initiés, il y a beaucoup de Porte-thyrse, mais peu de Bacchus. » Socrate donne ainsi à entendre que beaucoup sont appelés, mais que peu sont élus. C’est pourquoi il ajoute en termes formels : « Les Bacchus, à mon avis, né sont autres que les philosophes qui ont su prendre le droit chemin. Pour être de leur nombre, je n’ai, autant que possible, rien négligé dans la vie ; loin de là, j’ai mis tout en œuvre. Mes efforts émanaient-ils d’un bon principe et ont-ils été dirigés dans une direction convenable ?
« Ai-je réussi en quelque point ? C’est ce que bientôt, si Dieu le veut, nous saurons clairement, après être arrivés au terme. » Socrate ne vous semble-t-il pas, là, manifester d’une manière conforme à l’esprit des écritures hébraïques, l’espérance que la foi donne au juste, et qui doit s’accomplir après la mort ? il dit encore dans le Démodocus, si toutefois cet ouvrage est de Platon : « Ne croyez pas que je donne le nom de philosophe à qui passe sa vie dans l’étude des arts ou possède un grand savoir. C’est un tout autre nom que je lui donne ; car je regarde ses occupations stériles comme une sorte de honte. » Socrate savait sans doute que, selon Héraclite, posséder une grande science ne sert à rien. On trouve encore ce fragment de dialogue dans le cinquième livre de la République : « Tous ces hommes donc, et les autres qui désirent se livrer à de pareilles études, et ceux qui s’appliquent aux arts, but misérable, les appellerons-nous philosophes ? Nullement, répondis-je. Nous dirons qu’ils sont semblables aux philosophes. « Mais, reprit-il, quels sont les philosophes que vous nommerez véritables ? Les contemplateurs de la vérité, répartis-je. » Car la philosophie n’est pas dans la géométrie, puisque le domaine de cette dernière se compose d’hypothèses. La philosophie n’est pas davantage dans la musique, art conjectural ; ni dans l’astronomie, science pleine de démonstrations qui ne s’appuient que sur des objets physiques et passagers, et que sur des probabilités. Il faut à la philosophie la science du bien lui-même et de la vérité. Car autre chose est le bien lui-même ; autres choses sont les routes qui y mènent. C’est pourquoi Socrate ne veut pas non plus que ce qu’on nomme le Cercle des études suffise pour atteindre à la connaissance du bien ; mais, selon lui, le seul fruit qu’on en tire, est un excitant pour l’esprit, et un exercice qui habitue l’âme à comprendre les choses qui ne sont perceptibles qu’à l’intelligence. Soit donc que les Grecs aient professé par hasard quelque maxime de la véritable philosophie ; le hasard est un des actes de l’administration divine ; (car pour écarter le débat qui nous sépare des épicuriens, on ne fera pas du hasard un dieu). Soit que les Grecs aient rencontré juste par un effet du sort, le sort n’est point en dehors de Faction providentielle ; soit qu’ils aient eu des notions naturelles, nous savons que le créateur de la nature est unique ; c’est pourquoi nous avons dit que la justice aussi est naturelle. Soit qu’ils aient reçu la raison commune à tous ; considérons quel en est Je père, et quelle est la justice qui préside à la répartition de cette faculté. Car si quelqu’un la nomme la faculté de prédire les choses futures, ou celle d’interpréter les choses présentes, il aura désigné les deux espèces de prophéties. D’autres veulent que ce soit par le moyen d’un réflecteur que certains rayons de la vérité aient été présentés aux philosophes. C’est pourquoi le divin apôtre dit de nous : « Nous ne voyons Dieu maintenant que comme dans un miroir ; » nous connaissant nous-mêmes par la réflexion de notre image en Dieu ; et dans la réflexion de l’image divine en nous, contemplant en même temps la cause efficiente, autant qu’il nous est possible. « Car, dit l’Écriture, tu as vu ton frère, tu as vu Dieu. » C’est le Sauveur, à mon avis, qu’elle nous annonçait déjà sous le nom de Dieu. Mais lorsque nous aurons déposé notre enveloppe charnelle, si nous avons le cœur pur nous verrons Dieu face à face, et nous posséderons enfin la définition et la perception parfaite de son essence. Ceux d’entre les Grecs qui ont apporté le plus grand soin et l’intelligence la plus droite à l’étude de la philosophie ont vu Dieu comme dans un réflecteur ou comme à travers un instrument d’optique. Car tel est l’accompagnement obligé de notre faiblesse, que les images véritables que Dieu nous offre de son essence, notre intelligence ne peut les saisir que comme nos yeux apperçoivent les objets qui se reflètent dans l’eau, ou dont nous séparent les corps transparents. Salomon a donc eu raison de dire : « Celui qui sème la justice recueillera la moisson de la foi ; celui-là prodigue ses trésors et ils s’accroissent. » Il dit encore : « Prends soin de tes prairies, et tu auras de l’herbe à faucher. » Puis : « Recueille le foin mûr afin d’avoir des brebis dont la laine te vêtisse. » Vous voyez qu’il faut également prendre soin des vêtements et des secours extérieurs. « Étudie à fond les mœurs de ton troupeau. « En effet, lorsque les gentils qui n’ont pas de loi, font naturellement les choses que la loi commande, n’ayant point la loi, ils sont à eux-mêmes la loi ; » c’est-à-dire, selon l’apôtre, si les incirconcis ont gardé les préceptes de la loi, et avant la loi, et avant l’arrivée du Christ. Le Verbe, comme pour établir une comparaison entre les philosophes et ceux qu’on nomme hérétiques, dit en termes formels : « Mieux vaut un ami près de soi qu’un frère éloigné. Celui qui s’appuie sur le mensonge fait paître les vents et poursuit les oiseaux ailés. » À mon avis, ce n’est pas la philosophie que le Verbe désigne par ces paroles, bien que souvent la philosophie cherche à prouver les choses probables par des arguments probables ; ce sont les hérésies contre lesquelles il s’élève. C’est pourquoi il ajoute : « Car il a quitté les chemins de la vigne et il a erré dans les sillons de son propre champ. » Telles sont les hérésies qui dès le commencement ont déserté l’Église. Celui qui est tombé dans les piéges d’une hérésie, traverse un désert privé d’eau. Ayant abandonné le vrai Dieu, il en est abandonné lui-même, il cherche de l’eau et n’en trouve pas, il parcourt un sol inhabitable et altéré, et ses mains ne recueillent que la stérilité. « Venez, dit encore la sagesse aux insensés, c’est-à-dire aux hérétiques, le pain caché est agréable, et les eaux dérobées sont douces. » Par le pain et l’eau, l’Écriture désigne clairement les hérésies qui n’emploient pas, selon les règles de l’Église, l’eau et le pain dans l’oblation. Il en est même où l’eau seule est employée dans la célébration de l’Eucharistie. L’Écriture ajoute : « Fuyez promptement, et ne restez pas longtemps dans le même lieu que cette femme. » C’est à la synagogue des hérétiques, non pas à l’Église, que l’Écriture applique le nom équivoque de lieu ; puis elle s’écrie : « Car en agissant ainsi, tu laisseras derrière toi l’eau étrangère. » L’Écriture regarde l’eau du baptême hérétique comme une eau impure et illégitime. Et tu traverseras le fleuve étranger, dont le cours entraîne quiconque se détourne de la vérité seule immuable, et le précipite au milieu du flux et reflux des opinions humaines avec les gentils.
