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Origène

EXHORTATION AU MARTYRE

Titre 5
Titre 5

SOMMAIRE

LIVRE AUDIO

1- Vous ne vous nourrissez plus de lait, comme des enfants à la mamelle. Voici donc votre partage : une tribulation au-dessus de toute tribulation, mais aussi une espérance au-dessus de toute espérance : encore un moment, souffrez encore un moment les mépris et la calomnie1. Vous aussi, puisque vous n'êtes plus des hommes charnels ni des enfants en Jésus-Christ, mais que vous avez fait assez de progrès dans la vie spirituelle pour préférer au lait un aliment solide2 ; voici, vertueux Ambroise et pieux Protoctète, en quels termes Isaïe annonce à ceux qui, comme vous, dédaignent le lait des enfants à la mamelle pour la nourriture des athlètes, non pas simplement une tribulation, mais un genre de tribulation au-dessus de toute tribulation. Toutefois celui qui ne recule pas devant cette épreuve, mais qui l'accepte comme un athlète courageux, est aussitôt récompensé par une espérance au-dessus de toute espérance. Et après une tribulation dont la brièveté surpassera aussi son espérance, il jouira de la réalité. C'est le sens de ces paroles : Encore un moment, encore un moment.



2- Mais quand même nous serions un objet de dérision et de mépris pour les ennemis de notre foi, quand ils nous appelleraient impies ou insensés, souvenons-nous de cette promesse des divines Écritures qui nous assure dans un moment cette espérance qui surpasse toute espérance, pour nous dédommager du mépris et de la calomnie. Qui pourrait donc hésiter à accepter cette tribulation au-dessus de toute tribulation, puisqu'elle doit être suivie d'une espérance qui surpasse toute espérance, s'il considère avec saint Paul que les souffrances de la vie présente n'ont aucune proportion avec cette gloire qui doit un jour éclater en nous3, et qu'à mesure que nous voyons s'accroître cette légère tribulation du moment4, légère en effet et qui mérite vraiment ce nom pour ceux qui ne se laissent pas appesantir par ce qui les entoure. Elle augmente aussi proportionnellement en nous le poids immense de l'éternelle gloire, à cette condition toutefois que lorsque nous serons en présence des auteurs de cette tribulation, de ceux qui voudraient, pour ainsi dire, anéantir nos  âmes, nous écarterons de notre esprit la pensée de toutes nos souffrances, pour considérer, non ces tortures présentes, mais les  biens  qui  doivent récompenser le courage de ceux qui auront légitimement combattu en Jésus- Christ5, et que leur tient en réserve la grâce de Dieu, ce Dieu qui dédaigne de répandre ses bienfaits avec parcimonie, mais qui les multiplie, les prodigue au- delà du mérite des souffrances endurées dans le combat, et avec une munificence digne de lui. Car il sait glorifier ses dons sur ceux qui ont méprisé ce vase d'argile, et manifesté de tout leur pouvoir qu'ils l'aiment de toute leur âme.



3- Ceux-là, selon moi, aiment Dieu de toute leur âme, qui, pressés d'un ardent désir de se réunir à lui, la séparent, la dégagent entièrement non seulement de ce corps terrestre, mais encore de tous les objets sensibles, et qui abandonnent sans regret, comme sans résistance, ce corps vil, lorsque le terme arrive où ce qu'on appelle la mort nous dépouille de ce corps mortel6, et que Dieu exauce enfin la prière de celui qui a dit avec l'Apôtre : Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ?7 Parmi ceux qui gémissent dans ce monde d'un jour sous le fardeau de ce corps corruptible, quel est celui qui, après s'être écrié : Qui me délivrera de ce corps de mort ? ne rendra pas grâce à Dieu en se voyant délivré par ces paroles et ne poussera pas ce cri d'une sainte allégresse : Grâces à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur !8 Celui qui trouverait cet effort trop difficile, n'a pas été altéré du Dieu fort et vivant ; il n'a pas soupiré après lui, comme un cerf soupire après l'eau d'une source9. Il n'a pas dit : Quand donc pourrai-je paraître en présence de mon Dieu ? Son coeur n'a pas éprouvé les sentiments du prophète lorsqu'on lui demandait  :  Où  est-il  ton Dieu ? Pour lui, chaque jour, quand il sentait son âme défaillir en lui-même, il lui reprochait sa tristesse et son trouble, en disant : Oui, j'entrerai dans ce tabernacle admirable ; je pénétrerai dans le sanctuaire de Dieu, au milieu des chants d'allégresse, des cantiques de joie qui retentissent dans nos solennités10.



4- Je voudrais donc vous voir, au milieu du combat qui s'apprête, à la pensée de cette récompense immense réservée dans le ciel à ceux  qui souffrent la persécution et les opprobres pour la justice et pour le Fils de l'homme11, je voudrais vous voir tressaillir, bondir, danser de joie, comme autrefois les apôtres, qui s'applaudissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir tous les outrages pour son nom12. Si votre âme éprouve parfois quelque trouble, que l'esprit de Jésus-Christ qui est en vous, et que ce trouble tente vainement d'étouffer, s'écrie : Ô mon âme, d'où vient cette tristesse et pourquoi cet abattement ?Espère en Dieu, car je veux le louer encore13. Mais puisse votre âme ne pas ressentir ce trouble ; puisse-t-elle, en face des tribunaux, quand vous sentirez la pointe du glaive appuyée sur votre poitrine, conserver cette paix de Dieu qui surpasse tout sentiment14, et rester calme en pensant que nous ne sortons de ce corps que pour paraître en présence du Dieu de l'univers15. Si cependant nous ne sommes pas assez maîtres de nous-mêmes pour conserver toujours cette tranquillité, que notre âme du moins ne se laisse pas abattre par le découragement ; que son émotion ne paraisse pas aux yeux des hommes, afin qu'il nous reste cette excuse devant Dieu, et que nous puissions lui dire : Seigneur, j'ai renfermé mon trouble au-dedans de moi-même16. La raison exige encore que nous nous souvenions de cette parole du Prophète Isaïe : Ne craignez point l'opprobre qui vient des hommes, et ne vous laissez pas abattre par leur mépris17. Car puisque la providence de Dieu veille sur tout ce qui se passe dans le monde, et sur les révolutions des astres, et sur les oeuvres de ses divines mains qui remplissent la terre et la mer, afin que toutes les espèces d'animaux et de plantes se reproduisent, se conservent, se nourrissent et s'accroissent, ne devrions-nous pas rougir de notre pusillanimité, lorsqu'au lieu de tourner avec confiance nos regards vers Dieu,  nous  les portons avec crainte vers des hommes qui demain doivent mourir et être livrés aux supplices qu'ils ont mérités !



5- Dieu dit autrefois à Abraham : Sors de ta patrie !18 Bientôt il nous dira peut-être à nous-mêmes : sortez de toute la terre. Notre bonheur est de lui obéir, afin qu'il se hâte de nous ouvrir les cieux où s'élève ce qu'on appelle son royaume. Il faut que ceux qui combattent considèrent que la vie est une arène où les hommes luttent sans cesse pour la renommée d'une foule de vertus. En effet, les uns paraîtront avoir combattu pour la tempérance, même dans  un camp opposé à Dieu ; les autres, avoir préféré une mort généreuse à la honte d'avoir abandonné le Dieu de l'univers : ceux-ci, qui se sont distingués par leurs connaissances, seront regardés comme des disciples de la sagesse ; ceux-là, en se proposant une vie juste, ont acquis le titre d'amis de la justice. Ainsi la prudence de la chair et la plupart des choses extérieures combattent contre toutes les vertus. Mais c'est pour l'amour de Dieu seul que combat cette race choisie, ce sacerdoce royal, cette nation sainte, ce peuple racheté19, tandis que le reste des hommes ne daigne pas même feindre, au temps de persécutions qui s'élèvent contre la piété, le moindre désir de mourir pour elle, en préférant la mort avec la piété, à l'impiété avec la vie. Tels sont cependant ceux qui croient en Dieu du fond du coeur pour la justice, et qui le confesse de bouche pour le salut20. Ils comprennent qu'ils ne peuvent être justifiés que par cette foi et ces dispositions du coeur, et qu'ils ne seront sauvés qu'autant que leur bouche sera l'interprète de leurs sentiments. C'est se tromper soi-même que d'imaginer qu'il suffit, pour obtenir la couronne en Jésus-Christ, de croire de coeur pour la justice, sans y joindre la confession de bouche pour le salut, et j'ose dire que Dieu pourrait plutôt être honoré des lèvres par celui dont le coeur est éloigné de lui, que d'être honoré de coeur, quand la bouche refuse de le confesser pour obtenir le salut.



6- Quant à ceux qui, devant le tribunal, ou même avant d'y être conduits, abjurent le christianisme, ils ne rendent pas un culte aux idoles, il est vrai, mais ils les adorent en donnant le nom de Dieu à une matière vile et inanimée. Ainsi le peuple adora les idoles, sans leur rendre un culte, lorsqu'il se souilla avec les filles des Moabites. Voici ce qu'en dit l'Écriture : Elles les invitèrent aux sacrifices de leurs idoles, et le peuple mangea de ces sacrifices, et il adora leurs dieux, et Israël fut initié au culte de Belphégor21. Remarquez qu'on ne dit pas qu'ils rendirent un culte aux dieux des Moabites ; car il était impossible qu'après tant de prodiges éclatants, ils fussent amenés en un seul instant par ces femmes impudiques à regarder des idoles comme des dieux. Peut-être aussi quand ils se firent un veau d'or, comme le rapporte l'Exode, qu'ils l'adorèrent sans rendre un culte de coeur à cet ouvrage de leurs mains. Ainsi, le combat qui s'apprête est une épreuve décisive, qui donnera la mesure de notre amour pour Dieu ; car il est écrit dans le Deutéronome : Dieu vous éprouve pour savoir si vous aimez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur, de toute votre âme22. Mais quand vous êtes tentés, suivez le Seigneur votre Dieu, craignez-le, et gardez ses commandements ; surtout celui-ci : Vous n'aurez point d'autre Dieu que moi23. Écoutez sa voix, attachez-vous à celui qui, au sortir de ce monde, vous recevra dans son sein et vous donnera, selon le langage de l'Apôtre, cette grandeur divine que vous devez avoir en lui24.



7- Que si toute parole criminelle est en abomination aux yeux du Seigneur votre Dieu25, que penser du crime de celui qui le renie ; du crime de celui qui proclame un autre Dieu ; du crime de celui qui jure par la chose du monde la plus vaine, la fortune d'un homme ? Quand on nous proposera le serment, souvenons-nous de ces paroles : Et moi je vous défends de jurer absolumen26t. Si, en effet, celui qui jure par le ciel profane le trône de Dieu ; si celui qui jure par la terre commet une impiété en attribuant la divinité à ce qu'on appelle le marchepied de Dieu ; si celui qui jure par Jérusalem pèche, parce que Jérusalem est la cité du grand Roi ; si celui qui jure par sa propre tête se rend également coupable, n'est-ce pas un plus grand crime encore de jurer par la fortune d'un autre ? C'est alors qu'il faut se rappeler cet avertissement : Vous rendre compte au jour du jugement de toute parole inutile27. Or, peut-il être une parole plus inutile et plus vaine que ce serment qui de plus renferme une apostasie ? Car on ne doit jamais, en aucune manière, adorer les créatures en présence du Créateur, qui est assez puissant pour exaucer, que dis-je, pour prévenir toutes nos prières. Le soleil, le soleil lui-même repousse les  adorations des serviteurs de Dieu, et sans doute aussi de tous les autres mortels, mais imitant celui qui disait : Pourquoi m'appelez-vous bon ? nul n'est bon que Dieu le Père28, il semble dire à son tour à celui qui voudrait l'adorer : Pourquoi m'appeler Dieu ? il n'est qu'un seul vrai Dieu. Pourquoi m'adorer ? Vous adorerez le Seigneur votre Dieu et vous ne servirez que lui seul29. Je ne suis moi-même qu'une créature : pourquoi voulez-vous adorer celui qui adore ? car moi aussi j'adore et je sers Dieu le Père, et obéissant à ses lois, je suis assujetti à la vanité à cause de celui qui a voulu m'y assujettir, dans l'espérance que je serai délivré de la prison de ce corps corruptible et affranchi de la corruption, pour participer à glorieuse liberté des enfants de Dieu30.



