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Justin Martyr

CONTRE TRYPHON

Titre 5
Titre 5

SOMMAIRE

LIVRE AUDIO

Ι

1 Je me promenais un matin dans les galeries du Xiste, lorsqu'on homme vint à moi avec les personnes qui l'accompagnaient et me dit en m'abordant : « Salut, philosophe ! » et après ces mots, Il se mit à marcher à mes côtés. Ses amis en firent autant. Je le saluai à mon tour, et lui demandai ce qu'il me voulait.

2 — Lorsque j'étais à Argos, me dit-il, j'appris d'un Corinthien, disciple de Socrate, qu'il ne fallait pas dédaigner ou mépriser ceux qui portent votre habit, mais leur témoigner toute sorte d'égards, se lier avec eux, et par l'échange des idées s'éclairer mutuellement; on s'en trouve bien de part et d'autre, quand les services sont ainsi réciproques; aussi toutes les fois que je rencontre un homme avec l'habit de philosophe, je me plais à l'aborder : voilà pourquoi je me suis empressé de vous adresser la parole. Les personnes qui se trouvaient avec moi m'ont suivi, dans l'espoir de profiter aussi de votre entretien.

3 — Et qui êtes vous donc, ô le plus grand des mortels? lui dis-je en riant.

Il me fit connaître, sans détour, son nom et son origine. Je m'appelle Tryphon, me dit-il, je suis Hébreu et circoncis; chassé de ma patrie par la dernière guerre, je me suis retiré dans la Grèce et je demeure ordinairement à Corinthe.

— Et qu'espérez-vous de la philosophie? lui demandai-je; peut-elle vous être aussi utile que votre législateur et vos prophètes?

— Est-ce que les philosophes, reprit Tryphon, ne s'occupent pas uniquement de Dieu ; leurs discussions n'ont-elles pas toutes pour objet son unité, sa providence? Enfin, si je me trompe, la philosophie n'a pas d'autre but que la connaissance de Dieu.

4 — Oui, ce devrait être l'objet de toutes ses recherches ; mais qu'il existe plusieurs dieux, ou qu'il n'en existe qu'un seul ; qu'il veille on non sur chacun de nous, voilà ce que bien peu de philosophes cherchent à savoir, comme si cette connaissance importait peu au bonheur ! Ils s'efforcent seulement de nous persuader que si Dieu prend soin de l'univers, des genres, des espèces, il ne s'occupe ni de vous, ni de moi, ni d'aucun être en particulier. Ils vous diront même qu'il est fort inutile de le prier jour et nuit. 5 Vous voyez où tendent leurs doctrines ; ils ne cherchent qu'à assurer la licence et l'impunité, qu'à agiter et à suivre les opinions qui leur plaisent, à foire et dire ce qu'ils veulent, n'attendant de la part de Dieu ni châtiment, ni récompense. En effet, que peuvent craindre ou espérer des hommes qui enseignent que rien ne doit changer, que nous serons toujours vous et moi ce que nous sommes aujourd'hui, ni meilleurs ni pires? D'autres, partant de l'idée que l'âme est spirituelle et immortelle de sa nature, pensent qu'ils n'ont rien à craindre après cette vie, s'ils ont fait le mal ; parce que d après leurs principes un être immatériel est impassible, et qu'on peut se passer de Dieu puisque l'on ne peut mourir.

6 Alors Tryphon me dit avec un sourire gracieux : Et vous, que penses-vous sur toutes ces questions? Quelle idée avez-vous de Dieu? Quelle est votre philosophie ? dites-le nous.



II.