CHAPITRE XX
En quoi la philosophie est utile pour comprendre la vérité divine.
De même que, de plusieurs hommes qui traînent ensemble un vaisseau, on ne peut pas dire qu'ils sont plusieurs causes, mais bien une seule cause composée de plusieurs éléments, car chacun n'est pas cause que le vaisseau est traîné, il ne l'est que conjointement avec ses compagnons : de même la philosophie aide à l'intelligence de la vérité, puisqu'elle est la recherche de la vérité ; mais elle n'est pas la cause de l'intelligence ; elle ne Test que conjointement avec le reste ; elle n'est qu'une cause auxiliaire ; peut-être aussi est-elle la cause coopérante. De même encore que la béatitude est une, et que plusieurs vertus en sont les causes ; et de même que le soleil, et le feu, et le bain, et les vêtements sont des causes différentes de chaleur : ainsi, bien que la vérité soit une, il y a des aides nombreuses qui nous sont utiles pour la chercher ; mais on ne peut la trouver sans le secours du Fils. Si nous examinons bien, la vertu est une puissance ; mais il arrive que, lorsqu'elle s'exerce d'une certaine manière, on la nomme prudence ; d'une certaine autre, tempérance ; dételle autre enfin, courage viril ou justice. De même, bien que la vérité aussi soit une, dans la géométrie il y a la vérité géométrique ; dans la musique, la vérité musicale ; et dans la droite philosophie, la vérité grecque. Mais la seule vérité proprement dite, la vérité à laquelle personne ne peut atteindre, est celle qui nous est enseignée par le Fils de Dieu. C'est ainsi que l'on nomme une seule et même drachme naulage, si elle est donnée à un maître de navire ; impôt, si elle est donnée à un publicain ; loyer, si elle est donnée à un hôtelier ; rétribution, si elle est donnée à un précepteur ; arrhes, si elle est donnée à un marchand. Chaque vertu, comme aussi chaque vérité, bien que portant un nom générique, est la cause propre et unique de l'effet qu'elle produit. De la réunion de toutes ces vertus se compose la vie des bienheureux ; car ce n'est pas dans les mots ni dans les noms que consiste la béatitude, puisque nous appelons béatitude une vie droite, et bienheureux celui dont l'âme est ornée de vertus. Bien que la philosophie ne nous aide que de loin à la recherche de la vérité, et elle nous aide en effet, puisque, par des voies différentes, elle tend vers notre science, qui procède immédiatement de la vérité, toujours est-il que la philosophie est utile à celui qui s'efforce de s'élever, avec le secours du Verbe, jusqu'à la connaissance. Du reste, la vérité grecque, bien qu'elle porte le même nom que la nôtre, en est assez distinguée, et par l'importance des choses, et par l'exactitude des démonstrations, et par l'efficacité divine et autres attributs semblables, qui sont le propre de notre vérité ; car nous avons été les disciples de Dieu même, puisque c'est le Fils de Dieu qui nous a enseigné ces lettres et ces sciences vraiment sacrées. De là vient que les Grecs ne développent pas les âmes de la même manière que nous ; ils se servent d'une méthode et d'une discipline différentes. S'il faut, à cause des malveillants qui nous épient, bien préciser ce que nous sommes, nous qui disons que la philosophie, étant la recherche de la vérité, est la cause auxiliaire et coopérante de l'intelligence de la vérité, nous avouerons qu'elle est pour le gnostique une instruction préparatoire ; mais nous ne regardons pas comme cause ce qui n'est que la cause coopérante ; comme cause contenant son effet, ce qui n'est que la cause auxiliaire ; et la philosophie, comme cause sine qua non. Presque tous, en effet, sans le secours des études encyclopédiques, quelques-uns même, sans le secours des lettres, éclairés seulement par les lumières de la philosophie divine qu'on appelle barbare, cette connaissance de Dieu nous l'avons maintenant à l'aide de la foi ; nous sommes instruits par la sagesse même, qui a tout fait par elle-même. Ce qui ne peut agir par soi-même, vu son imperfection, et a besoin d'auxiliaire, nous l’appelons cause seconde et coopérante. C’est une cause à raison de l’union avec une autre cause, mais sans efficacité pour produire par soi-même un effet. Bien que par elle-même la philosophie aussi justifiât quelquefois les Grecs, elle ne leur procurait pas une justification pleine et générale, mais elle y contribuait, elle y conduisait, comme l’escalier sert déroute pour monter au dernier étage d’une maison. Elle était utile, comme la grammaire, à celui qui veut se livrer à la philosophie ; non pas que, faute de celle-ci, quelque chose manque au Verbe universel, ou que la vérité soit détruite ; car, et la vue, et l’ouïe, et la voix, sont utiles aussi pour atteindre à la vérité ; il n’en est pas moins vrai que c’est l’intelligence qui, par un privilége de sa nature, connaît la vérité. Mais les causes auxiliaires sont plus ou moins efficaces. La clarté du style nous aide à transmettre la doctrine de la vérité ; la dialectique, à repousser victorieusement les attaques des hérésies ; mais la doctrine du Sauveur étant la puissance et la sagesse de Dieu, produit complètement son effet par sa seule vertu, et n’a besoin d’aucun autre secours. Si l’on joint la philosophie à la vérité, celle-ci n’en devient pas plus efficace ; mais, comme la philosophie rend impuissantes les attaques des sophistes, comme elle écarte les piéges trompeurs que l’on tend à la vérité, on l’a nommée la haie et le mur qui entourent la vigne. Cette vérité, que la foi nous fait comprendre, est nécessaire à la vie de l’âme, comme le pain à la vie du corps ; quant aux études préparatoires, elles sont semblables aux mets que l’on mange avec le pain, et à ceux qui composent le dessert. « À la fin du repas, dit Pindare de Thèbes, le dessert est chose agréable. » L’Écriture dit formellement : « Le simple deviendra prudent s’il m’écoute, et le sage recevra la connaissance. Qui parle de soi-même, dit le Seigneur, cherche sa propre gloire ; mais qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, celui-là est vrai, et il n’y a point d’injustice en lui. » On est donc injuste quand on s’approprie les dogmes de la philosophie barbare, et qu on s’en glorifie comme d’un bien personnel ; quand on cherche à augmenter sa propre gloire et qu’on se pare des dépouilles de la vérité. Celui qui agit ainsi, l’Écriture le nomme voleur ; aussi dit-elle : « Mon fils, ne sois pas menteur, car le mensonge conduit au vol. » Cependant, ce que le voleur a dérobé n’en est pas moins pur et vrai, que ce soit de l’or ou de l’argent, un discours ou un dogme. C’est pour cela que les dogmes dérobés par les philosophes grecs sont en partie conformes à la doctrine de la vérité ; mais les philosophes n’en savent le sens que par conjecture, et à l’aide des arguments de la dialectique. Or, ils les comprendront d’une manière sûre et positive s’ils veulent se faire les disciples de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXI
En comparant les époques respectives, il prouve que les institutions et les lois des Hébreux sont de beaucoup plus anciennes que la philosophie grecque.