8- Il faut s'attendre au sophiste de quelque prophète d'impiété, de plusieurs peut-être. Ils nous citeront : comme un commandement du Seigneur ce que le Seigneur n'a pas commandé31, comme des discours de la sagesse, les discours que la sagesse réprouve, afin de nous donner la mort par les paroles qui sortent de leur bouche. Mais nous, quand le pécheur se présentera devant nous, crions-lui : Je suis comme un sourd dont l'oreille est fermée, comme un muet dont la langue est captive, comme un homme enfin qui n'entend rien32. Il est beau d'être sourd aux discours impies, quand nous désespérons de corriger la perversité de ceux qui les tiennent.



9- Il nous sera encore utile, quand nous serons sollicités à violer la loi de Dieu de penser au sens mystérieux que renferme cette parole : Je suis le Seigneur ton Dieu, mais un Dieu jaloux33. Ainsi un amant, quelque modéré qu'il soit, pour inspirer à sa fiancée l'amour de la chasteté, posséder seul toute sa tendresse, et l'empêcher de se jeter dans les bras d'un autre, feint une jalousie qu'il ne ressent pas, afin de fortifier par cette feinte, comme par un puissant remède, le coeur trop faible de son amante. Il me semble qu'à cet exemple, le législateur suprême, surtout en présence du premier-né de toutes créatures34, dit à l'âme, son épouse, qu'il est un Dieu jaloux, afin d'éloigner ceux  qui l'écoutent de tout commerce avec les démons et avec ceux qu'on appelle des dieux. Comme Dieu jaloux, il parle en ces termes de ceux qui, de quelque manière que ce soit, suivent des dieux étrangers : Ils ont provoqué ma jalousie par leur amour pour ce qui n'était pas dieu : et moi, je les rendrai jaloux à mon tour d'un peuple qui n'est pas mon peuple ; un peuple insensé excitera leur envie ; car la colère vient d'allumer en moi un feu qui brûlera jusqu'au fond des enfers35.



10- Si ce n'est pas pour lui-même que le divin époux, qui est sage et inaccessible au trouble des passions, cherche à préserver sa fiancée de tout ce qui pourrait la flétrir, il mettra du moins tout en oeuvre, dans l'intérêt de celle dont  il voit les souillures et les impuretés, pour la guérir et la ramener à lui : il emploiera tous les moyens capables de toucher une créature libre et maîtresse de sa volonté pour la sauver du déshonneur. Et quelle tache plus flétrissante pour l'âme que de proclamer, de quelque manière que ce soit, un autre dieu, et de ne pas confesser le seul et unique Seigneur. S'il est vrai de dire que celui qui s'attache à une courtisane ne fait plus qu'un même corps avec elle36 ; je pense aussi que celui qui confesse un autre Dieu, surtout quand il est interrogé sur sa foi et mis à la question, s'unit, se confond avec ce Dieu qu'il confesse. Quant à celui qui désavoue le Seigneur, son désaveu est comme un glaive qui le divise, qui le sépare du Seigneur qu'il désavoue. Mais, puisqu'il doit arriver nécessairement que le Christ confesse celui qui l'aura confessé, et renie celui qui l'aura renié, selon cette parole : Celui qui m'aura confessé devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père céleste37 ; considérez si le Verbe, qui est la vérité même, ne pourra pas dire encore, tant à celui qui le confesse qu'à celui qui le renie : On se servira envers toi de la même mesure dont tu te seras servi le premier38. Ainsi, vous, vous n'avez pas rougi de me reconnaître, je vous reconnaîtrai à mon tour, et vous recevrez mesure pour mesure, une mesure pleine, pressée, surabondante, qui débordera dans votre sein. Vous, au contraire, vous m'avez désavoué, vous recevrez aussi mesure pour mesure, et à mon tour je vous désavouerai.



11- Mais, en confessant Jésus-Christ, comment peut-on remplir ou ne pas remplir la mesure, et quand cette mesure est-elle insuffisante ? C'est ce que nous allons voir. Si durant tout le temps des enquêtes et des épreuves, nous fermons l'entrée de notre coeur au démon, qui cherche à nous souiller par de criminelles pensées d'apostasie, d'hésitation, ou de toute autre transaction honteuse, et qui nous sollicite à tout ce que peut mettre obstacle à l'accomplissement du martyre ; si nous n'avons nous-mêmes à nous reprocher aucune parole opposée à notre profession de foi ; si nous savons tout supporter de la part de nos ennemis, et les outrages, et les insultes, et les dérisions, et l'infamie, et la fausse compassion, qu'ils semblent nous témoigner quand ils nous regardent comme des insensés qui s'égarent, et qu'ils nous appellent des victimes de la séduction ; si l'amour de nos enfants, de notre épouse, de tout ce que nous avons de plus cher au monde, n'est capable, ni de nous retenir, ni de nous entraîner ; si nous renonçons à nos biens et à la vie même, et que, détournant les yeux de tout ce que nous aimons sur la terre, nous soyons tout à Dieu, uniquement occupés de cette vie céleste, que nous devons trouver en lui et avec lui, dans une union intime avec son Fils unique et tous ceux qui participent à son héritage ; alors nous pourrons dire que nous avons comblé la mesure d'une véritable profession de foi. Mais si, au contraire, nous manquons à un seul de ces devoirs, notre mesure ne sera pas remplie, et nous déshonorons notre foi. Aussi, nous trouverons-nous dans le même dénuement que ceux qui ont élevé sur un fondement solide des édifices de bois, de joncs ou de paille39.



12- Il faut que nous sachions que Dieu ne nous a institués ses légataires par son testament qu'à certaines conditions que nous avons acceptées, quand nous avons promis de vivre conformément aux lois de la religion chrétienne. Or, ces conventions établies entre Dieu et nous renferment toute la loi évangélique ; et voici ce que dit l'Évangile : Celui qui veut me suivre doit renoncer à lui-même, porter sa croix et marcher sur mes traces ; celui qui voudra sauver a vie, la perdra ; et celui qui aura perdu sa vie pour moi, la sauvera. Que servirait à l'homme, en effet, de gagner tout l'univers en perdant sa vie ? et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? Car le Fils de l'homme doit venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il récompensera chacun selon ses oeuvres40. Quant à la nécessité de renoncer à soi-même, de porter la croix et de suivre les traces de Jésus, ce n'est pas saint Matthieu seul qui nous l'enseigne dans le passage que nous venons de citer, mais encore saint Luc et saint Marc. Écoutez ce que dit saint Luc : Celui qui veut me suivre doit renoncer à lui-même, porter sa croix, et marcher sur mes traces. Celui qui aura voulu sauver sa vie, la perdra ; et celui qui aura perdu sa vie pour moi, la sauvera. Que sert à l'homme, en effet, de gagner l'univers entier, et de se perdre lui-même ? 41 Voici maintenant les paroles de saint Marc : La multitude s'étant rassemblée, ainsi que ses disciples, il leur dit : "Celui qui veut me suivre doit renoncer à lui-même,porter sa croix, et marcher sur mes traces. Car celui qui voudra sauver sa vie, la perdra ; et celui qui l'aura perdue à cause de l'Évangile, la sauvera. Que servirait  à l'homme de gagner le monde entier et de perdre son âme ? car, que pourrait-il donner en échange de sa âme ?42" Ainsi nous avons dû depuis longtemps renoncer à nous-mêmes, et dire : Non, je ne vis plus43. Voici le moment de montrer si nous avons porté cette croix et suivi Jésus-Christ. Il en est ainsi si Jésus-Christ vit en nous. Voulons-nous sauver notre vie pour en retrouver une meilleur, sachons la perdre par le martyre. Oui, en la perdant pour Jésus-Christ, en lui faisant ce sacrifice, en mourant pour lui, nous sommes certains de la sauver. Autrement, nous apprendrons qu'il ne sert de rien de gagner tout le monde visible au détriment de son âme ; et que celui qui l'aura une fois perdue, ne pourra, quand même il aurait conquis le monde entier, la racheter à ce prix. Car cette âme, faite à l'image de Dieu, est plus précieuse que l'ensemble de toutes les autres créatures ; et celui-là seul a pu payer la rançon de notre âme qui nous a rachetés par son précieux sang44.



13- Si donc vous êtes animés d'un ardent désir de connaître Jésus- Christ, si, dans votre impatience de vous élever au-dessus de cette condition, où vous ne l'apercevez que comme dans un miroir et sous des images obscures45, vous vous hâtez de suivre celui qui vous a appelés, vous le connaîtrez alors mieux que vous ne l'avez jamais connu, c'est-à-dire que vous le verrez face à face, comme des amis du Père céleste. Car c'est par la vue qu'il se fait connaître à ses amis, et ce n'est pas seulement par des symboles énigmatiques, ni par l'intelligence des mots, des paroles, des signes ou des figures qu'ils pénètrent la nature des choses intelligibles, ou qu'ils découvrent la splendeur de la vérité. S'il est vrai que Paul ait été ravi jusqu'au troisième ciel, et qu'il ait entendu des paroles mystérieuses qu'il n'est pas permis à l'homme de répéter46, vous devez comprendre que vous connaîtrez alors de plus nombreux, de plus grands mystères que ceux qui furent révélés à l'Apôtre ;e t qu'une fois cette connaissance acquise, vous ne redescendrez plus comme lui sur la terre,

si vous portez votre croix pour suivre Jésus-Christ, notre grand pontife, qui a pénétré dans les cieux47. Et vous aussi, si vous ne vous éloignez point de lui, vous pénétrerez dans les cieux ; vous vous élèverez au-dessus, non seulement des mystères terrestres, mais encore des cieux et de toutes les puissances célestes ; car Dieu renferme en lui, comme dans un riche trésor, de plus magnifiques spectacles que n'en peut contempler aucune créature tant qu'elle reste attachée à un corps. Non, je n'en doute point, tout ce que peuvent découvrir le soleil, et l'astre des nuits, et l'armée des étoiles, et le choeur même des saints anges, que Dieu a faits esprit et flamme48 ne saurait être comparé à la grandeur, à la magnificence que Dieu recèle en lui, et qu'il nous manifestera lorsque toutes les créatures seront affranchies de cet asservissement à la corruption, pour participer à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu49.



14- Examinez avec soin les paroles de l'Évangile, et il vous sera facile de comprendre, pieux Ambroise, que parmi ceux qui ont vécu, il 'n'en est point, ou il n'en est qu'un petit nombre, qui doivent atteindre un aussi haut degré de bonheur et de gloire que celui qui vous est réservé, si vous soutenez cette épreuve sans faiblesse. Voici les paroles dont je parle : Pierre dit un jour au Sauveur : tu le vois, nous avons tout quitté pour te suivre ; mais quelle sera notre récompense ? Jésus leur répondit (il s'adresse à tous les apôtres) : En vérité, je vous le dis ; au jour de la régénération, lorsque Dieu sera assis sur le trône de sa gloire, vous qui m'avez sui, vous serez assis vous-mêmes sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël ; et celui qui aura quitté pour mon nom ses frères, ou ses soeurs, ou ses parents, ou ses enfants, ou ses terres, ou ses maisons, recevra en échange de plus grands biens, et possédera la vie éternelle50. Pleins de confiance dans cette parole, je voudrais, comme vous, nager au sein de l'opulence, être plus riche encore, puis devenir martyr pour Dieu en Jésus-Christ, afin de recevoir une plus grande récompense, ou selon l'expression de saint Marc, le centuple51 de tout ce que j'aurais perdu. Oui, nous recevrons bien davantage, puisque le peu que nous laisserons, si nous sommes appelés au martyre, doit être cent fois multiplié. C'est pourquoi, si Dieu me destine à ce noble sacrifice, je voudrais pouvoir abandonner des enfants, des maisons, des terres, afin que Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, de qui découle toute paternité au ciel et sur la terre52, me reçoive dans son sein, et que je sois appelé le Père d'enfants plus nombreux et plus saints, ou, pour parler exactement, d'un nombre cent fois plus grand.