1 — Je vous dirai tout ce que je pense, lui répondis-je. Assurément la philosophie est le plus grand de tous les biens et le plus précieux devant Dieu, puisqu'elle nous conduit à lui et nous rend agréables à ses yeux ; aussi je regarde comme les plus grands des mortels ceux qui se livrent à cette étude, mais qu'est-ce que la philosophie? Descendue du ciel pour éclairer les hommes, d'où vient qu'elle reste cachée à la plupart? Il ne devrait y avoir ni platoniciens, ni stoïciens, ni péripatéticiens, ni pythagoriciens, ni contemplatifs ; mais il importe, puisque cette science est une, 2 de dire pourquoi nous la voyons ainsi divisée. Ceux qui s'occupèrent les premiers de philosophie se firent un nom célèbre par cette étude; ils eurent des successeurs qui adoptèrent leur doctrine sans chercher par eux-mêmes la vérité; frappés de la vertu, de la force d'âme, du langage sublime de leurs maîtres, il les crurent sur parole, tinrent pour vrai ce qu'ils en avaient reçu, et transmirent à leurs propres disciples ces premières opinions avec celles qui s'en rapprochaient le plus, en conservant le nom donné primitivement au père ou chef de l'école. 3 Je voulus autrefois connaître ces divers systèmes de philosophie. Je m'attachai d'abord à un stoïcien ; mais voyant qu'un long séjour chez lui ne m'avait rien appris de plus sur Dieu que je n'en savais ( faut-il s'en étonner? il ne le connaissait pas lui-même et ne pensait pas que cette connaissance fût nécessaire ), je le quittai pour m'adresser à un péripatéticien, homme très habile, du moins c'est ce qu'il croyait. Après m'avoir souffert près de lui les premiers jours, il me pria de fixer ce que je voulais lui donner pour ses leçons, afin, disait-il, qu'elles fussent utiles à tous deux. Là-dessus je le quittai, jugeant qu'il n'était rien moins que philosophe. 4  Mais comme je voulais avant tout savoir ce qui fait le fond et l'essence de la philosophie, j'allai trouver un pythagoricien qui était en grande réputation, et avait lui-même une haute idée de sa sagesse; je lui exprimai le désir d'être admis au nombre de ses auditeurs et de jouir de son intimité. « Volontiers me dit-il; mais savez-vous la musique, l'astronomie, la géométrie? penseriez-vous comprendre la science qui mène au bonheur sans posséder ces connaissances premières qui dégagent l'âme des objets sensibles, la rendent propre à saisir les choses intellectuelles, à contempler le beau, le vrai dans son essence ? » 5 Il me fit le plus grand éloge de ces diverses connaissances et me dit qu'elles étaient indispensables ; mais je lui répondis que je les ignorais complètement, et là-dessus il me congédia. Je fus, comme vous le pensez, fort affligé de me voir ainsi trompé dans mes espérances, d'autant plus que je lui croyais quelque savoir ; mais songeant à tout le temps que me demanderaient ces études, je ne pus supporter l'idée de me voir rejeté si loin de mon but. 6 Je ne savais plus à quoi me résoudre, lorsque je pensai aux platoniciens; ils étaient en grande vogue. Un des plus célèbres venait d'arriver à Naplouse, c'est avec lui que je me liai principalement; je gagnai beaucoup à ses conversations, mon esprit grandissait tous les jours. Ce que je pus comprendre des choses immatérielles me transportait, et la contemplation des idées donnait comme des ailes à ma pensée : je croyais être devenu sage en peu de temps, et telle était ma folie, que je conçus l'orgueilleux espoir de voir bientôt Dieu lui-même, car c'est là le but que se propose la philosophie de Platon.



III.


1 Cette disposition d'esprit me faisait chercher les plus profondes solitudes et fuir toute trace d'hommes, je me retirai donc dans une campagne à peu de distance de la mer ; comme j'approchais de l'endroit que j'avais choisi pour être seul avec moi-même, je m'aperçus qu'un vieillard d'un aspect vénérable, et d'une physionomie pleine de douceur et de gravité, me suivait d'assez près ; je m'arrêtai, en me tournant vers lui et je le regardai avec beaucoup d'attention :

2 — Vous me connaissez donc, me dit-il?

— Non, lui répondis-je.

— Pourquoi donc me regarder ainsi?

— Je m'étonne, lui répondis-je, de vous voir avec moi dans ce lieu, je m'y croyais seul.

— Je suis inquiet, me dit le vieillard, de quelques-uns de mes amis; ils sont partis pour un long voyage: je n'en ai pas de nouvelles. Je suis venu sur les bords de la mer pour tâcher de les découvrir de quelque côté. Mais vous, quel motif vous amène en ces lieux?