À l’égard du larcin qu’ils ont fait de leurs dogmes à la philosophie hébraïque, nous en traiterons un peu plus tard. Il nous faut d’abord, pour procéder méthodiquement, parler du temps où Moïse a vécu. L’examen de cette date prouvera, d’une manière incontestable, que la philosophie hébraïque est la plus ancienne de toutes. Tatien, dans son discours contre les gentils, est entré dans les plus grands détails sur cette matière ; Cassien aussi, dans le premier livre de ses exégétiques. Cependant la forme de cet ouvrage, et son titre de commentaires, nous imposent la nécessité de parcourir tout ce qui s’est dit. Apion le grammairien, surnommé Plistonikes, c’est-à-dire vainqueur (remarquez qu’il était égyptien, et à ce titre l’ennemi naturel des Hébreux ; il alla même jusqu’à composer un livre contre eux) ; Apion, dis-je, faisant mention, dans le quatrième livre de son histoire d’Égypte, d’Amosis, roi des Égyptiens, s’appuie du témoignage de Ptolémée de Mendès, à l’endroit où il parle des faits et des gestes de ce prince. Voici les paroles d’Apion : « Le lac Abaris fut creusé par Amosis, contemporain d’Inachus d’Argos, comme le rapporte Ptolémée de Mendès dans ses annales. Ce Ptolémée fut prêtre. Dans un des trois livres où il passe en revue l’histoire des rois d’Egypte, il dit que ce fut sous le règne d’Amosis que les Juifs, ayant Moïse à leur tête, sortirent d’Egypte. » On voit par-là que Moïse fut Le contemporain d’Inachus. Or, la ville d’Argos bâtie par Inachus ; comme nous l’apprend Denys d’Halycarnasse dans ses annales, est la plus ancienne des villes grecques. Athènes, fondée par l’autochthone Cécrops, l’homme aux deux natures, est postérieure de quatre générations à la ville d’Argos, comme le dit Tatien, dans les termes mêmes dont nous nous servons. Pelasge, le premier législateur de i’Arcadie, est postérieur de neuf générations à Inachus. On le dit aussi autochthone. Deucalion, premier roi dp la Phtiotide, est postérieur de quinze générations au même Inachus. Or, d’Inachus au temps où fleurit Troie, on compte vingt générations au plus. Ce qui donne environ quatre cents ans et au delà. Et si, d’après le témoignage de Ctésias, les Assyriens se sont réunis en peuple longtemps avant les Grecs, il est évident que ce fut quatre cents ans après la fondation de l’empire assyrien, la trente-deuxième année du règne de Bélochus, huitième du nom, et du temps d’Amosis et d’Inachus, l’un roi d’Argos, l’autre d’Egypte, que Moïse fit Sortir d’Egypte les fenfants d’Israël. Ce fut sous le règne de Phoroûée, sticcesseur d’Inachus, que la Grèce vit le déluge d’Ogygès, (et que s’éleva le royaume de Sicyone avec ses premiers rois Agiale, Europs et Telchin, et que Crétès régna en Crète. Car Acusilaüs Homme Phoronée le premier homme ; et c’est delà qtie Fauteur de la Phoronide lui donne aussi le nom de père des mortels. C’est pourquoi Platon, adoptant la version d’Acusilaüs, dit dans le Timée : « Et parfois, pour les engager eux-mêmes à lui parler des antiquités de leur ville, il se mettait à leur parler des premiers temps de la Grèce, et de Phoronée, dit le premier homme, et de Niobé, et des faits qui avaient suivi le déluge de Deucalion. » Actœus, qui donna son nom à l’Attique actéenne, fut contemporain de Phorbas, Prométhée, Atlas, Épiméthée, Cécrops aux deux natures, et Io, furent contemporains de Triopas. L’incendie de Phaéton et ie déluge de Deucalion eurent lieu du temps de Crotope ; et le règne de Sthénélus eut pour faits contemporains le règne d’Amphyction, l’arrivée de Danaüs dans le Péloponèse et la fondation de Dardanie par Dardanus, le premier-né de Jupiter, qui rassemble les nuages, comme dit Homère. Ce fut vers le même temps qu’Europe fut enlevée de Phénicie et conduite en Crète. Les faits contemporains du règne de Lyncée furent l’enlèvement de Proserpine, la fondation du temple d’Eleusis, l’invention de l’agriculture par Triptolème, l’arrivée de Cadmus à Thèbes, et le règne de Minos. Ce fut du temps de Prsetus qu’Eumolpe fit la guerre aux Athéniens ; et du temps d’Acrisius que Pélops passa de Phrygie en Grèce. La même époque vit l’arrivée d’Ion à Athènes, le deuxième Cécrops, les faits et gestes de Persée et de Bacchus, et Orphée et Musée. Selon Denys d’Argos, Troie fut prise la dix-huitième année du règne d’Agamemnon, la première du règne de Démophon, roi d’Athènes, et fils de Thésée, et le douzième jour du mois de thargélion. Ægias et Dercyle veulent que Troie ait été prise le huitième jour de la troisième décade du mois de panémus ; Héllanicus, le douzième jour de thargélion ; selon quelques-uns de ceux qui ont écrit l’histoire d’Athènes, ce fait aurait eu lieu le huitième jour de la dernière décade du mois de thargélion, la dernière année du règne de Ménesthée et pendant la pleine lune. La nuit avait parcouru la moitié de sa carrière, dit l’auteur de la petite Iliade, et la lune brillait de tout son éclat. D’autres veulent que ce soit le huitième jour de la dernière décade du mois de scirophorion. Thésée, l’émule d’Hercule, est antérieur d’une génération au siége de Troie. Aussi dans Homère est-il fait mention de Thépolème, fils d’Hercule, comme ayant combattu contre Troie. Il est donc prouvé que Moïse est antérieur de six cents ans à l’apothéose de Bacchus, puisque cette apothéose eut lieu la trente deuxième année du règne de Persée, comme on le voit dans les annales d’Apollodore. Depuis l’apothéose de Bacchus jusqu’au temps d’Hercule et des guerriers célèbres qui montèrent avec Jason le navire Argo, on compte soixante ans. Esculape et Castor et Pollux furent aussi de ce voyage, comme l'atteste Apollonius de Rhodes, dans son poème sur les Argonautes. Depuis l'année où Hercule (monta sur le trône d'Argos, jusqu'à l'apothéose du même Hercule et d'Esculape, on compte trente-huit ans, selon le chronographe Apollodore. De cette époque à l'apothéose de Castor et de Pollux, on compte cinquante-trois ans. Troie fut prise environ vers la même époque. Si nous devons aussi ajouter foi aux paroles du poète Hésiode, entendons-le nous dire :