15- Si cette surabondance de biens excite la jalousie, si l'on envie le bonheur des riches, des pères, qui par le martyre doivent engendrer cent fois autant d'enfants, recevoir cent fois autant de terres et de maisons qu'ils en auront perdu, et qu'on me demande : est-il donc juste que ceux-ci aient une plus grande part dans les biens spirituels que les martyrs qui sont pauvres dans cette vie ? Je répondrai : Ceux qui ont souffert les tortures et les supplices n'ont- ils pas montré dans le martyre une plus haute vertu que ceux qui n'ont pas eu de semblables épreuves à subir ? Ceux aussi qui, non seulement ont renoncé au corps et à la vie, mais qui, par la grandeur de leur amour pour Dieu, ont brisé des liens si nombreux et si puissants, qui ont véritablement reçu cette parole de Dieu, vive, efficace, plus pénétrante qu'une épée à deux tranchants53, ceux-là, dis-je, ont reçu le pouvoir, après la rupture de tant de liens, de revoler comme l'aigle, sur les ailes qu'ils se sont préparées eux-mêmes, vers le palais de leur maître. Or comme il est juste que ceux qui n'ont pas été éprouvés par les tortures et les souffrances cèdent les premières places à ceux qui  ont  fait éclater leur courage sur les chevalets, sur les bûchers, dans les différents genres de supplices, nous devons aussi, nous qui sommes pauvres, quand même nous serions martyrs, vous laisser les premiers rangs, à vous, qui, pour l'amour de Dieu en Jésus-Christ, foulez aux pieds cette gloire trompeuse, et cependant si recherchée de la plupart des hommes, et d'immenses richesses, et cette tendresse si naturelle d'un père pour ses enfants.



16- Mais remarquons en même temps la gravité de l'Écriture, qui promet beaucoup plus, cent fois plus même, de frères, d'enfants, de parents, de terres et de maisons, mais qui ne fait nulle mention de l'épouse ; car il n'est pas dit : « Quiconque aura abandonné ses frères, ou ses soeurs, ou ses parents, ou ses enfants, ou ses terres, ou ses maisons, ou son épouse pour mon nom, en recevra un plus grand nombre » ; parce que au jour de la résurrection, les hommes n'auront plus de femmes, ni les femmes des maris, mais tous seront comme les anges dans le ciel54.

Ce que Josué disait au peuple que Dieu avait mis en possession de la terre sainte, l'Écriture pourrait aussi nous le dire aujourd'hui : Maintenant craignez le Seigneur, et servez-le dans l'équité et dans la justice55. Et lorsqu'on voudra nous entraîner au culte des idoles, elle ajoutera : Ôtez du milieu de vous ces dieux étranges qu'ont servi vos Pères de l'autre côté du Jourdain et dans l'Égypte, et servez le Seigneur. Autrefois, avant de vous transmettre les premiers éléments de la foi, elle a pu vous adresser ces paroles : Si vous ne voulez pas servir le Seigneur, choisissez qui vous voulez servir, ou les dieux qu'ont servis vos Pères au-delà du Jourdain, ou les dieux des Amorrhéens dont vous habitez le pays56. Celui qui vous instruisait alors aurait ajouté : Quant à moi et à ma famille, nous servirons le Seigneur parce qu'il est saint57. Mais aujourd'hui ce n'est plus le moment de vous tenir un pareil langage, car vous avez répondu alors : Loin de nous la pensée d'abandonner le Seigneur et de servir des dieux étrangers ! Le Seigneur est notre Dieu. Or, dans cette alliance que vous avez faite avec lui en présence de vos maîtres dans la foi, vous vous êtes engagés par ces mots : Nous servirons donc le Seigneur, parce qu'il est notre Dieu58. Mais si celui qui viole un engagement sacré envers les hommes perd tout droit à la confiance et s'expose à leur mépris, que penser de l'apostasie qui rompt le traité conclu avec Dieu, et ramène le parjure sous les lois  de  Satan, auquel il avait renoncé par son baptême ? Il faut lui dire ce que disait Élie à ses fils : Quand un homme offense un autre homme, on peut prier pour lui ; mais s'il offense Dieu, qui priera pour lui ?59



17- Lorsque Dieu vous destine au martyre, une multitude immense est appelée à être témoin de votre combat : ce sont comme des milliers de spectateurs qui accourent de toutes parts pour admirer d'illustres athlètes. Vous pouvez donc dire aussi bien que Paul, au milieu de la lutte : Nous sommes donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes60. Oui, le monde entier, tous les anges placés soit à la droite, soit à la gauche de Dieu, tous les hommes, aussi bien ses serviteurs que ses ennemis, entendront proclamer votre combat pour la foi chrétienne, et les esprits célestes partageront la joie de votre victoire ; les fleuves battront des mains61, les montages tressailliront d'allégresse, tous les arbres des campagnes vous applaudiront en agitant leurs branches62 ; ou bien, ce qu'à Dieu ne plaise, les puissances infernales, qui se plaisent au mal, triompheront de votre chute. Afin de nous inspirer plus d'horreur pour le crime de l'apostasie, écoutons le langage qu'Isaïe prête aux enfers à l'arrivée des vaincus, de ceux qui seront déchus du céleste martyre. Voici, selon moi, ce qu'on doit dire à l'apostat : Tout l'enfer s'est ému dans ses abîmes profonds pour venir au-devant de toi. Ils se sont levés en ta présence, ces géants qui gouvernaient la terre et qui renversaient de leurs trônes les rois des nations. Tous prendront la parole et te diront63 : Mais que pourront dire aux vaincus ces puissances vaincues, et ces captifs du démon aux esclaves de l'apostasie ? Te voilà donc aussi captif comme nous64 ? Celui-là même qui aura donné d'abord de grandes et glorieuses espérances en Dieu, si plus tard il se laisse vaincre par la peur ou par la vue des tortures, entendra ces paroles sortir de la bouche de Dieu : Ta gloire est descendue dans les enfers, la corruption sera ta couche, et les vers te couvriront65. Il s'est peut-être aussi quelquefois rencontré dans les église un de ces hommes brillants de gloire comme autrefois Lucifer, dont les bonnes oeuvres jetaient un grand éclat, mais qui ensuite, engagé dans cette grande lutte, a perdu par sa lâcheté cette belle couronne et ce trône resplendissant : eh bien, voici quelle sera sa sentence : Comment est-il tombé du ciel, cet astre brillant, la splendeur du matin ? Le [197] voici brisé sur la terre66. Et quand, par son apostasie, il sera devenu semblable au démon : Il sera jeté sur les montagnes, confondu avec la foule des morts, comme un cadavre hideux. Un vêtement souillé de sang est considéré comme impur : tu seras toi-même considéré comme impur67. Et comment pourrait-il être pur, celui qui s'est comme souillé de sang et de fange par le crime abominable de l'apostasie et qui s'est déshonoré par un si honteux forfait ? Gardons-nous de laisser même pénétrer dans notre coeur ce doute coupable : faut-il nier, faut-il confesser Jésus-Christ ? dans la crainte qu'on ne puisse nous appliquer cette parole du prophète Élie : Jusques à quand hésiterez-vous d'un côté ou de l'autre

? Si le Seigneur est votre Dieu, suivez-le68.



18- Sans doute nous serons un objet de dérision pour les  uns, d'opprobre pour les autres ; en nous voyant, ceux qui  nous  entourent, secoueront la tête comme à l'aspect d'un insensé. Dans cette conjoncture, disons à Dieu : Seigneur, vous nous avez exposés aux mépris de nos voisins, aux railleries de ceux qui nous entourent. vous avez fait de nous la fable des nations ; les peuples nous insultent en secouant la tête ; car chaque jour me rappelle mon ignominie ; la confusion couvre mon visage à la vue de celui qui me charge d'opprobres et m'accable d'injures, à la vue de mon persécuteur69. Puis nous ajoutons ces paroles du même prophète, pleines d'une sainte liberté

: tous ces maux sont venus fondre sur nous, et cependant nous ne vous avons point oublié ; nous n'avons pas répudié votre alliance, et notre coeur ne s'est pas éloigné de vous70.



19- N'oublions pas, tant que nous sommes sur la terre, de dire à Dieu, en songeant à cette autre vie vers laquelle nous marchons : Seigneur, vous avez détourné nos pas de votre voi71e. Rappelons-nous que ce séjour d'humiliation doit être aussi un séjour d'affliction pour l'âme, afin de dire dans nos prières : Vous nous avez humiliés dans ce lieu d'affliction, et l'ombre de la mort nous a enveloppés72. Ajoutons encore avec confiance : Si nous oublions le nom de notre Dieu, et si nous tendons les bras à un Dieu étranger, Dieu ne nous en demandera-t-il pas compte !73 »



20- Tâchons, par un double martyre, non seulement de rendre hautement témoignage à Dieu, mais encore de nous rendre secrètement témoignage à nous-mêmes, afin de pouvoir dire comme l'Apôtre : Notre gloire est ce témoignage de notre conscience, que nous avons vécu sur cette terre dans la sainteté et la vérité de Dieu74. Aux paroles de l'Apôtre joignons ces paroles du prophète : Dieu connaît les sentiments les plus secrets du coeur75 et surtout quand nous serons conduits à la mort, répétons ces autres paroles qui ne conviennent qu'aux martyrs de Dieu : Parce que nous nous essayons tous les jours pour vous à la mort, nous avons été traités comme des brebis destinées au sacrifice76. Mais si jamais la prudence de la chair nous inspirait la crainte des juges qui nous menacent des supplices, rappelons-nous ce passage des Proverbes : Mon fils, honore le Seigneur, et tu seras fort ; ne crains nul autre que lui77.



21- Il est encore utile de se souvenir de ces paroles de Salomon dans l'Ecclésiaste : J'ai jugé les morts plus dignes de louange que tous ceux qui vivent encore aujourd'hui78. Mais, parmi les morts, en est-il un seul qui mérite plus d'éloges que celui qui s'est précipité au-devant du trépas librement et volontairement pour la foi ? tel fut Éléazar, qui, préférant une mort glorieuse à une vie déshonorée marchait volontairement au supplice. Il considérait avec calme et fermeté ce qu'exigeaient de lui l'autorité de sa longue vieillesse, l'honneur dû à ses cheveux blancs, quatre-vingt-dix années d'une vie innocente et sans tache depuis son enfance, et surtout la loi sainte établie par Dieu. À mon âge, disait-il, feindre serait indigne de moi : je ferais croire à une multitude de jeunes gens qu'Éléazar, à quatre-vingt-dix ans, a embrassé la vie des Gentils : ils seraient trompés par cette ruse, et pour un faible reste de cette vie corruptible j'attirerais sur ma vieillesse la honte et l'exécration. Et quand j'échapperais maintenant aux supplices des hommes, ni durant ma vie, ni après ma mort, je ne pourrais fuir la main du Tout-puissant : mais en mourant avec courage je me montrerai digne de ma vieillesse ; je laisserai aux jeunes gens un exemple de fermeté qui leur apprendra à subir comme un devoir, avec ardeur, avec intrépidité, une mort glorieuse pour nos justes et saintes lois79. Je vous en conjure, quand vous toucherez aux portes de la mort, ou plutôt de la liberté, surtout si l'on vous prépare des tortures, dites au Seigneur, qui possède la science infaillible : Vous savez que j'aurais pur éviter le supplice, et que je souffre dans mon corps de cruelles douleurs ; mais mon âme les endure avec joie pour votre crainte80. Telle fut la mort d'Éléazar, qui laissa non seulement aux jeunes gens, mais à toute la nation, un grand exemple de vertu et de fermeté dans le souvenir de sa mort.