— J'aime, répondis-je, les promenades solitaires où rien ne distrait l'esprit, où l'on peut librement causer avec soi-même. Ces lieux sont bien propres aux graves études.

3 — Je le vois, vous êtes philologue, c'est-à-dire ami des mots, et non des œuvres et de la vérité. Vous aimez mieux être un raisonneur qu'un homme d'action.

— Eh ! lui dis-je, quoi de plus grand et de plus utile que de montrer aux hommes que c'est la raison qui doit commander en nous; que d'étudier, en la prenant soi-même pour guide et pour appui, les passions et les erreurs qui travaillent les autres; que de sentir combien leur conduite est insensée et déplaît à Dieu ! Sans la philosophie et sans une droite raison, il n'y a pas de sagesse dans l'homme; tout homme doit donc s'appliquer à la philosophie, la regarder comme la plus noble, la plus importante des études, et placer les autres au second ou au troisième rang. D'ailleurs celles-ci, selon moi, ne sont utiles, estimables qu'autant qu'un peu de philosophie vient s'y mêler; mais sans philosophie, elles sont fastidieuses, indignes d'un homme libre, et bonnes à être reléguées parmi les arts purement mécaniques.

4 — Ainsi, selon vous, la philosophie fait le bonheur?

— Oui, lui répondis-je, elle et elle seule.

— Eh bien! dites-moi ce que c'est que la philosophie et quel est le bonheur qu'elle procure, si toutefois rien ne vous empêche de nous le dire?

— La philosophie, répondis-je, c'est la science de ce qui est, c'est la connaissance du vrai ; et le bonheur, c'est la possession même de cette science, de cette connaissance si précieuse.

5 — Mais qu'est-ce que Dieu? me dit-il.

— Je définis Dieu, l'être qui est toujours le même et toujours de la même manière, la raison et la cause de tout ce qui existe.

Le vieillard m'écoutait avec plaisir; il me fit ensuite cette question :

— Ce que vous appelez science n'est-ce pas un mot générique qui s'applique à différentes choses? Ainsi, vous direz d'un homme qui possède un art, qu'il en a la science : par exemple, on dira de lui qu'il a la science du commandement, la science du gouvernement, la science de la médecine. Mais pour les choses qui concernent Dieu et l'homme, existe-t-il une science qui les fasse connaître, qui montre ce qu'elles ont de juste et de divin?

— Assurément, lui dis-je.

6 — Quoi donc ! il serait aussi facile de connaître Dieu et l'homme que la musique, l'arithmétique, l'astronomie ou quelque autre science semblable?

— Oh non ! lui dis-je.

— Vous n'avez donc pas bien répondu à ma question, reprit-il. Certaines connaissances exigent de l'étude et du travail, d'autres ne demandent que des yeux. Si l'on vous disait qu'il existe dans l'Inde un animal qui ne ressemble à aucun autre, qu'il est de telle ou telle manière, de plusieurs formes, de diverses couleurs, avec tout cela vous ne sauriez pas ce qu'il est, si vous ne le voyiez de vos yeux, et vous n'en pourriez raisonner si vous n'en aviez jamais entendu parler à quelqu'un qui l'eût vu ?

7 — Bien certainement, lui dis-je.

— Comment donc les philosophes peuvent-ils avoir une idée juste de Dieu, ou affirmer quelque chose de vrai sur son être ; car ils ne le connaissent pas, puisque ni leurs yeux, ni leurs oreilles n'ont pu leur en rien apprendre?

— Mais, lui répondis-je, on ne peut voir Dieu des yeux du corps comme les autres êtres. L'esprit seul peut le concevoir, ainsi que l'enseigne Platon, dont je professe la doctrine.

— Mais, reprit le vieillard, dites-moi ce que vous pensez de rame. Saisit-elle plus vite les objets que ne le fait l'œil du corps, ou bien peut-elle voir Dieu sans le secours de l'Esprit saint?



IV.