Maia, fille d'Atlas, après être entrée dans la couche sacrée de Jupiter, lui donna un fils, le grand Mercure, le messager des immortels ; et Sémélé, fille de Cadmus, après avoir reçu les caresses du maître des dieux, enfanta Bacchus, qui répand partout la joie. Or, Cadmus, le père de Sémélé, vint à Thèbes du temps de Lyncée, et fut l'inventeur des lettres grecques. Triopas vivait dans le même temps qu'Isis, sept générations après Inachus. On prétend qu'Isis est la même que la nymphe Io, (iôn, allant) ainsi nommée parce qu'elle erra sur toute la surface de la terre. Ister, dans son livre sur les colonies Égyptiennes, dit que cette nymphe était fille de Prométhée. Or, Prométhée vivait dans le même temps que Triopas, sept générations après Moïse. Il est donc constant que Moïse est antérieur même à l'époque où la Grèce place la création du premier homme. Léon, auteur d'un traité sur les dieux égyptiens, dit qu'Isis est appelée Cérès par les Grecs. Or, Cérès vivait du temps de Lyncée, onze générations après Moïse. Apis, roi d'Argos, est le fondateur de Memphis, comme le rapporte Aristippe, dans le premier livre de son histoire d'Arcadie. Aristée d'Argos dit qu'on surnomma ce roi Sarapis, et qu'il est le même Sarapis que les Égyptiens adorent. Mais Nymphodore d'Amphipolis, dans le troisième livre de son ouvrage sur les lois de l'Asie, dit que le taureau Apis étant mort et ayant été embaumé, on le déposa dans un cercueil (en grec soros), et que le cercueil fut placé dans le temple du dieu que l'on adorait ; que le taureau prit de là le nom de Soroapis, et que dans la suite, les habitants du lieu contractèrent l'habitude de le nommer Sarapis. Apis est le deuxième successeur d'Inachus. Latone vivait du temps de Titye :
« Car il viola Latone, l'illustre épouse de Jupiter. »
Or, Titye et Tantale furent contemporains. Pindare aussi a donc eu raison d'écrire : « Alors naquit Apollon. » Et en cela rien d'étonnant, puisque nous trouvons Apollon avec Hercule au service d'Admète pour un longtemps. Zéthus et Amphion, inventeurs de la musique, naquirent vers le temps de Cadmus. Si l'on vient nous dire que la première sybille est Phémonoé, qui fut consultée par Acrisius, qu'on sache qu'elle n'est antérieure que de vingt-sept ans à Orphée, à Musée et à Linus, le précepteur d'Hercule. Homère et Hésiode sont de beaucoup postérieurs à la prise de Troie, et de beaucoup antérieurs aux législateurs grecs, Lycurgue et Solon, aux sept sages, au syrien Phérécyde et au grand Pythagore, qui tous parurent longtemps après l'établissement du système des Olympiades, comme nous l'avons déjà montré. Il nous est donc prouvé que Moïse est plus ancien, non -seulement que les sages et que les poètes grecs, mais encore que la plupart des dieux adorés en Grèce. Et non-seulement Moïse, mais la sybille même est plus ancienne qu'Orphée ; car on dit qu'il existe de nombreux ouvrages qui traitent de son surnom et des oracles qu'elle a rendus ; et qu'en sa qualité de Phrygienne, on l'avait appelée Diane, et que, s'étant rendue à Delphes, elle chanta ces vers :
« Habitants de Delphes, adorateurs d'Apollon aux flèches rapides, je suis venue pour vous annoncer la volonté du tout-puissant Jupiter, moi que l'esprit de mon frère Apollon remplit d'un feu prophétique. »
Il est encore une autre sibylle, originaire d'Erythrée ; elle se nommait Hérophyle. Héraclide de Pont fait mention de toutes les deux, dans son Traité sur les oracles. Je passe sous silence la sibylle d'Égypte et la sybille italienne qui établit sa demeure dans l'emplacement où s'éleva depuis la porte Carmentale à Rome. Cette sibylle eut pour fils Évandre, fondateur du temple que Rome possède en l'honneur de Pan, et qu’on nomme Lupercal. Il est à propos maintenant de rechercher aussi avec soin dans quel temps ont vécu les autres prophètes que les Hébreux ont eus après Moïse. Après la mort de Moïse, Josué prit le commandement du peuple d’Israël. En tout, il fit la guerre pendant soixante-cinq ans ; il se reposa dans la terre promise pendant vingt-cinq autres années, et, selon le livre de Josué, il gouverna Israël pendant vingt-sept ans. Après lui > les Hébreux ayant péché, furent livrés pendant huit ans à Chusachar, roi de Mésopotamie, comme on le voit dans le livre des Juges. Mais ayant imploré Dieu, ils prirent pour chef Gothoniel, le frère puîné de Galeb, de la tribu de Juda. Gothoniel, après avoir tué le roi de Mésopotamie, gouverna le peuple pendant cinquante ans. Les Hébreux, ayant péché de nouveau, furent livrés pendant dix-huit ans à Églon, roi des Moabites. S’étant de nouveau repentis, ils eurent pour chef, pendant quatre-vingts ans, Aod, habile de la main gauche comme de la droite, et de la tribu d’Éphraïm. C’est lui qui mit à mort Eglon. Après la mort d’Aod, les Hébreux ayant de nouveau péché, furent livrés pendant vingt ans à Jabin, roi de Chanaan. Dans le même temps vivait la prophétesse Débora, femme de Labidoth, et de la tribu d’Éphraïm. Ozius, fils d’Abiésus, était alors grand-prêtre. Barac, fils de Benner et de la tribu de Nephthali, s’étant, à l’instigation de Débora, mis à la tête de l’armée, marcha contre Sisara, général en chef de l’armée de Jabin et le vainquit. Après cette victoire, Débora jugea le peuple pendant quarante ans. Elle mourut, et le peuple pécha de nouveau et fut livré aux Madianites pendant sept ans. Alors Gédéon, fils de Joas, de la tribu de Manassé, marcha contre les Madianites avec trois cents hommes, et leur tua cent-vingt-mille hommes. Il jugea Israël pendant quarante ans, et après lui son fils Achimélech, pendant trois ans. À ce dernier succéda Boiéas, fils de Bédan, fils de Charran, de la tribu d’Éphraïm ; il fut juge en Israël pendant vingt-trois ans. Après sa mort, les Hébreux ayant de nouveau péché, furent livrés aux Ammonites pendant dix-huit ans. S’étant repentis de nouveau, ils eurent pour juge Jephté de Galaad, et de la tribu de Manassé.