22- Ces frères, au nombre de sept, dont les livres des Maccabées nous ont conservé la mémoire81, et qui persévérèrent dans la religion malgré tous les genres de tortures que leur fit subir Antiochus, pourront nous offrir un illustre exemple du plus courageux martyre, si nous voulons nous demander à nous- mêmes : Montrerai-je plus de faiblesse que ces enfants, dont chacun, non seulement dans ses propres tourments, mais encore à la vue des supplices de ses frères, fit preuve de tant de courage et d'intrépidité ? L'un d'eux, ou plutôt le premier, pour parler comme l'Écriture, dit au tyran : Que veux-tu savoir ? à quoi bon ces questions ? nous sommes prêts à mourir plutôt que de transgresser les lois de nos pères82. Est-il besoin de rappeler ces chaudières d'airain placées sur des brasiers ardents où se terminaient leurs supplices, après qu'ils avaient souffert chacun des tortures différentes. Le premier donc eu d'abord la langue coupée, ensuite la peau de la tête arrachée : il supporta cette cruelle épreuve avec autant de courage que les autres endurent la circoncision ordonnée par la loi de Dieu, croyant lui-même accomplir une des conditions de l'alliance du Seigneur. Ce n'était pas assez pour Antiochus ; il lui fit encore couper les extrémités des pieds et des mains, sous les yeux de ses frères et de sa mère, afin de les torturer eux-mêmes par la vue de ces tourments qui paraissent si cruels, et dans le dessein de les faire renoncer à leur résolution. Antiochus poussa encore plus loin la barbarie : il ordonna que ce corps, qui déjà ne méritait plus ce nom après tant de souffrances, fût jeté dans les chaudières ardentes pour y être brûlé. Mais tandis que les chairs de ce généreux athlète de la religion, ainsi brûlées par les ordres du tyran, exhalaient une odeur affreuse, ses autres frères et leur mère s'encourageaient mutuellement à mourir avec fermeté83, consolés par cette pensée que Dieu était témoin de leur combat ; et cette conviction suffisait pour leur inspirer une constance inébranlable. Oui, certes, le chef de ces guerriers combattant pour l'amour de Dieu les console, tandis qu'il est consolé lui-même et qu'il se réjouit, pour ainsi dire, à la vue de ceux qui sortent vainqueurs comme lui d'une lutte aussi cruelle. Nous devons donc, dans les mêmes circonstances, nous rappeler leurs discours et nous dire à nous-mêmes : Le Seigneur Dieu considérera la vérité, et sera consolé en nous84.



23- Le premier ayant été ainsi éprouvé comme l'or dans la fournaise, le second fut amené pour être livré aux outrages ; on lui arracha aussi la peau de la tête avec les cheveux, et les ministres de la cruauté du tyran l'engageaient à se repentir, en lui demandant s'il ne valait pas mieux manger des viandes offertes aux idoles, que d'avoir tout le corps, tous les membres déchirés85 ? Et comme il répondit qu'il ne voulait point céder, il fut livré aux mêmes supplices que le premier, et conserva son courage jusqu'au dernier soupir. Sans se laisser abattre par les tortures, il disait à ce prince impie : Oui, méchant, tu nous arraches à cette vie ; mais le roi du monde, au jour de la résurrection, nous rendra une vie immortelle, parce que nous serons morts pour ses lois86.



24- Le troisième, méprisant la douleur et la foulant aux pieds dans l'ardeur de son amour pour Dieu, hésita pas, quand on lui demanda sa langue, à l'offrir aussitôt : il étendit aussi les mains avec courage, en disant : c'est pour la loi de Dieu que je livre ces membres ; j'espère qu'il me les rendra tels qu'il a promis de les rendre à ceux qui combattent pour sa religion. Le quatrième fut également livré aux tortures, et, au milieu des tourments, il disait : C'est un bonheur que de quitter la vie, avec l'espoir que Dieu nous la rendra87 au jour de cette résurrection glorieuse où ne sera point appelé ce tyran ; car il ne ressuscitera pas à la vie, mais à une honte, à une infamie éternelle. On tourmenta ensuite le cinquième ; il regardait le roi, et lui reprochait  de considérer dans son orgueil, quoiqu'il ne fût qu'un homme sujet à la corruption, une tyrannie de quelques jours comme une grande puissance. Au milieu de ces tortures, il ajouta : que Dieu n'avait pas abandonné sa nation, et qu'il vengerait un jour ces cruautés sur Antiochus et sur sa race. Le sixième, à son tour, sur le point de mourir, lui dit : Ne te fais pas illusion, c'est à cause de nos péchés que nous sommes punis ; et afin que ces supplices soient pour nous une expiation, nous les supportons avec joie88. Il ajouta : qu'il ne devait pas espérer l'impunité après avoir tenté de combattre contre Dieu ; car c'est attaquer Dieu lui-même que de persécuter ceux que le Verbe a faits Dieux.



25- Enfin Antiochus, prenant le plus jeune entre ses bras et reconnaissant qu'il était vraiment le frère de ceux qui avaient méprisé toutes ces tortures, prévoyant d'ailleurs qu'il montrerait la même fermeté, eut recours, pour l'ébranler, à un autre moyen. Il s'imagina qu'il pourrait le séduire par  des discours flatteurs ; il lui fit le serment que, s'il abandonnait les lois de son pays, il le rendrait riche et heureux, le traiterait en ami, et lui confierait le gouvernement de son royaume89. Mais voyant qu'il ne gagnait rien, et que, dès le premier mot, l'enfant, s'apercevant que ses discours avaient pour but de combattre sa résolution, refusait de l'écouter, il fit appeler sa mère, et l'engagea à donner à son fils un conseil qui pût le sauver. Elle le lui promit ; mais elle se moquait du tyran90, car elle employa tous les moyens pour encourager son fils à la mort, au point que cet enfant n'attendit pas qu'on le menaçât du supplice ; il alla lui- même au-devant des bourreaux, et il les provoquerait en leur disant : Qu'attendez-vous ? pourquoi ces délais ? nous obéissons à la loi que Dieu nous a donnée. On doit résister à des édits contraires aux commandements de Dieu. Bien plus, semblable à un roi qui lance un arrêt contre un sujet rebelle, comme un juge plutôt que comme un accusé, il prononça cette sentence contre le tyran, et lui déclara, que parce qu'il avait osé porter la main sur des enfants dévoués à Dieu, il n'éviterait pas le jugement de ce Dieu qui peut tout et qui voit tout91.



26- Il fallait voir aussi cette mère supporter avec courage, en vue des divines espérances, les tortures et la mort de ses enfants. Car la piété, comme une rosée, la sainteté, comme le vent du matin, ne laissaient pas s'allumer dans son sein le feu de cet amour maternel qui aurait consumé le coeur de tant de mères dans les douleurs les plus cruelles. J'ai cru qu'il était utile à mon sujet de rapporter brièvement ces passages de l'Écriture, afin de nous rappeler, par ces exemples, ce que peuvent contre les tourments les plus affreux, contre les supplices les plus inouïs, la piété et l'amour de Dieu, plus puissant que tout autre amour.



27- Ces exemples peuvent encore nous apprendre quelle est la dignité du martyre et la sainte liberté qu'il nous donne avec Dieu. Le juste ne veut pas se laisser vaincre en générosité : il veut au contraire le payer en quelque sorte de toutes les grâces dont il l'a prévenu, et cherche tous les moyens de lui prouver dignement sa reconnaissance. Mais quelle reconnaissance peut égaler les bienfaits de Dieu, si ce n'est le martyre, puisque l'homme ne peut rien au- delà ? En effet, le prophète se demandant à lui-même : Que rendrai-je au Seigneur pour tous ses bienfaits ? répond : Je prendrai la coupe du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur92. Or la coupe du salut désigne le martyre dans les évangiles ; car Jésus, pour exprimer l'ambition de ceux qui demandaient

d'être assis à sa droite et à sa gauche dans son royaume, leur dit : Pouvez-vous boire la coupe que je boire93 ? Il appelait donc le martyre une coupe, ce qui du reste est évident par cette autre parole : Mon Père, s'il est possible, éloigne de moi cette coupe ; cependant que ta volonté s'accomplisse, et  non  la mienne94. Nous apprenons en même temps que celui qui boira la même coupe que Jésus-Christ partagera le trône du Roi des rois pour régner et juger avec lui. Voilà quelle est cette coupe du salut ; et celui qui l'acceptera invoquera le nom du Seigneur : or, quiconque aura invoqué le nom du Seigneur, sera  sauvé95.



28- Mais peut-être que ces paroles, Mon Père, s'il est possible, éloigne de moi cette coupe, pourraient faire croire à ceux qui n'approfondiraient pas le sens de l'Écriture que le Sauveur, à l'approche de sa passion, a montré peu de courage ; or, s'il a été accessible à la crainte, qui pourra se flatter d'être courageux ? Je demanderai d'abord à ceux qui osent soupçonner le Sauveur, s'ils prétendent le placer au-dessous du prophète qui disait : Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que pourrais-je craindre ? Le Seigneur est  le  protecteur de ma vie, qui me fera trembler ? lorsque les méchants, mes  ennemis, mes persécuteurs, s'approchent de moi pour me dévorer, ils chancellent, ils sont tombés. Quand des armées camperaient autour de moi, mon coeur serait sans crainte96 ; et le reste. Il est probable que les paroles du prophète ne s'appliquent pas à d'autres que le Seigneur lui-même, qui, ayant reçu du Père la lumière du salut, ne redoute rien, et qui, sous la protection de Dieu, ne tremble devant aucun mortel. Son coeur ne fut-il pas inaccessible à la crainte quand toutes les légions de Satan campaient autour de lui ? Rempli de la science divine, il espérait encore en Dieu, alors que la guerre s'allumait de toutes parts contre lui. Ce n'est donc pas de la même bouche que sont sorties ces paroles timides : Mon Père, s'il est possible, éloigne de moi cette coupe, et ces autres si pleines de courage : Quand même des armées  camperaient autour de moi, mon coeur serait sans crainte. Si nous voulons qu'il nous reste aucun doute sur le sens de ce passage, remarquons le pronom démonstratif qui, dans chaque évangéliste, précède le mot coupe. En effet, saint Matthieu rapporte ainsi ces paroles du Sauveur : Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi97. Saint Luc : Mon Père, si telle est ta volonté, éloigne de moi cette coupe98. Et saint Marc : Mon Père, mon Père, tout t'est possible ; éloigne de moi cette coupe99. Ne pourrait-on pas dire que, puisqu'il donne le nom de martyre à tout martyre sans distinction, ce n'est pas le martyre qu'il refuse en disant : Que cette coupe s'éloigne de moi ;  car il aurait dit : Que la coupe s'éloigne de moi, mais qu'il voulait éviter telle ou telle espèce  de martyre : n'est-il pas encore permis de supposer que le Sauveur, considérant, pour ainsi dire, les différentes sortes de coupe et toutes leurs conséquence futures, balançant ensuite dans sa profonde sagesse leurs divers avantages, a repoussé telle espèce de mort par le martyre, pour en demander peut-être au fond du coeur une autre plus cruelle, dans le dessein d'accomplir par une autre coupe quelque bienfait plus universel, plus généralement applicable au genre humain. Or la volonté du Père, plus sage que celle du Fils, cette volonté qui règle et gouverne le monde par des moyens que le Fils ne connaissait pas, différait de lui accorder l'objet de sa prière. Au reste, nous voyons dans les Psaumes que la coupe du Sauveur est la mort des martyrs. Car, après ces paroles : Je prendrai la coupe du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur, le prophète ajoute : La mort de ses élus est précieuse aux yeux du Seigneur100. La mort, en effet, est un bien pour nous, nous les élus de Dieu, nous qui  ne sommes point sans quelque mérite à ses yeux, puisque nous nous livrons non à une mort vulgaire et vide de piété, mais à une mort glorieuse qui nous est infligée pour la religion chrétienne et l'amour de Dieu.