1 — Platon nous dit que l'œil de l'âme est doué d'une pénétration si vive, qu'avec lui, et c'est aussi pour cet usage qu'il a été donné, nous pouvons voir l'être par excellence, l'auteur de toutes les choses intellectuelles, qui n'a lui-même ni couleur, ni figure, ni étendue, rien en un mot de ce qui tombe sous les sens. Qu'est-ce que Dieu, en effet, sinon l'être au-dessus de toute essence, ineffable, incompréhensible, seul beau, seul bon, remplissant d'une lumière soudaine les âmes pures, à cause de leur affinité avec lui et de leur désir de le voir?

2 — Quelle est donc, reprit le vieillard, cette affinité que vous leur supposez avec Dieu? L'âme serait-elle Immortelle, divine, une partie de cette grande âme qui régit le monde? Comme elle voit Dieu, nous pouvons donc déjà, par notre esprit, le contempler et être heureux.

— Oui, certainement, répondis-je.

— Mais les âmes des animaux peuvent-elles aussi s'élever jusque-là, reprit-il, ou bien l'âme de l'homme diffère-t-elle de celle du cheval, de l'âne, etc. ?

— Nullement. Elle est la même chez tous.

3 — Les chevaux et les ânes ont donc vu Dieu ou le verront un jour ?

— Non, certes. Il est même des hommes, et je parle ici du vulgaire, qui ne le verront pas ; c'est un privilège réservé seulement à l'homme de bien, rendu à sa pureté primitive par la pratique de la justice et de toutes les autres vertus.

— Ainsi, reprit-il, ce n'est point à cause de son affinité avec Dieu que l'âme le voit, ni même parce qu'elle est une intelligence, mais uniquement parce qu'elle est juste, pure, vertueuse ?

— Dites aussi, lui répondis-je, parce qu'elle a l'idée de Dieu.

— Mais les chèvres et les brebis peuvent-elles nuire, faire du mal?

— Non, sans doute.

4 — Eh bien ! d'après votre raisonnement, elles aussi verront Dieu ?

— Point du tout, la conformation de leur corps s'y oppose.

— Ah ! si ces animaux pouvaient parler, que ne diraient-ils pas de la conformation du nôtre 1 Sachez qu'ils auraient bien plus sujet de s'en moquer. Mais laissons là cette discussion. Je veux bien vous accorder tout ce que vous avancez. Répondez à une autre question : Quand est-ce que l'âme voit Dieu ? est-ce pendant qu'elle est unie au corps, ou lorsqu'elle en est séparée?

5 — Lors même qu'elle est enfermée sous cette enveloppe matérielle, loi répondis-je, elle peut déjà embrasser Dieu par la pensée ; mais c'est surtout quand elle sera délivrée de sa prison et rendue à toute sa liberté, qu'elle jouira complètement et pour toujours de l'objet aimé.

— Rentrée dans l'homme, se souvient-elle de ce qu'elle a vu?

— Je ne le pense pas.

— A quoi lui sert-il donc d'avoir vu Dieu ? Quel avantage a-t-elle sur l'âme qui ne l'a pas vu, si elle ne se souvient même pas d'avoir vu ?

6 — Je ne saurais ici vous répondre.

— Mais quelles peines souffrent les âmes qui ne sont pas jugées dignes de voir Dieu?

— Elles sont enfermées dans le corps de quelques bêtes comme dans une prison. Tel est leur châtiment.

— Mais savent-elles pour quelle raison on les enferme dans ces nouveaux corps, leur a-t-on dit que c'était pour les fautes qu'elles avaient commises?

— Je ne pense pas qu'elles le sachent

7 — Alors le châtiment me paraît inutile; je pourrais même dira qu'elles ne sont pas punies, si elles ne savent pas que c'est ici un châtiment?

— Non, sans doute.

— Ainsi donc ces âmes ne voient point Dieu, elles ne passent pas non plus dans d'autres corps, car si elles y étaient envoyées elles sauraient que c'est une punition, et elles craindraient désormais de commettre la plus légère foute. Ce que vous dites d'ailleurs qu'elles ont l'idée de Dieu, qu'elles savent qu'il est beau de pratiquer la justice, la piété, je l'admets avec vous.

— Vous avez raison, lui dis-je.



V.