Jephté les gouverna six ans. À Jephté succéda Abatthan de Bethléem, et de la tribu de Juda. Il fut juge sept ans ; puis Ébron et Zabulon, huit ans ; puis Églon d’Éphraïm, huit ans. Il en est qui joignent aux sept années d’Abatthan, les huit années d’Ébron. Après Églon, les Juifs ayant encore péché, furent assujettis quarante ans au joug étranger des Philistins ; mais étant revenus à Dieu, Samson se mit à leur tête et vainquit les étrangers. Il gouverna Israël pendant vingt ans. Un interrègne ayant eu lieu après sa mort, le grand-prêtre Héli jugea le peuple pendant quarante ans. À Héli succéda le prophète Samuel ; avec Samuel régna Saûl, qui monta sur le trône âgé de vingt-sept ans. Samuel oignit aussi David, et mourut deux ans avant Saùl, sous le pontificat d’Abimélech. Or, Saül avait reçu l’onction à titre de roi, et il fut le premier roi qui régna sur Israël après les juges. Les juges avaient gouverné Israël pendant quatre cent soixante —trois ans et sept mois. Après eux, comme on le voit dans le premier livre des Rois, Saül ayant été régénéré par l’huile sainte, régna vingt ans. Après la mort de Saül, David régna en Hébron ; ce fut le second roi. Il était fils de Jessé, de la tribu de Juda ; son règne dura quarante ans, comme le rapporte le second livre des Rois. Abiathar, fils d’Abimélech et de la parenté d’Héli, était alors grand-prêtre. Les prophètes Gad et Nathan étaient aussi de cette époque. Il s’écoula donc, depuis Jésus, fils de Marie, jusqu’au temps où David reçut la couronne, quatre cent cinquante ans selon les uns, mais comme le prouve notre supputation chronologique, on compte cinq cent vingt-trois ans sept mois jusqu’à la mort de David. Salomon, fils de David, régna après lui pendant quarante ans. Sous son règne vécut le prophète Nathan, qui l’engagea à construire le temple. Achias de Selom prophétisa aussi vers la même époque. David et Salomon étaient eux-mêmes prophètes. Sadoc fut le premier grand-prêtre qui sacrifia dans le temple construit par Salomon. Il fut le huitième grand-prêtre depuis Aaron, le premier qui ait porté ce titre. Ainsi donc, depuis Moïse jusqu’au temps de Salomon, il s’écoula, selon les uns, cinq cent quatre-vingt-quinze ans, selon les autres, cinq cent soixante-seize ans. Or, si l’on ajoute aux quatre cent cinquante ans qui s’écoulèrent depuis Jésus jusqu’à David, les quatre-vingts ans pendant lesquels Moïse commanda le peuple d’Israël, et les autres quatre-vingts ans qui remontent jusqu’à la naissance de Moïse, avant que les hébreux sortissent d’Égypte, et qu’on joigne en outre les quarante ans du règne de David, on obtiendra un total de six cent dix ans. Et si l’on va jusqu’à la mort de Salomon, on trouvera pour total six cent quatre-vingt-trois ans sept mois. Hiram donna sa fille à Salomon, vers l’époque où Ménélas, après la prise de Troie, abordait en Phénicie, comme le rapportent Ménandre de Pergame, et Lœtus dans ses Phéniciens. À Salomon succéda son fils Roboam, qui régna dix-sept ans. Abimélech, fils de Sadoc, était alors grand-prêtre. Sous Roboam, le royaume s’étant divisé, Jéroboam serviteur de Salomon, et de la tribu d’Éphraïm, régna à Samarie. De ce temps vécurent aussi les prophètes Achias de Selom et Samaeas, fils d’Amamé, et celui qui vint de Juda vers Jéroboam, et qui prophétisa contre l’autel élevé par ce dernier. À Roboam succéda son fils Abiu qui régna vingt-trois ans, et à ce dernier son fils Asaman, qui régna le même nombre d’années. Dans sa vieillesse, Asaman eut la goutte aux pieds. Sous son règne vécut le prophète Jéhu, fils d’Ananias. Josaphat, fils d’Asaman, lui succéda et régna cinq ans. Son règne vit les prophètes Élie de Thesbé et Michée fils d’Ièble, et Abdias fils d’Ananias. Michée eut pour contemporain le faux prophète Sédécias, fils de Chanaan. Vient ensuite Joram, fils de Josaphat, qui régna huit ans ; sous son règne vécut Élie, et après Élie, Elisée, fils de Saphat. Ce fut du temps d’Elisée que les Samaritains furent réduits à manger leurs propres enfants et de la fiente de pigeon. Le règne de Josaphat s’étend depuis la dernière partie du troisième livre des Rois jusqu’au quatrième livre. Ce fut sous le règne de Joram qu’Élie fut enlevé au ciel. Après Élie, Elisée, âgé de quarante ans, prophétisa pendant sept ans. Puis vint Ochosias, qui régna un an. De son temps, Elisée prophétisait encore, et avec lui Abdadonaï. À Ochosias succéda sa mère Athalie, qui régna huit ans, après avoir massacré les enfants de son fils. Elle était du sang d’Achab. Mais Josabeth, sœur d’Ochosias, déroba au massacre Joas, fils d’Ochosias, et dans la suite, lui mit la couronne sur le front. Sous le règne d’Athalie vivait encore Elisée. Après Athalie, comme nous venons de le dire, régna Joas, qui avait été sauvé de la mort par Josabeth, la femme du grand-prétre Joïada. Il vécut en tout quarante ans. Ainsi donc, depuis Salomon jusqu’à la mort du prophète Elisée, on compte, selon les uns, cent-cinq ans, selon les autres, cent-deux ans ; mais comme le prouve notre supputation chronologique, il s’est écoulé, depuis le régne de Salomon jusqu’à la mort d’Elisée, cent quatre-vingt-un ans. Selon Philocore, il s’est écoulé cent quatre-vingts ans depuis la prise de Troie jusqu’à la naissance d’Homère, laquelle eut lieu après l’émigration de la colonie ioniennne. Mais Aristarque, dans ses commentaires, dit qu’Homère vivait lors de cette émigration. Or, cette émigration eut lieu cent quarante ans après la prise de Troie. Apollodore veut qu’Homère soit né cent ans après l’émigration de la colonie ionienne, pendant qu’Agésilas, fils de Dorysséus, régnait à Lacédémone. Il établit de la sorte que le législateur Lycurgue fut dans sa jeunesse le contemporain d’Homère. Mais Euthymène, dans ses annales, dit qu’Homère florissait ainsi qu’Hésiode du temps d’Acaste, et que le premier naquit dans l’île de Chio, environ deux cents ans après la prise de Troie. Archémaque est du même avis, dans son histoire de 111e d’Eubée. D’où il suit qu’Homère et Hésiode sont postérieurs même à Elisée. Si l’on veut suivre la version du grammairien Cratès, et que l’on place la naissance d’Homère vers la descente des Héraclides dans le Péloponnèse, quatre-vingts ans après la prise de Troie, on trouvera encore qu’Homère est postérieur à Salomon, dont le règne correspond à l’arrivée de Ménélas en Phénicie, comme nous l’avons dit plus haut. Selon Ératosthènes, Homère naquit cent ans après la prise de Troie. Il y a plus, Théopompe, dans le quarante-troisième chapitre de son histoire de Philippe, rapporte qu’Homère est ne cinq cents ans après les guerriers qui prirent part au siége de Troie. Euphorion, dans son histoire des rois Halyattes, dit qu’Homère est né du temps de Gigès, qui commença de régner vers la dix-neuvième Olympiade, et qui, selon le même Euphorion, reçut le premier le nom de tyran. Dans un tableau chronologique, Sosibius de Lacédémone place Homère vers la huitième année du règne de Charillus, fils de