29- Souvenez-vous aussi que nous avons péché, et qu'on ne peut recevoir la rémission des péchés sans le baptême ; que, selon la loi évangélique, le baptême dans l'eau et dans l'esprit pour la rémission des péchés ne peut être réitéré, mais que Dieu nous a donné pour y suppléer le baptême du martyre, car c'est ainsi qu'on l'appelle, puisque après ces paroles : Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? Jésus-Christ ajoute aussitôt : ou recevoir le baptême que je vais recevoir101 ? il dit encore dans un autre endroit : Je dois recevoir un baptême, et combien je suis impatient qu'il soit accompli102 ! Or, si le baptême sanglant de Jésus-Christ fut le remède qui sauva le monde, pourquoi le baptême du martyre ne serait-il pas aussi un remède du salut pour plusieurs ? Nous voyons que sous la loi de Moïse ceux qui servent à l'autel semblent accorder au peuple, par le sang des boucs et des taureaux, la rémission de ses péchés : ainsi les âmes des martyrs de Jésus-Christ qui ont été frappés de la hache pour lui avoir rendu hautement témoignage, ne se présentant pas vainement à l'autel céleste ; mais elles obtiennent pour ceux qui la demandent la rémission de leurs péchés. Nous apprenons encore que, si Jésus-Christ, notre souverain pontife, s'est offert lui-même pour victime, les prêtres, dont  il est le chef, s'offrent pour victime à leur tour, et que c'est pour cette raison qu'on les voit se tenir près de l'autel comme à une place qui leur appartient. Autrefois, parmi les prêtres, ceux-là seuls devaient servir Dieu qui étaient sans tache et qui offraient des victimes sans tache. Quant à ceux qui avaient contracté de ces souillures que Moïse énumère dans le Lévitique, ils étaient éloignés de l'autel. mais quel est ce pontife sans tache qui offre une victime sans tache, sinon celui qui confesse Jésus-Christ avec courage et qui couronne le sacrifice de son martyre avec les dispositions parfaites que nous avons indiquées plus haut ?



30- Mais ne nous étonnons pas que cette suprême félicité que Dieu réserve aux martyrs dans le sein d'une paix profonde, d'un calme et d'une sérénité inaltérable, doivent être précédée par des temps plus sombres et plus orageux. D'abord il faut traverser la voie étroite et difficile103 pendant la saison des orages ; et lorsque les saints auront montré leur fidélité dans l'administration des biens qui leur sont confiés sur la terre, Jésus-Christ leur adressera les mêmes paroles qu'à l'épouse du Cantique : Voici mon bien-aimé qui me dit : lève-toi, viens, ma bien-aimée, ma belle, ma colombe ; déjà l'hiver a disparu : la saison des orages est passée, elle est loin de nous104. Et vous, souvenez-vous encore que vous ne mériterez d'entendre cette parole, l'hiver a disparu, qu'autant que vous aurez supporté dans le temps présent cette saison orageuse avec courage et persévérance. Mais lorsque l'hiver aura en effet disparu, que la saison des orages sera passée, on verra paraître les fleurs ; car les élus sont comme des palmiers qui fleuriront dans les parvis de la maison du Seigneur où ils ont été plantés105.



31- Depuis que Jésus nous a persuadé d'abandonner les idoles et le culte athée du polythéisme, l'ennemi, nous le savons, conserve encore la volonté, mais non le pouvoir, de nous entraîner à l'idolâtrie, et le moyen qu'il emploie est la contrainte et non la persuasion. Voilà pourquoi il exerce tant de cruautés sur ceux que Dieu a livrés à son pouvoir, et il tente d'en faire ou des martyrs ou des idolâtres. Souvent même il leur dit, comme autrefois à Jésus- Christ : Je te donnerai tous ces biens, si tu veux te prosterner devant moi et m'adorer106. Gardons-nous donc de rendre jamais un culte aux idoles et de nous soumettre aux démons, car les idoles des nations sont des démons. Quel crime d'abandonner le joug si doux de Jésus-Christ, son fardeau si léger, pour courber de nouveau la tête sous le joug du démon, pour porter le pesant fardeau du péché, surtout après avoir appris que le coeur de ceux qui servent les idoles n'est que poussière, et leur vie qu'une fange honteuse107; après avoir répété nous-mêmes que de toutes les fausses divinités fabriquées par les mains de nos pères, pas une seule n'avait le pouvoir de faire tomber la pluie du ciel108.



32- Autrefois Nabuchodonosor éleva une statue d'or, et menaça Ananias, Azarias et Misaël de les précipiter dans une fournaise ardente, s'ils ne  l'adoraient. La même persécution se renouvelle de nos jours. Un autre Nabuchodonosor nous adresse les mêmes menaces, à nous qui avons passé le Jourdain, et qui sommes de véritables Hébreux. Eh bien ! nous aussi, si nous voulons que la rosée céleste éteigne ces feux qui nous enveloppent de toutes parts, et rafraîchissent notre âme, imitons la sainte intrépidité de ces jeunes héros. Peut-être, nouveaux Mardochées, verriez-vous un impie Aman vous commander de l'adorer ; mais répondez : « Je ne mettrai point la gloire des hommes au-dessus de la gloire du Dieu d'Israël. » Renversons Baal au nom du Seigneur : tuons le serpent, comme Daniel, et nous pourrons approcher des lions sans avoir rien à redouter de leur rage ; tandis que ceux qui les déchaînent contre nous deviendront seuls la proie de ces mêmes lions qui ne peuvent nous dévorer.



33- Il est à remarquer que toutes les fois que le Sauveur parle du martyre, ce n'est pas à la foule qu'il s'adresse, mais à ses apôtres, en effet, après avoir dit que Jésus envoya les douze apôtres, en leur défendant d'aller vers les nations109 ; l'évangéliste rapporte qu'il ajouta : Soyez en garde contre les hommes, car ils vous feront comparaître dans leurs assemblées, ils vous flagelleront dans leurs synagogues ; vous serez conduits devant les magistrats et devant les rois, pour me rendre témoignage en leur présence, et devant toutes les nations. Mais lorsqu'ils vous feront comparaître, ne cherchez pas à savoir comme vous parlerez, ni ce que vous direz : ce que vous devez dire vous sera inspiré à l'heure même ; car alors ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous. Le frère livrera son frère à la mort ; le père livrera son fils ; les enfants s'élèveront contre leurs parents et les feront mourir. Et vous, vous serez pour tous un objet de haine à cause de mon nom. Mais celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. Lorsqu'on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. En vérité, je vous le dis, vous n'aurez pas parcouru toutes les villes d'Israël, que le Fils de l'homme viendra110. Saint Luc écrit dans le même sens : Quand on vous conduira dans les synagogues, ou devant les magistrats et les puissances, ne vous inquiétez pas de savoir comme vous répondrez, ni ce que vous direz ; car le Saint Esprit vous enseignera au moment même ce qu'il faudra dire111. Et plus loin : Prenez donc dans vos coeurs la résolution de ne point méditer d'avance ce que vous répondrez ; car je vous donnerai moi-même des paroles et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront résister, et qu'ils ne pourront réfuter. Vous serez livrés par vos pères mêmes, par vos mères, par vos frères, par vos parents, par vos amis ; et plusieurs d'entre vous seront mis à mort, et vous serez haïs de tous à cause de mon nom ; mais vous ne perdrez pas un seul cheveu de votre tête. Vos souffrances seront le salut de vos âmes112. Saint Marc tient le même langage : Quand ils vous emmèneront pour vous livrer, ne pensez pas d'avance ce que vous direz, mais dites ce qui vous sera inspiré à l'heure même. Car ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est le Saint Esprit qui parle en vous. Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils, et les enfants s'élèveront contre leur père et leur mère et les mettront à mort. Et vous, vous serez haïs de tous à cause de mon nom. Mais celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. Les autres exhortations au martyre qui se trouvent dans saint Matthieu n'ont pas  été adressé à d'autres qu'aux douze apôtres. Il faut les écouter ; car en les écoutant nous serons les frères des apôtres et comptés parmi les apôtres. Les voici : Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme, mais craignez plutôt celui qui peut précipiter l'âme et le corps dans la géhenne113. Ensuite le Seigneur nous apprend que, sans la volonté de la divine Providence, personne ne peut arriver au combat du martyre. Deux passereaux, dit-il, ne se vendent-ils pas une obole ? Or un seul ne peut tomber sur la terre sans la volonté de votre Père céleste. Tous les cheveux de votre tête sont comptés. Ne craignez donc point : vous valez plus qu'une multitude de passereaux. Ainsi quiconque m'avouera devant les homes, je l'avouerai devant mon Père qui est dans les cieux ; et celui qui me désavouera devant les hommes, je le désavouerai à mon tour devant mon Père qui est dans les cieux114. Ces paroles de saint Luc ont le même sens : Je vous le dis à vous qui êtes mes amis ; ne vous laissez pas épouvanter par ceux qui tuent le corps, et ne peuvent rien de plus ; mais je vais vous apprendre qui vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir ôté la vie, a le pouvoir de précipiter dans la géhenne : oui, je vous le dis, craignez celui-là. Ne donne-t-on pas cinq passereaux pour deux pièces de la plus petite monnaie ? Cependant il n'en est pas un seul que Dieu oublie. Tous les cheveux de votre tête sont également comptés. Ne craignez donc point : vous valez mieux qu'un grand nombre de passereaux. Or, je vous le dis : quiconque m'aura confessé devant les hommes, le Fils de l'homme le confessera aussi devant les anges de Dieu. Mais celui qui me désavouera devant les hommes, sera désavoué à son tour devant les anges de Dieu115. Et en un autre endroit : Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, le Fils de l'homme rougira aussi de lui quand il viendra dans sa majesté, dans celle de son Pères et des  saints anges116. Ceux qui nous tuent ne nous ôtent que la vie du corps, c'est le sens de ces paroles de saint Luc et de saint Matthieu : Ne craignez point ceux qui tuent le corps ; mais après avoir tué le corps, ils ne peuvent, quand ils le voudraient, tuer aussi l'âme : ils n'ont plus aucun pouvoir sur nous. Car comment pourrait-on tuer notre âme, puisqu'au contraire le martyre lui donne la vie, et qu'en récompense de ce sanglant témoignage, auquel il nous exhorte par la bouche d'Isaïe, Dieu nous rend à son tour un glorieux témoignage, et non seulement lui, mais encore son fils : Soyez mes témoins, nous dit-il, et je serai aussi votre témoin, moi et mon Fils que j'ai choisi117. Remarquez que ce commandement s'adresse non pas aux serviteurs de Jésus, mais à ses amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, et n'ont pus ensuite aucun pouvoir sur vous118. Il faut donc craindre celui qui peut précipiter l'âme et le corps dans la géhenne. Car celui-là seul, après avoir donné la mort, conserve encore le pouvoir de précipiter dans la géhenne. Mais puisque Dieu a compté les cheveux de la tête de tous les hommes, surtout de ceux qui périssent d'une mort violente pour Jésus-Christ, nous confesserons le Fils de Dieu devant Dieu, devant les hommes, devant leurs fausses divinités, afin que celui que nous aurons confessé nous confesse à son tour devant Dieu son Père, lorsqu'il reconnaîtra dans le ciel ceux qui l'auront reconnu sur la terre.



34- À cette pensée, qui ne s'écrierait avec l'Apôtre : Non, les souffrances de la vie présente n'ont aucune proportion avec cette gloire qui doit un jour éclater en nous119. Car une déclaration qui aura lieu en présence du Père ne sera-t-elle pas bien plus éclatante que celle qui n'aura eu que les hommes pour témoins ? et le témoignage que les martyrs auront rendu au Fils de Dieu sur la terre ne sera-t-il pas glorieusement récompensé par le témoignage qu'il leur rendra à son tour dans le ciel ? Que celui donc qui penserait à le renoncer devant les hommes se souvienne de celui qui a dit avec serment : Je le renoncerai moi-même devant mon Père qui est dans es cieux ; car voilà ce qu'il faut encore considérer : celui qui confesse le Fils de Dieu devant les hommes honore autant qu'il est en lui, par ce témoignage, la religion chrétienne et son auteur ; et celui qui confesse à son tour le premier-né de toutes les créatures, le Fils de l'homme, est honoré par le Fils de l'homme, par le Fils de Dieu, en présence du Père céleste et des anges de Dieu. Mais si ce n'est pas celui qui se rend témoignage à lui-même qui est éprouvé, mais celui à qui Dieu rend témoignage120, ne doit-on pas regarder comme éprouvé celui qui a été jugé digne de recevoir ce glorieux témoignage devant le Père céleste et les anges de Dieu ? Or, s'il est éprouvé, lui et tous ses imitateurs, que Dieu a éprouvés comme l'or dans la fournaise, par la question, par les tortures, et qu'il a reçus comme un holocauste agréable121 à ses yeux, que dire de ceux qui, après avoir été mis à l'épreuve dans le creuset de la tentation, ont renié Jésus-Christ, et que Jésus-Christ renie à son tour comme des réprouvés, en présence de son Père céleste et des anges de Dieu ?