Polydecte. Or, Charillus régna soixante-quatre ans, et après lui son fils Nicander, trente-neuf ans. Et Sosibius dit que la première Olympiade fut établie dans la trente-quatrième année du règne de Nicander ; en sorte qu’Homère serait postérieur de quatre-vingt-dix ans au système des Olympiades. Après Joas, son fils Amasias prit la couronne et régna trente-neuf ans. Amasias eut pour successeur son fils Ozias, qui régna cinquante-deux ans, et demeura lépreux jusqu’à sa mort. De son temps vécurent les prophètes Amos et Isaïe fils d’Amos, et Osée fils de Béeri, et Jouas fils d’Amathi ; Jonas qui était de Geth en Ghober, qui prêcha la pénitence aux Ninivites, et qui sortit du ventre de la baleine qui l’avait englouti. Osias eut pour successeur son fils Jonathan qui régna seize ans. Sous le règne de ce dernier, prophétisaient encore Isaïe et Osée, et Michée de Morasthi, et Joël fils de Bathuel. Jonathan eut pour successeur son fils Achas, qui régna seize ans. Vers la quinzième année du règne d’Achaz, les tribus d’Israël furent emmenées captives à Babylone, et Salmanasar, roi d’Assyrie, transféra chez les Mèdes et à Babylone, les habitants de Samarie. Achaz eut pour successeur Ézéchias, qui régna vingt-neuf aus. Ce roi, étant sur le point de mourir, mérita par la sainteté de sa vie, que Dieu lui accordât, par la bouche d’Isaïe, de vivre encore quinze autres années, promesse que Dieu ratifia soudain, en ramenant le soleil en arrière. Isaïe, Osée et Michée prophétisèrent jusqu’au règne d’Ézéchias. On les dit postérieurs à Lycurgue, le législateur des Lacédémoniens. En effet, Dieuchidas, dans le quatrième livre de son histoire de Mégare, rapporte que Lycurgue appartient à la deux cent quatre-vingt-dixième année qui suivit la prise de Troie. Et l’on trouve Isaïe, et avec lui Michée, et Osée et Joël fils de Bathuël, on les trouve, dis-je, prophétisant encore dans la deux centième année qui suivit Salomon, pendant le règne duquel nous avons déjà montré Ménélas abordant en Phénicie. Ézéchias eut pour successeur son fils Manassès, qui régna cinquante-cinq ans ; Manassès, son fils Amon, qui régna deux ans ; Amon, son fils Josias, qui régna trente et un ans, et qui se montra le plus fidèle observateur de la loi. « Il jeta « les cadavres mutilés des hommes sur les statues renversées « et brisées des idoles, » comme il est écrit dans le Lévitique. Dans la dix-huitième année de son règne, la pâque fut célébrée comme elle ne l’avait été, ni par Samuel, ni par aucun des rois prédécesseurs de Josias. Ce fut aussi sous le régne de ce prince que le grand-prêtre Ghelcias, père du prophète Jérémie, ayant trouvé dans le temple le livre de la loi, mourut après l’avoir lu. Vers le même temps florissaient les prophètes Olda, Sophonie et Jérémie. Ce dernier eut pour contemporain le faux prophète Ananias, qui pour ne l’avoir pas écouté, mourut l’année même. Quant à Josias, s’étant avancé à la rencontre de Néchao, roi d’Égypte, qui marchait contre les Assyriens, il fut tué près de l’Euphrate. À Josias succéda son fils Jéchonias, autrement dit Joachaz, qui régna trois mois et dix jours. Néchao, roi d’Egypte, enchaîna Joachas et l’emmena en Egypte, après avoir établi roi Joachim en la place du roi son frère, et l’avoir chargé de percevoir tout le tribut dont lui, Néchao, avait frappé tout le pays. Joachim régna douze ans. Il eut pour successeur son fils Joachin qui régna trois mois. Vint ensuite Sédécias, qui régna douze ans. Jérémie prophétisait encore sous le règne de ce prince. Dans le même temps prophétisaient aussi Ézéchiel fils de Buzi, et Urias fils de Saméi, et Habacuc. Là finissent les rois hébreux. Ainsi donc, depuis la naissance de Moïse jusqu’au jour où Sédécias fut emmené captif à Babylone, il s’écoula, selon les uns, neuf cent soixante-deux ans, mais selon les résultats certains de notre supputation chronologique, mille quatre-vingt-cinq ans, six mois, dix jours. Et depuis le règne de David jusqu’à la captivité dont les Chaldéens furent les instruments, il s’écoula, selon les uns, quatre cent cinquante-deux ans et six mois ; mais selon les résultats certains de notre supputation chronologique, quatre cent quatre-vingt-deux ans, six mois et dix jours. Or, ce fut dans la douzième année du règne de Sédécias, soixante-dix ans avant la domination des Perses, que Nabuchodonosor combattit contre les Phéniciens et contre les Juifs, comme le rapporte Bérose, dans son histoire des Chaldéens. Et Jabas, dans son histoire des Assyriens, avoue qu’il tient de Bérose ses renseignements historiques, rendant ainsi témoignage à la véracité de cet historien. Ainsi donc, Nabuchodonosor, après avoir crevé les yeux à Sédécias, l’emmena à Babylone, et transféra dans des pays lointains le peuple tout entier, à l’exception d’un petit nombre d’individus qui se réfugièrent en Egypte. Cette captivité dura soixante —dix ans. Du temps de Sédécias, Jérémie et Habacuc prophétisaient encore. Dans la cinquième année du règne de ce prince, Ézéchiel prophétisa à Babylone, et après lui Nahum, puis Daniel. Après ce dernier, sous le premier Darius, Aggée et Zacharie prophétisèrent pendant deux ans ; après Darius, Malachie, l’un des douze, dont le nom veut dire mon messager. Après Aggée et Zacharie, Néhémias, le grand échanson d’Artaxerce, fils de l’israélite Achelï, réédifia la ville de Jérusalem, et releva le temple. À cette captivité se rattache l’histoire d’Esther et de Mardochée. Nous avons un livre sur cette histoire, comme nous en avons également un sur les Machabées. Durant cette captivité, Misaël, Ananias et Azarias ayant refusé d’adorer une statue, furent jetés dans une fournaise ardente, et sauvés des flammes par un ange qui descendit vers eux. Alors aussi, Daniel ayant été jeté dans la fosse aux lions, fut nourri par les mains d’Habacuc, par un miracle, et retiré sain et sauf de la fosse le septième jour. Ce fut alors aussi qu’un miracle fut fait en faveur de Jonas, et que Tobie, avec le secours de Fange Raphaël, épousa Sara, dont les sept premiers prétendants avaient été tués par le démon ; et que Tobie le père, après la célébration des noces, recouvra la vue. Ce fut encore durant la captivité de Juda, que Zorobabel, ayant déjoué par sa prudence les projets de ses adversaires, acheta de Darius le droit de relever Jérusalem, et revint dans sa patrie avec Esdras, qui délivra le peuple, mit en ordre, avec le secours de l’inspiration divine, le recueil des saintes Écritures, fit célébrer la pâque du salut, et annula les mariages que les Hébreux avaient contractés avec des femmes étrangères. Or, Cyrus avait fait auparavant publier qu’il rendait les Hébreux à leur patrie et à la liberté. Cette promesse ayant reçu son accomplissement sous le règne de Darius, les Hébreux célébrèrent la fête de la dédicace, comme aussi celle des tabernacles. On compte en tout, depuis la naissance de Moïse jusqu’à la délivrance des Juifs, onze cent cinquante ans, six mois et dix jours ; et depuis le règne de David, trois cent cinquante-deux ans selon les uns, mais selon les résultats plus sûrs d’une supputation plus exacte, cinq cent soixante-douze ans, six mois, dix jours. Ainsi se trouvèrent accomplies par la captivité que les Hébreux souffrirent à Babylone, du temps de Jérémie, les paroles suivantes du prophète Daniel : « Les soixante-et-dix semaines sont abrégées sur « ton peuple et sur la sainte cité, afin que la prévarication soit consommée et que le péché prenne fin, et que l’iniquité soit effacée et expiée, et que la justice éternelle paraisse, et que la vision et la prophétie soient accomplies, et que le saint des saints reçoive Fonction. Sache donc et comprends : Depuis cette prophétie et la réédification de Jérusalem jusqu’au Christ roi, il y aura sept semaines et soixante-deux semaines ; et de nouveau seront édifiées la place publique et les murailles, semaines le Christ sera mis à mort, et il n’y aura pas de jugement pour lui ; et de concert avec le roi qui doit venir, il dissipera la cité et le sanctuaire ; et un nouveau cataclysme en exterminera les habitants, et jusqu’à la fin de la guerre la destruction les décimera ; et il confirmera l’alliance à plusieurs dans une semaine, et au milieu d’une semaine l’oblation et le sacrifice cesseront, et l’abomination de la désolation sera dans le temple, et persévérera jusqu’à la consommation des temps. Et au milieu d’une semaine, il ne s’élèvera plus de parfums de l’autel des sacrifices, et la destruction étendra ses ravages jusqu’à la consommation, et en quelque sorte, jusqu’à l’anéantissement de l’oblation. » Il est donc évident que le temple a été reconstruit dans les sept premières semaines ; car le fait se trouve dans Esdras. Ainsi, le Christ est devenu roi des Juifs, après l’accomplissement des sept semaines ; et durant les soixante-deux semaines la Judée entière s’est reposée dans une paix profonde qu’aucune guerre n’a troublée ; et notre Seigneur Jésus-Christ, le Saint des Saints, étant alors venu et ayant accompli la vision et la prophétie, a été oint par l’esprit du Père dans la chair qu’il avait revêtue. La royauté du Christ appartient donc à ces soixante-deux semaines et à la semaine unique, comme a dit le prophète, La moitié de la semaine suivante occupe la fin du règne de Néron, et part de l’époque où cet empereur mit l’abomination dans la ville sainte de Jérusalem ; et la seconde moitié de cette semaine le vit périr lui-même, ainsi que Galba, Othon et Vitellius ; elle vit également l’élection de Vespasien à l’empire, la destruction de Jérusalem et la désolation du temple. Pour celui (qui peut comprendre, il est évident que les choses se sont réalisées comme le prophète les avait annoncées. Ainsi donc, [après la onzième année, et au commencement de la suivante, qui fut la première du règne de Joachim, Nabuchodonosor, qui depuis sept ans régnait en Assyrie, transféra les habitants de Jérusalem à Babylone. Cette captivité frappa les Juifs dans la deuxième année du règne de Japhré, roi d’Égypte, et dans la première année de la quarante-huitième Olympiade, lorsque Athènes avait pour archonte, Philippe. Elle dura soixante-dix ans, puisqu’elle prit fin dans la seconde année du règne de Darius, fils d’Hystaspe, qui fut roi des Perses, des Assyriens et des Égyptiens, De son temps prophétisaient, ainsi que nous l’avons déjà dit, Aggée, Zacharie et Malachie, l’un des douze prophètes. Alors aussi, Jésus, fils de Josedec, était grand-prêtre. Or, dans la seconde année du règne de Darius, qui, selon Hérodote, renversa le gouvernement usurpateur des Mages, Zorobabel, fils de Salathiel, fut envoyé pour relever et décorer le temple de Jérusalem. Voici pareillement quelle est la supputation des années pendant lesquelles a duré l’empire des Perses. Cyras régna trente ans ; Cambyse dix-neuf ans ; Darius quarante-six ans ; Xerxès vingt-six ans ; Artaxerxès quarante et un ans ; Darius huit ans ; Artaxerxès quarante-deux ans ; Ochus ou Arsès trois ans ; etc… En somme, toute la suite des rois de Perse donne deux cent trente-cinq ans. Alexandre le macédonien, après avoir détrôné Darius Codoman, commença de régner en Perse. Voici la durée de la domination des rois macédoniens : Alexandre régna dix-huit ans ; Ptolémée, fils de Lagus, quarante ans ; Ptolémée Philadelphe, vingt-sept ans ; puis Ptolémée Évergètes, vingt-cinq ans ; puis Ptolémée Philopator, dix-sept ans ; après lequel Ptolémée Épiphanes, vingt-quatre ans ; à ce dernier succéda Ptolémée Philométor, qui régna trente-cinq ans ; après lui vint Ptolémée Physcon, qui régna vingt-neuf ans ; puis Ptolémée Lathurus, qui régna trente-six ans ; puis Ptolémée Denys, qui régna vingt-neuf ans ; puis enfin Cléopâtre, qui régna vingt-deux ans. Après die s’éleva le royaume de Cappadoce, qui dura dix-huit jours. En somme, toute la suite des rois macédoniens donne trois cent douze ans dix-huit Jours. Il est donc démontré que les prophètes, savoir Aggée, Zacharie et Malachie, l’un des douze, lesquels ont fleuri dans la deuxième année du règne de Darius, fils d’Hystaspe, et commencé à paraître dans la première année de la quarante-huitième Olympiade, sont plus anciens que Pythagore, qui appartient, dit-on, à la soixante-deuxième Olympiade, et plus anciens que Thaïes, le plus ancien des Sages grecs, puisqu’il est né vers la cinquantième Olympiade. Or, les Sages qui ont été revêtus de ce titre, conjointement avec Thaïes, furent contemporains, comme le dit Andron dans son Tripode. Héraclite, postérieur à Pythagore, fait dans ses écrits mention de ce philosophe. Il est donc incontestable que le temps où vécurent les prophètes cités plus haut, comme aussi le temps où fleurirent les philosophes nommés les sept Sages, est postérieur à la première Olympiade, qui elle-même, ainsi que nous l’avons prouvé, est postérieure de quatre cent sept ans à la prise de Troie. Il est donc facile de voir que Salomon, dont le règne correspond à l’époque où régnait Ménéias, contemporain lui-même du siége de Troie, est antérieur, d’un grand nombre d’années, aux Sages de la Grèce. Or, nous avons déjà montré plus haut de combien d’années Moïse est antérieur à Salomon. Alexandre, surnommé Polyhistor, rapporte dans son écrit sur les Juifs, le contenu de quelques lettres de Salomon à Vaphré, roi d’Egypte, et au roi de Tyr, et les réponses de ces deux rois à Salomon. On voit dans ces lettres que Vaphré envoya huit mille ouvriers Égyptiens à Salomon, pour la construction du temple ; et que le roi de Tyr en envoya autant avec un architecte tyrien, né d’une mère juive, de la tribu de David, et nommé Hypéran. L’histoire dit en outre que l’athénien Onomacrite, réputé l’auteur des poèmes attribués à Orphée, vivait sous les Pisistratides, vers la cinquantième Olympiade. Orphée, qui, avec Hercule, fut un des passagers du navire Argo, fut le disciple de Musée. Amphion est antérieur de deux générations au siége de Troie. Démodocus et Phémius, après la prise de Troie, furent