35- Réunissons donc tous nos efforts, non seulement pour nous préserver de l'apostasie, mais aussi pour ne pas rougir, quand les ennemis de Dieu croient nous abattre sous le poids de la honte. Surtout, pieux Ambroise, si, après avoir été reçu avec honneur par tant de vielles, vous vous voyez maintenant conduit en grande pompe comme victime, portant la croix de Jésus- Christ, et marchant sur ses traces, gardez-vous d'en rougir ; car Dieu vous précédera devant les magistrats et les rois, vous et votre rival dans la gloire céleste, Protoctète ; il mettra dans votre bouche des paroles de sagesse ; il sera martyr avec vous, vous qui accomplissez ce qui reste à souffrir à Jésus-Christ122 ; enfin il vous conduira vers ce paradis, séjour de la gloire de Dieu, en vous apprenant à éviter le chérubin et le glaive de feu qui s'agite sans cesse pour garder la voie qui conduit à l'arbre de vie123. Cette voie, ils ne la gardent que pour en défendre l'approche à tous ceux qui sont indignes d'y pénétrer et  d'arriver jusqu'à l'arbre de vie. Le glaive de feu écartera ceux qui, sur le fondement inébranlable, Jésus-Christ, auront élevé des édifices de bois, de joncs ou de paille124, et surtout, de tous les édifices, le plus prompt à s'enflammer, à réduire en cendres, l'édifice de l'apostasie. Quant à ceux que le glaive de feu ne saurait éloigner, parce qu'ils n'ont élevé aucun édifice qui ait pour le feu quelque affinité, le chérubin les recevra et les conduira vers l'arbre de vie, dans ce jardin de délices que Dieu a planté dans la terre d'Orient125. Jésus accompagnera vos pas ; vous braverez le serpent qu'il a vaincu et foulé aux pieds, le serpent que, par Jésus, vous avez foulé aux pieds vous-mêmes, puisqu'il nous a donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et de fouler aux pieds toute la puissance de l'ennemi sans en recevoir aucune atteinte126.



36- Il ne faut donc pas renier le Fils de Dieu, il ne faut pas rougir de lui ni de ses paroles, mais écouter cette sentence : Celui qui m'aura renié devant les hommes, je le renierai moi-même devant mon Père qui est dans les cieux127. Et celle-ci : Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, le Fils de l'homme rougira de lui, lorsqu'il viendra dans sa gloire, dans celle de son Père et des saints anges128. Et cette autre : Jésus a souffert le supplice de la croix, méprisant l'ignominie : c'est pour cela qu'il est assis à la droite de Dieu129. Ceux qui sauront, à son exemple, mépriser l'ignominie, seront assis à ses côtés et régneront avec lui dans les cieux, avec lui, dis-je, qui est venu apporter à la terre, non la paix, mais le glaive130. Puisqu'en effet la parole de Dieu est vivante et efficace, plus perçante qu'une épée à deux tranchants ; elle entre et pénètre jusque dans les replis de l'âme et de l'esprit, jusque dans la jointure et dans la moelle des os ; et elle démêle les pensées et les mouvements du coeur131. C'est surtout maintenant qu'il propose pour prix à nos âmes cette paix qui surpasse tout sentiment, et qu'il a laissée à ses apôtres ; mais en même temps il a placé le glaive entre l'image de l'homme terrestre et celle de l'homme céleste, jusqu'au moment où, après avoir reçu l'homme céleste qui est en nous, il nous rendra dignes de ne plus être divisés, et nous serons alors des hommes célestes. J'ajouterai qu'il est venu apporter sur la terre non pas seulement un glaive, mais encore ce feu dont il dit : Quel est mon désir, sinon de l'allumer132 ? Puisse donc ce feu s'allumer aussi en vous, et détruire toutes les pensées terrestres et amies du corps ! Puissiez-vous recevoir avec joie ce baptême que  Jésus désirait si ardemment, qu'il en était, pour ainsi dire, dans un état  d'angoisse ! Pour vous, Ambroise, qui avez une épouse et des enfants, et des frères et des soeurs, souvenez-vous de ces paroles : Si celui qui vient à moi ne hait point son père et sa mère, son épouse et ses enfants, ses frères et ses soeurs, il ne peut être mon disciple133. Que Protoctète se rappelle, ainsi que vous, cette autre parole : Si celui qui vient à moi ne hait point (outre ce que je viens de dire) même sa vie, il ne peut être mon disciple. Mais haïssez votre vie de manière que cette haine la conserve pour l'éternité ; car, dit le Sauveur, celui qui hait sa vie la conserve pour la vie éternelle134. Haïssez donc votre vie pour la vie éternelle, persuadés que cette haine, que vous commande Jésus, ne peut être que bonne et utile. Mais si nous devons haïr notre vie afin de la conserver pour l'éternité, vous qui avez une épouse et des enfants, des frères et des soeurs, vous devez les haïr afin de les servir par votre haine, puisque cette haine, en vous conciliant l'amitié de Dieu, vous donnera le pouvoir de les  combler de biens.



37- Souvenez-vous en même temps de celui qui priait en esprit pour les enfants que les martyrs lui avaient laissés à cause de son amour pour Dieu, et qui disait : Adoptez les enfants de ceux qui sont morts pour vous135 ; mais sachez bien que ceux qui sont les enfants des martyrs selon la chair, ne sont pas pour cela les enfants de Dieu136. Et de même que Dieu dit alors à ceux qui descendaient d'Abraham : Je sais que vous êtes du sang d'Abraham ; mais si vous étiez les enfants d'Abraham, vous feriez les oeuvres d'Abraham137, il dira aussi à vos enfants : je sais que vous êtes du sang d'Ambroise ; mais si vous êtes les enfants d'Ambroise, faites les oeuvres d'Ambroise : or, s'ils obéissent à la voix de Dieu, s'ils marchent sur vos pas, votre absence vous donnera plus de moyens de les aider que n'aurait pu faire votre présence ; car vous saurez mieux alors comment il faut les aimer ; vous prierez pour eux avec plus de sagesse, si vous reconnaissez qu'ils sont vos enfants, et non pas seulement des rejetons de votre race. Répétez maintenant cette parole : Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. Et cette autre : Celui qui veut conserver sa vie la perdra, et celui qui l'aura perdue l'a sauvera138.



38- Rendez-vous dignes, par votre ardeur pour le martyre, d'entendre la voix de l'esprit de votre Père, qui parle à ceux qui sont livrés pour la foi. Si vous voyez que vous êtes un objet de haine et d'horreur, et regardés comme des impies, écoutez cette parole : Le monde vous hait parce que vous n'êtes pas du monde ; car, si vous étiez du monde, le monde vous aimerait comme étant à lui139. Après avoir déjà supporté tant d'épreuves, tant d'outrages depuis que vous avez embrassé la foi, conservez jusqu'à la fin le même courage, car celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé140. Vous savez ce que dit saint Pierre : Vous devez êtres transportés de joie de vous voir maintenant, pendant un temps si court, affligés de différentes tentations, afin de manifester votre foi, et que cette foi, plus précieuse que l'or éprouvé par le feu, soit trouvé digne de louange, d'honneur et de gloire au jour de la révélation de Jésus-Christ141. Mais ici il faut entendre ce mot, être affligé, dans le sens de souffrir, comme on le voit clairement par cet autre passage : Tu enfanteras avec douleur 142; car la douleur d'une mère n'est pas un sentiment d'affliction, mais une souffrance physique. Jésus-Christ ajoute : N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde ; si quelqu'un aime le monde, l'amour de mon Père n'est pas en lui ; car tout ce qui est dans le monde n'est que concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie : or tout cela vient, non de mon Père, mais du monde, et le monde passe, et sa concupiscence avec lui143. N'aimez donc point ce qui passe, mais faites la volonté de Dieu, afin d'être jugés dignes de ne faire qu'un avec le Fils, le Père et l'Esprit Saint, selon la prière du Sauveur à son Père : De même que vous et moi ne sommes qu'un, faites que ceux-ci ne soient aussi qu'un avec nous144. Combien de jours pourra gagner sur la terre celui qui aura aimé le monde et ce qui est dans le monde au détriment de son âme qu'il aura perdue sans ressource, et qui sera condamné à traîner partout avec lui une concupiscence chargée du pesant fardeau de son apostasie ? Rappelons-nous combien de fois nous avons tous été exposés à périr d'une mort vulgaire ; demandons-nous si nous n'avons pas été sauvés, afin de paraître un jour, purifiés de tout péché par notre propre sang, au pied du céleste autel, avec ceux qui auront combattu comme nous.



39- Celui qui, cédant à un amour excessif de la vie, vaincu par les tourments, ou séduit par les discours si persuasifs en apparence de ceux qui cherchent à nous entraîner au mal, renie le seul Dieu véritable et son Christ, sachez-le bien, celui-là, en préparant le banquet du démon, en remplissant la coupe de la fortune, a délaissé le Seigneur et oublié sa sainte montagne. Aussi est-ce à lui que s'adressent ces reproches d'Isaïe : Et vous qui avez abandonné votre Dieu et oublié sa montagne sainte, qui préparez un banquet au démon, et qui remplissez la coupe de la fortune, je vous livrerai au glaive et vous périrez tous immolés par le fer ; car je vous ai appelés et vous ne m'avez pas répondu ; j'ai parlé, et vous avez méprisé ma voix ; vous avez fait le mal en ma présence et préféré ce que je réprouvais. Voici donc ce que dit le Seigneur : "Mes serviteurs seront rassasiés, et vous, vous serez dévorés par la faim ; mes serviteurs chanteront des cantiques d'allégresse, et vous, la douleur de votre coeur vous arrachera des cris, et l'abattement de votre esprit vous fera pousser des hurlements ; votre nom sera pour mes élus un nom d'exécration, et le Seigneur vous livrera à la mort.145" Mais si nous comprenons bien ce que c'est que la table du Seigneur, et que nous désirions d'y participer, sachons aussi pénétrer le sens de cette parole : Vous ne pouvez vous asseoir à la table du Seigneur et à celle du démon146. Qui pourrait entendre Jean, le fils du tonnerre, nous dire : Celui qui renie le Fils renie le Père ; et celui qui confesse le Fils confesse aussi le Père147 ; sans trembler de renier son nom de chrétien, et en désavouant le Fils d'être à son tour désavoué du Père ? Qui ne chercherait, au contraire, à prouver par ses paroles et par ses actes qu'il est chrétien, afin d'être regardé comme un fils par le Père céleste ! car ceux-là sont ses enfants qui le reconnaissent comme Père.



40- Si nous avons passé de la mort à la vie148 en passant de l'infidélité à la foi, ne soyons pas étonnés que le monde nous haïsse. Ceux qui sont demeurés dans la mort et qui ne sont point ressuscités à la vie ne peuvent aimer ceux qui ont passé, pour ainsi dire, du séjour ténébreux de la mort dans le palais de la lumière de vie, palais construit de pierres vivantes. Puisque Jésus a donné sa vie pour nous149, c'est à nous de donner aussi la nôtre, je ne dis pas pour lui, mais pour nous-mêmes et pour tous ceux que notre martyre doit affermir dans la foi. Voici le temps de nous glorifier d'être chrétiens : Glorifions-nous, dit l'Apôtre, dans nos afflictions, sachant que l'affliction produit la patience, la patience l'épreuve, et l'épreuve l'espérance : or cette espérance ne sera pas confondue, pourvu que l'amour de Dieu soit répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint150. Si Paul ajoute : Pourvu que j'aie combattu comme homme contre les bêtes à Éphèse151, ajoutons aussi : pourvu que j'aie été immolé comme homme en Germanie.