célèbres dans l’art déjouer de la harpe, et conquirent l’admiration, Démodocus, des Phéaciens, Phémius, des prétendants de Pénélope. On dit en outre que les oracles en vers attribués à Musée, sont d’Onomacrite ; que la Coupe d’Orphée est de Zopyre d’Héraclée ; et que la Descente aux enfers est de Prodicus de Chio. Ion de Chio rapporte dans ses Triagmes que Pythagore a composé des poèmes qu’il a publiés ensuite sous le nom d’Orphée. Épigènes, dans son traité sur les poèmes attribués à Orphée, avance que la Descente aux enfers et le Discours sacré sont du pythagoricien Cécrops ; et que le Péplum et le Poème de la nature sont de Brontinus. Il en est qui placent aussi Terpandre parmi les anciens poètes. Hellanique rapporte que Terpandre est né du temps de Midas ; mais Phanias place Leschès de Lesbos et Archi loque avant Terpandre, et rapporte que Leschès de Lesbos lutta contre Archiloque et remporta la palme. Or, selon Xanthus de Lydie, la ville de Thasos a été fondée vers la dix-huitième Olympiade, et selon Denys, vers la quinzième. Il est en effet constant que le poète Archiloque était déjà connu après la vingtième Olympiade, puisqu’il parle de la destruction de Magnésie comme d’une calamité récente. On rapporte que Simonides fut contemporain d’Archiloque, et que Callinus n’est pas d’une époque beaucoup plus reculée ; car Archiloque parle de la destruction de Magnésie, et Callinus de l’état florissant de cette ville. Mais Eumèles de Corinthe était d’une époque plus reculée ; car les historiens rapportent qu’il connut Archias, le fondateur de Syracuse. Je suis entré dans de pareils développements, parce qu’on range surtout les poètes cyniques parmi les plus anciens poètes. On rapporte que les Grecs aussi ont eu de nombreux devins ; les Bacides, par exemple, l’un béotien, l’autre arcadien, ont rendu, dit-on, une foule d’oracles. Ce fut par le conseil de l’athénien Amphilyte que Pisistrate consolida son œuvre tyrannique ; ce fut Amphilyte qui lui indiqua le moment favorable pour s’emparer du pouvoir. Je passe sous silence Comète de Crète, Cinyras de Chypre, Admète de Thessalie, Aristée de Cyrène, Amphiaraùs d’Athènes, Timoxène de Corcyre, Démœnète de Phocée, Épigènes de Thespies, Nicias de Carystie, Ariston de Thessalie, Denis de Carthage, Cléophon de Corinthe, Hippo, la fille de Chiron, et Beo, et Manto, et la foule des sybilles, la sybille de Samos, celle de Colophon, celle de Cumes, celle d’Erythrée, celle de Pytho, celle de Taraxandre, celle de Macétis, celle de Thessalie, celle de Thesprotis ; et Calchas et Mopsus, tous deux contemporains du siége de Troie. Mais Mopsus était plus âgé, puisqu’il avait été l’un des argonautes. On dit que Battus de Cyrène est l’auteur du traité sur l’art divinatoire appelé Divination de Mopsus. Dorothée, dans la première partie de sa compilation, rapporte que Mopsus a entendu Alcyon et Coroné. Le grand Pythagore se livra toujours à l’étude de la divination, et eut foi dans les oracles de cet art. Il en fut de même d’Abaris l’hyperboréen, d’Aristée de Marmora, du crétois Épiménides qui vint à Sparte, et du mède Zoroastre, et d’Empédocle d’Agrigente, et de Phormion de Sparte, et de Polyaratus de Thasos, et d’Empédotime de Syracuse, et enfin, et surtout, de l’athénien Socrate. « Je tiens de la faveur divine, dit-il, dans le Théagé, un démon qui m’accompagne depuis l’enfance, et qui m’avertit. C’est ne voix qui, lorsqu’elle s’élève, me détourne de ce que je vais faire, mais qui ne m’excite jamais. » Exéceste, tyran des Phocéens, portait à Tune de ses mains deux anneaux magiques, et par le son qu’ils rendaient en s’entrechoquant, jugeait du moment où il devait agir. Il fût cependant tué par ruse, bien que le bruit de ses anneaux lui eût d’avance présagé cette mort, comme le dit Aristote, dans son livre sur la république des Phocéens. Nous citerons en outre, parmi les Égyptiens qui jadis furent hommes, mais que leurs semblables ont déifiés, Hermès de Thèbes, Esculape de Memphis, Tireftias et Manto de Thèbes, comme dit Euridipe ; et Hélène, Laocoon, Ænone et Grenus, tous quatre de Troie. Ce Crénus, l’un des Héraclides, fût, dit-on, un devin remarquable. Nous citerons encore Jamus d’Élide, de qui descendent les Jamides, et Polyde, qui fut célèbre à Argos et à Mégare. C’est de lui que parle le poète tragique. Quest-il besoin de citer Télème, qui fut le devin des cyclopes, et qui prédit à Polyphème le coup dont le frapperait Ulysse, dans le cours de ses voyages ; ou bien Onomacrite d’Athènes, ou Amphiaraûs que l’on dit antérieur d’une génération à la prise de Troie, et qui fut l’un des sept chefs qui combattirent devant Thèbes ; ou Théoclymène de Céphalonie, ou Telmesse de Carie, ou Galéus de Sicile ? Outre ceux-là, il en fut encore d’autres, tels que, Idmon, l’un des Argonautes, Phémonoé, la pythonisse de Delphes, Mopsus fils d’Apollon et de Manto et originaire de Pamphylie, Amphiloque, fils d’Amphiaraûs et originaire de Cilicie, Alcméon d’Acarnanie, Anlas de Délos et Aristandre de Telmesse qui suivit Alexandre. Philochore, dans le premier livre de son traité sur l’art divinatoire, rapporte qu’Orphée aussi fut devin. Théopompe, Éphore et Timée, parlent d’un devin nommé Orthagore ; Pythocie de Samos, dans le quatrième livre de son histoire d’Italie, fait mention d’un autre devin nommé Caïus-Julius-Nepos. Mais de tous les Grecs dont nous avons cité les noms, les uns furent des brigands et des voleurs, comme dit l’Écriture, et la plupart de leurs prédictions n’eurent d’autre base que des observations matérielles et que des conjectures, comme les médecins qui, dans l’exercice de leur art, prennent pour seul guide la physiognomonie. Les autres furent inspirés par des démons, ou jetés dans des extases prophétiques soit par les vapeurs qui s’élèvent des eaux, soit par l’odeur des parfums, soit par certaines émanations atmosphériques. Mais les prophètes hébreux tenaient du ciel leur puissance divinatrice. Tel ftit avant la loi, Adam qui prédit l’avenir dans les paroles qu’il prononça sur la femme, et qui prophétisa encore en donnant aux animaux le nom que chacun d’eux devait porter. Tel fut Noé, qui prêcha la pénitence ; tels furent Abraham, Isaac et Jacob, qui d’avance annoncèrent clairement un grand nombre de faits qu’un avenir éloigné recelait encore, et de ceux dont l’accomplissement était déjà proche. Tels furent, sous la loi, Moïse et Aaron, et après eux Jésus, fils de Navé, Samuel, Gad, Nathan, Achias, Saméas, Jéhu, Héli, Elle, Michée, Abdiu, Elisée, Abdadonaï, Amos, Isaïe, Osée, Jonas, Joël, Jérémie, Sophonie, fils de Chusi, Ézéchiel, Urias, Habacuc, Nahum, Daniel, Misaël, l’auteur du traité sur les arguments, Aggée, Zacharie, Malachie l’un des douze, en tout trente-cinq prophètes. Parmi les femmes, (car elles aussi prophétisaient) ; nous trouvons Sara, Rébecca, Débora et Olda. Puis sous la loi ancienne encore, Jean prophétisa jusqu’au baptême du Sauveur. Après la naissance du Christ, paraisse