41- Si, à mesure que les souffrances de Jésus-Christ augmentent en nous, les consolations augmentent aussi par Jésus-Christ152, embrassant avec l'ardeur la plus vive les souffrances de Jésus-Christ ; qu'elles augmentent en nous, si nous désirons que les consolations réservées à ceux qui pleurent augmentent aussi, quoique inégalement réparties ; car, si la consolation était égale pour tous, il ne serait pas écrit qu'à mesure que les souffrances de Jésus- Christ augmentent en nous notre consolation augmente dans les même proportion. Ceux qui partagent les souffrances de  Jésus-Christ  partageront donc sa consolation dans la même proportion qu'ils auront partagé ses souffrances. C'est ce que nous apprend l'Apôtre, quand il dit avec tant de confiance : Nous savons que dans la même proportion que vous partagez ses souffrances vous partagerez aussi ses consolations153. Dieu dit encore par son prophète : Je t'ai exaucé au temps favorable, je t'ai secouru au jour du salut154. Or peut-il être un temps plus favorable que celui où, grâce à notre amour pour Dieu en Jésus-Christ, nous marchons en grande pompe au milieu du monde, gardés par des soldats, mais en triomphateurs plutôt qu'en vaincus ? car les martyrs de Jésus-Christ dépouillent avec lui les principautés et les puissances après les avoir subjuguées ; et comme ils ont partagé ses souffrances, ils partagent aussi la gloire qu'il s'est acquise par son courage et sa patience. Or un de ses plus beaux titres de gloire et d'avoir triomphé des principautés et des puissances que vous verrez bientôt vaincues et terrassées. Quel autre jour de salut peut être comparé à celui où vous sortirez ainsi de ce monde ? Mais, je vous en conjure, ne donnez à personne un sujet de scandale, dans la crainte de déshonorer votre glorieux ministère, mais montrez-vous en tout, par une grande patience, tels que doivent être des ministres de Dieu155. Dites : Quel est maintenant mon espoir ? n'est-ce pas le Seigneur ?156 rappelez-vous que de nombreuses tribulations sont réservées aux justes ; qu'ils sont sans cesse dans la pauvreté157 ; afin de rechercher avec empressement les richesses de la béatitude céleste : dans les difficultés158, car ce n'est qu'en marchant dans la voie étroite et difficile, sans nous en écarter jamais, que nous pouvons parvenir à la vie. Si Dieu le veut, signalons-nous dans les souffrances, dans les veilles, dans les jeûnes159 ; car voici le Seigneur portant dans ses mains les récompenses qu'il doit distribuer à chacun selon ses oeuvres160.



42- C'est le moment de montrer notre amour pour la sagesse par des oeuvres que la sagesse puisse avoue. Que l'on remarque en nous une parfaite chasteté. Comme fils d'un Dieu patient, comme frères de Jésus-Christ,  si patient lui-même, armons-nous d'une patience invincible dans tous les maux qui nous arrivent ; car l'homme patient est riche en prudence ; le pusillanime, au contraire, est un insensé161. S'il faut nous honorer par les armes de la justice en combattant à droite et à gauche162, après avoir acquis une gloire qui ne nous a jamais enorgueillis, souffrons maintenant l'infamie avec patience ; et, quoique nos vertus nous aient mérité et obtenu une réputation honorable, supportons la honte que les impies font peser sur nous163. Puisque les amis de la vérité ont admiré en nous ses  fidèles disciples, moquons-nous de ceux qui nous regardent comme des victimes de la séduction. À la vue des dangers sans nombre dont nous avons été délivrés, plusieurs ont avoué que nous étions connus de Dieu ; maintenant nous appelle qui voudra des hommes inconnus, au moment peut-être où nous nous faisons le mieux connaître. Ainsi, en supportant les maux qui nous arrivent, nous sommes châtiés, mais non jusqu'à la mort et si nous paraissons tristes aux yeux des hommes, en réalité nous nous réjouissons.



43- Saint Paul s'adressant à ceux qui avaient souffert dès le commencement, pour les exhorter à persévérer dans la patience et à supporter encore les nouveaux périls auxquels ils étaient exposés pour la parole de Dieu, leur dit quelque part : Rappelez-vous ces premiers temps, où, après avoir été éclairés, vous avez eu à lutter contre les plus grandes afflictions ; d'un côté, livrés à la risée du monde, par les injures et les mauvais traitements que vous en avez reçus ; de l'autre, partageant les souffrances de ceux qui enduraient de semblables indignités ; car vous avez souffert avec ceux qui étaient dans les chaînes, et vous vous êtes vus avec joie dépouillés de tous vos biens, sachant que vous avez dans le ciel des biens plus précieux et que nul ne pourra vous ravir. Ne perdez donc pas cette confiance à laquelle une grande récompense est réservée, car la patience vous est nécessaire164. Livrés, nous aussi, à la risée du monde, par les outrages et les mauvais traitements que nous en recevons, luttons avec courage contre toutes ces tribulations, et réjouissons- nous de nous voir dépouillés de nos biens, puisque nous savons que Dieu nous tient en réserve, non des biens matériels et terrestres, mais des biens invisibles et spirituels, car nous n'estimons pas les biens visibles, mais les biens invisibles : les premiers n'ont qu'un temps, les seconds sont éternels165.



44- Mais comme il est des hommes qui, ignorant la nature des démons, ne savent pas qu'ils habitent cette atmosphère épaisse qui enveloppe la terre, et qu'ils ont besoin, pour se nourrir, d'émanations parmi lesquelles  ils recherchent de préférence l'odeur du sang des victimes et les vapeurs de l'encens, ils regardent en conséquence comme une action indifférente, ou du moins de peu d'importance, de leur offrir des sacrifices. Qu'ils apprennent donc que, s'il l'on punit, comme ayant violé les lois de l'état, ceux qui fournissent des vivres aux brigands, aux assassins, aux peuples barbares ennemis d'un grand roi, à plus forte raison ceux qui, par des sacrifices, procurent aux ministres de la perversité des aliments qui les retiennent dans les lieux voisins de la terre, quoiqu'ils sachent que celui qui sacrifie aux dieux étrangers sera exterminé166 ; ceux-là dis-je, seront justement mis en cause pour avoir sacrifié, non au seul Seigneur, mais aux auteurs de tous les maux qui arrivent dans le monde ; et quant à ces maux que commettent les démons en tourmentant les hommes, ceux qui en nourrissent leurs auteurs n'en seront pas moins responsables, selon moi, que les démons eux-mêmes. Ne semble-t-il pas en effet que les démons et ceux qui les retiennent sur la terre agissent d'un commun accord pour persécuter le genre humain, puisque ces esprits pervers ne pourraient subsister sans  ces émanations, qu'on regarde comme une nourriture convenable pour leurs corps.



45- D'autres, pensant que les noms sont d'institution humaine, et qu'ils n'ont, par leur nature, aucune connexion avec ceux qui les portent, croient qu'il

est indifférent de dire : j'adore le Dieu suprême, ou Zeus ou Jupiter ; ou bien encore : je reconnais et je vénère le soleil ou Apollon, la lune ou Diane, l'esprit qui habite la terre ou Cérès, ou enfin tous ceux qui sont cités par les sages de la Grèce. Il faut leur répondre que la question des noms est abstraite et fort obscure : c'est à ceux qui la comprennent à voir si, même dans le cas où les noms seraient d'institution humaine, il ne pourrait pas arriver que ce que nous appelons les démons et les autres puissances invisibles  répondissent  à l'appel de ceux qui les invoquent, quoique sans les connaître, mais en les appelant par les noms supposés convenus. D'un autre côté, n'est-il  pas possible que les sons, que les syllabes, que les noms prononcés avec ou sans aspiration, avec ou sans contraction, attirent les êtres qu'ils désignent par je ne sais quel lien naturel que nous ignorons ? S'il en est ainsi, et que les noms ne soient pas de pure convention, le Dieu suprême ne doit pas être appelé d'un autre nom que ceux par lesquels le désignent son serviteur, les prophètes et notre Sauveur lui-même, comme Dieu des armées, Dieu fort, Dieu puissant (Sabaoth, Adonaï, Saddaï), ou bien, Dieu d'Abraham,  Dieu  d'Isaac, Dieu de Jacob ; car il dit lui-même : Voilà mon nom pour l'éternité, le nom sous lequel je serai connu dans les siècles des siècles167. Il n'est certes pas étonnant que les démons veuillent attribuer leurs noms au Dieu suprême, afin d'être adorés à la place du Dieu suprême. Or telle n'est pas l'intention du véritable serviteur de Dieu dont nous parlons, ni des prophètes, ni du Christ, qui est l'accomplissement de la loi168, ni de ses apôtres. Nous avons  dû nécessairement traiter ce point, dans la crainte qu'on ne vienne à nous tromper, et à obscurcir notre intelligence par des sophismes. Il faut donc méditer avec soin ces considérations, et ne point donner prise aux efforts de nos ennemis.



46- J'ajouterai que l'homme aime la vie, persuadé que la substance de l'âme raisonnable a quelque sorte de relation avec Dieu. L'âme en effet, ainsi que Dieu, intelligente, invisible, et, comme la raison le  démontrer invinciblement, immatérielle. Pourquoi celui qui nous a créés aurait-il mis au fond de notre coeur ce désir qui l'honore par la piété, de communiquer avec lui, qui, même dans ceux qui s'égarent, offre encore des traces de ses desseins providentiels, s'il était impossible à des êtres doués de raison d'arriver au but vers lequel les porte leur nature ? Et comme chaque partie de notre corps a un rapport naturel avec telle ou telle chose, les yeux avec les objets visibles, les oreilles avec les sons, il est également évident qu'il existe  un  rapport nécessaire à notre esprit avec les choses intelligibles, et même avec celui qui est au-dessus des choses intelligibles, Dieu. D'où vient notre crainte, et  pourquoi hésitons-nous à nous délivrer de nos chaînes, à sortir de ce mélange de chair et de sang, en rejetant avec mépris ce corps périssable qui nous entrave, cette enveloppe d'argile qui appesantit l'âme et accable l'esprit sous mille soins divers, afin de nous réunir à Jésus-Christ, de partager son repos et sa félicité, de contempler ce Verve vivant, de vivre nous-mêmes en lui, de comprendre cette sagesse d'une variété si admirable, d'être instruits par  la vérité même, éclairés par cette vraie lumière de la science, qui ne s'obscurcit jamais, d'admirer enfin toutes les merveilles qu'elle découvre aux yeux que la loi du Seigneur a éclairés.



47- Depuis longtemps nous entendons la parole de Jésus : de longues années se sont écoulées depuis que nous vivons conformément aux préceptes de l'Évangile, et que tous nous travaillons à nous bâtir une demeure ; mais avons-nous bâti sur la pierre, en creusant profondément pour asseoir les fondations, ou sur le sable et sans aucun fondement169 ? C'est ce que démontrera la lutte qui se prépare ; car la tempête approche, portant dans son sein les vents et des torrents de pluie170, ou, selon l'expression de saint Luc, l'inondation171. Elle attaquera notre maison ; si elle en peut l'ébranler, c'est  qu'elle a été bâtie sur la pierre fondamentale, qui est Jésus-Christ. Rien ne saurait la renverser. Si elle s'écroule, c'est que la construction en était fragile ; puisse Dieu éloigner de nous ce malheur ! car l'apostasie est une chute terrible: c'est la ruine d'un édifice qui s'écroule avec fracas, selon saint Luc, parce qu'il manque de fondement. Prions donc afin de ressembler cet homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre172. Vainement l'orage déchaîné par les esprits pervers qui habitent les cieux173, vainement les vents furieux des princes de ce monde de ténèbres et l'inondation des esprits souterrains viendraient-ils se briser contre un semblable édifice fondé sur la pierre, tous leurs efforts impuissants à le renverser, à l'ébranler même, n'auraient d'autre effet que de prouver notre force et leur faiblesse. Que chacun de nous s'écrie en frappant ses ennemis : Combattre ainsi, ce n'est pas frapper l'air en vain174.



48- Puisque le semeur est sorti pour semer175, montrons que notre âme a recueilli cette semence, et qu'elle n'est pas tombée sur le bord d'un chemin, ni dans un champ pierreux ou couvert de ronces, mais dans une bonne terre. Si donc la parole de Jésus n'est tombée ni le long d'une route ni parmi les épines, nous pourrons, autant qu'il est en nous, nous glorifier dans le Seigneur ; car cette parole, nous l'avons comprise176 ; ainsi l'esprit pervers n'a-t-il pas enlevé ce qui avait été semé dans nos coeurs. Que la semence n'ait pas été jetée en nous parmi des ronces, c'est ce qu'attestera la multitude de ceux qui voient que ni les sollicitudes de ce siècle, ni l'illusion des richesses, ni les plaisirs de la vie n'ont pu étouffer la parole de dieu dans nos âmes. Il reste encore à savoir si cette parole est tombée sur un terrain pierreux, ou si elle a été jetée dans une bonne terre, autant du moins que nous pouvons l'affirmer. Eh bien ! voici une persécution terrible qui s'élève contre la parole de Dieu ; une  grande épreuve se prépare, qui va montrer quel est celui qui a reçu la semence sur un terrain pierreux, et quels sont ceux en qui elle n'a pu jeter de profondes racines, parce qu'ils n'avaient pas reçu Jésus-Christ au fond de leurs coeurs ; car celui qui comprend sa parole ne reste pas stérile, il la conserve jusqu'à la fin, il la féconde avec patience, et la fait fructifier au centuple? Nous savons comment l'Écriture représente ceux qui, au jour de la tribulation et de la persécution, se scandalisent, après avoir paru d'abord recevoir avec joie la loi sainte, et qui ne tombent que parce qu'ils n'ont point de racines, et qu'ils ne croient que pour un temps. Voici ce qu'en dit saint Matthieu : Celui qui a reçu la semence dans un terrain pierreux est celui qui écoute la parole et la reçoit d'abord dans la joie ; mais elle n'a pas de racine : elle ne subsiste que pour un temps. Quand la tribulation et la persécution contre la parole surviennent, aussitôt il se scandalise177. Saint Marc les désigne ainsi : Ceux qui reçoivent la semence dans un terrain pierreux sont ceux qui écoutent la parole et la reçoivent aussitôt avec joie ; mais elle n'a pas en eux de racine, elle ne subsiste que pour un temps ; et quand la tribulation et la persécution contre la parole surviennent, ils se scandalisent aussitôt178. Écoutons maintenant saint Luc. Ceux qui reçoivent la semence dans un terrain pierreux sont ceux qui entendent et reçoivent la parole avec joie ; mais elle ne peut jeter en eux de racines, parce qu'ils ne croient que pour un temps, et au moment de la tentation ils s'éloignent179. D'un autre côté, l'Écriture, en parlant de ceux qui produisent d'heureux fruits, dit : Celui qui reçoit la semence dans une bonne terre est celui qui écoute la parole, la comprend et porte des fruits ; et chaque grain rend, l'un cent, l'autre soixante, l'autre trente pour un180. Ailleurs : Ceux qui ont reçu la semence dans une bonne terre sont ceux qui entendent la parole, la reçoivent, la fécondent, et rapportent  tantôt trente, tantôt soixante, tantôt cent grains pour un181. Elle dit encore : Ce qui est tombé dans une bonne terre désigne ceux qui écoutent la parole avec un coeur droit et bon, la conservent et la fécondent avec patience182. Ainsi, puisque selon l'Apôtre, vous êtes le champ de Dieu, la maison de Dieu, mais un champ fertile, mais un édifice bâti sur la pierre, comme élevés et affermis par la main de Dieu, demeurons inébranlables contre la tempête, comme fertilisés par Dieu ; ne nous inquiétons ni de l'esprit pervers, ni de la tribulation, ni de la persécution qui doit s'élever contre la parole, ni des sollicitudes de ce siècle, ni de l'illusion des richesses, ni des plaisirs de la vie. Méprisons tous ces soins futiles, et recevons l'esprit de sagesse qui bannit toute sollicitude ; volons vers ces richesses qui n'ont rien de vain ni de trompeur, vers ces plaisirs, comme je puis les nommer, du paradis de délice. Rappelons-nous, dans chacune de nos afflictions, cette parole : Les maux si légers et si rapides de la vie présente produiront pour nous le poids éternel d'une sublime et incomparable gloire, si nous considérons non les choses visibles, mais les invisibles183.



49- Sachons aussi que ce que l'Écriture dit d'Abel tué par l'homicide et injuste Caïn peut s'appliquer à tous ceux dont le sang a été injustement  répandu : La voix de ton frère crie de la terre vers moi184. Elles conviennent également, selon moi, à tous les martyrs : oui, la voix de leur sang crie de la terre vers Dieu ; et, comme nous avons été rachetés par le sang précieux de Jésus-Christ, après qu'il eut reçu un nom au-dessus de tout nom185, peut-être aussi le précieux sang des martyrs pourra-t-il en racheter plusieurs, puisque les martyrs doivent être plus élevés en gloire comme martyrs que s'ils n'eussent été que justes ; car c'est avec raison qu'on appelle une exaltation glorieuse la mort soufferte par le martyre : c'est le sens de ces paroles : lorsque j'aurai été exalté sur la terre, j'attirerai tout à moi186. Glorifions donc le Seigneur à notre tour, en l'exaltant par notre mort ; car par sa mort le martyr glorifie Dieu. Saint Jean nous l'apprend lorsqu'il dit : Jésus, parlant ainsi, voulait faire comprendre par quelle mort il devait glorifier Dieu187. J'ai mis à traiter ce sujet tous les soins dont je suis capable ; puissent ces considérations vous être de quelque utilité dans la lutte qui se prépare. Si dans ce moment où vous êtes plus dignes que jamais de pénétrer les divins mystères, où vous avez reçu de Dieu des grâces plus grandes, plus précieuses, plus efficaces, pour fortifier votre  généreuse résolution ; si, dis-je, vous dédaignez cet ouvrage comme sans force et sans solidité, les voeux que je forme pour vous n'en seront pas moins exaucés ; car, pourvu que votre courageux dessein s'accomplisse, que ce soit par moi, ou par tout autre moyen, peu m'importe. Puisse-t-il donc s'accomplir par les voies les plus sûres, plus saintes, et que tout le génie de l'homme n'atteindra jamais, la parole et la sagesse de Dieu.



1 Is 28, 9-11 (LXX)

2 He 5, 12-13.

3  Ro 8, 18.

4  2 Co  4, 17

5 2  Tim  2, 5

6 Phi 3, 21

7  Ro 7, 24

8  Ro 7, 25

9  Ps  41, 1-2.

10 Ps  41, 1-2.

11 Mt 5, 11-12.

12 Ac 5, 41.

13 Ps  41, 6.

14 Phi 4, 7.

15 2 Co 5, 8.

16 Ps 6, 2.

17 Is 41, 7.

18 Gn 12, 1.

19 1 P 2, 9.

20 Ro 10, 10.

21 Nb  35, 2.

22 Dt  13, 3.

23 Ex 20, 3.

24 Col 2, 19.

25 Pr 15, 26.

26 Mt 5, 34.

27 Mt  12, 36.

28 Lc 18, 19.

29 Dt 6, 13.

30 Ro 8, 20-21.

31 Dt  18, 22.

32 Ps  37, 14.

33 Ex 20, 5.

34 Col  1, 15.

35 Dt  32, 21.

36 2 Co 6, 16.

37 Mt 10, 32.

38 Mt 7, 2.

39 1 Co 3, 12

40 Mt 16, 24

41 Lc 9, 23

42 Mc 8, 34

43 Ga 2,20

44 1 P 1, 9

45 1 Co 13, 12

46 2 Co 12, 2-4

47 He 4, 14.

48 Ps 104, 4.

49 Ro 8, 21.

50 Mt 19, 27-29.

51 Mc 10, 30

52 Éph 3, 15.

53 He 4, 12.

54 Mt  22, 30.

55 Jos 24, 14.

56 Jos 24, 15.

57 Jos 24, 16.

58 Jos 24, 16-17.

59 1 R 2, 25.

60 1 Co 4, 9.

61 Ps 97, 9.

62 Is 45, 12.

63 Is 14, 9.

64 Is  14, 10.

65 Is  14, 11.

66 Is  14, 12.

67 Is  14, 19.

68 1 R 18, 21.

69 Ps 43, 14-16.

70 Ps 43, 18.

71 Ps 43, 18

72 Ps  43, 19.

73 Ps  43, 20.

74 2 Co 1, 12.

75 Ps  43, 21.

76 Ps  43, 22.

77 Pr 7, 2.

78 Eccl 4, 2.

79 2 Mac 6, 19.

80 2 Mac 30, 31.

81 2 Mac 7, 1.

82 2  Mac 7, 2.

83 2  Mac 7, 6.

84 2  Mac 7, 6.

85 2  Mac 7, 7.

86 2  Mac 7, 9.

87 2 Mac  7, 14.

88 2 Mac  7, 18.

89 2 Mac  7, 24.

90 2 Mac 7, 25

91 2 Mac 7, 35

92 Ps 115, 12

93 Mt 20, 21-22

94 Mt 26, 39

95 Jo 2, 32; Ro 10, 13

96 Ps 26, 1.

97 Mt  26, 39.

98 Lc 22, 42.

99 Mc 14, 36

100 Ps 115, 13

101 Mc 10, 38.

102 Lc 12, 50.

103 Mt 7, 14.

104  Cant  2, 10.

105  Ps  92, 1-4.

106 Mt 4, 9.

107 Sg 15, 10.

108 Jr 14, 22.

109 Mt 10, 5.

110 Mt 10, 17-24.

111 Lc 12, 11.

112 Lc 21, 14-20.

113 Mt 10, 28.

115 Lc 3, 4.

116 Lc 2, 26.

117 Is 43, 10.

118 Mt 10, 28.

119 Ro 8, 18.

120 2 Co 10, 18.

121 Sg 3, 6.

122 Col 1, 24.

123 Gn 3, 24.

124 1 Co 3, 12.

125  Gn  2, 8-9.

126  Lc 10, 19.

127  Mt  10, 33.

128  Lc 9, 26.

129  He 12, 2.

130 Mt 10, 34.

131 He 4, 12.

132  Lc 12, 49.

133  Lc 14, 26.

134  Jn  12, 25.

135  Ps  78, 11.

136 Ro 9, 8.

137 Jn 8, 37-39.

138  Mt  16, 25.

139  Jn  15, 19.

140  Mt  10, 22.

141 1 P 1, 6.

142 Gn 3, 6.

143 1 Jn 2, 15.

144 Jn 17, 21-22.

145 Is 65, 11-15.

146 1 Co 10, 21.

147 1 Jn 2, 23.

148 Jn 5, 24.

149 1 Jn 3, 16.

150 Ro 5, 3-5.

151 1 Co 15, 32.

152  2 Co  1, 5.

153  2 Co  1, 7.

154  2 Co  6, 2.

155  2 Co  6, 3.

156 Ps 38, 8.

157  Ps  32, 20.

158  2 Co  6, 4.

159  2 Co  6, 5.

160 Is 40, 10 ; Ap 22, 12.

161  Pr  14, 29.

162  2 Co  6, 7.

163 2 Co 6, 8-10.

164 He 10, 32-36

165 2 CO 4, 18

166 Ex 22, 20

167 Ex 3, 15

168 Ro 10, 4.

169 Lc 6, 48-49.

170 Mt 7, 25.

171 Lc 6, 48

172 Mt 7, 24

173 Eph 6, 12.

174 1 Co 9, 26.

175 Mt 13, 3.

176 Mt 13, 19.

177 Mt 13, 20-21.

178 Mc 4, 16-17.

179 Lc 8, 13.

180 Mt 13, 23.

181 Mc 4, 20.

182 Lc 8, 15.

183 2 Co 4, 17.

184 Gn 4, 10.

185 Phi 2, 9.

186  Jn  12, 32.

187  Jn  21, 19.

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