1 — Ainsi, ces grands philosophes, reprit le vieillard, ne sauraient répondre à ces diverses questions, ni même dire ce que c'est que l'âme?

— Cela est vrai.

— On ne peut pas dire qu'elle soit immortelle de sa nature, autrement elle serait incréée.

— Quelques disciples de Platon la croient immortelle et incréée.

— Mais ne dites-vous pas que le monde lui-même est éternel?

— Quelques-uns le prétendent. Pour moi je ne suis pas de leur avis.

2 — Et vous faites bien ; car quelle raison de croire que ce corps dur, solide, compact, qui change, périt, renaît tous les jours, n'a pas reçu l'existence de quelque cause? Mais si le monde est créé, il faut bien que les âmes le soient également, et puissent cesser d'être. Si vous dites qu'elles ont été créées à part des corps et non avec eux, vous conviendrez du moins qu'elles ont été faites pour eux?

— Cela me paraῖt juste.

— Dès lors elles ne sont pas immortelles de leur nature.

— Non, si nous admettons que le monde a été créé.

3 — Ce n'est pas, reprit le vieillard, que je prétende qu'une seule âme périsse, car tout l'avantage serait pour les méchants. Que vous dirai-je? Lee âmes des justes sont appelées

À une meilleure vie, et celles des méchante envoyées dans un lieu de souffrances, où elles attendent le Jour du jugement. Celles que Dieu juge dignes de le voir ne meurent point, et les autres sont punies aussi longtemps qu'il plaît à Dieu qu'elles vivent et qu'elles soient punies.

4 — Ce que vous dites, lui répondis-je, n'est-ce pas ce qu'enseigne Platon d'une manière assez obscure au sujet du monde qu'il dit sujet à la corruption, parce qu'il est créé mais qui, cependant, ne doit ni se dissoudre ni périr, parce que la volonté de Dieu s'y oppose? Voilà je pense ce que vous voulez faire entendre au sujet de l'âme, et en général des autres êtres. Tout ce qui est et sera jamais après Dieu est corruptible de sa nature, et partant peut être détruit et anéanti. Dieu seul est incréé, incorruptible : c'est par là même qu'il est Dieu ; ce qui vient après lui est créé, et par la même périssable : 5 c'est pour cela que des âmes peuvent être punies et mourir. Incréées, elles ne pécheraient point, elles ne donneraient dans aucun excès de folle, elles ne seraient ni lâches ni féroces, elles ne se décideraient point à entrer dans le corps des pourceaux, des serpents, des chiens, et il ne serait pas possible de les y contraindre par-là mène qu'elles seraient incréées. Supposez deux êtres incréés, ils sont nécessairement semblables, égaux, ou plutôt ils ne fout qu'un ; l'un ne surpasse point l'autre en pouvoir ou en dignité : 6 d'où je conclus qu'il n'existe pas plusieurs êtres incréés; car, s'il y avait entre eux la moindre différence, toutes les recherches possibles ne pourraient vous eu faire découvrir la cause ; votre pensée se perdrait dans l'infini, vous reviendriez après bien des peines inutiles vous rattacher à un seul être incréé, et le reconnaître comme la cause de tous les autres êtres.

Croyez-vous, ajoutai-je, que Platon, Pythagore, qui sont pour nous comme les remparts de la philosophie, aient ignoré tout ce que nous venons de dire?



VI.


1 — Peu m'importe, reprit le vieillard, et Platon et Pythagore, et tous ceux qui partagent leurs idées. Voici la vérité qu'ils n'ont pas comprise et que vous comprendras facilement. Ou l'âme est la vie même, ou seulement elle la reçoit. Si elle est la vie, elle doit la communiquer à un autre objet qu'à elle-même, comme le mouvement qui ne se renferme pas en lui, mais se communique au-dehors. Que l'âme vive, personne ne le nie ; mais si elle vit, ce n'est pas parée qu'elle est la vie, c'est seulement parce qu'elle y participe. Or, il y a une grande différence entre participer à une chose et être la chose elle-même. L'âme participe à la vie uniquement parce que Dieu veut qu'elle vive, 2 et si Dieu cessait de le vouloir, elle cesserait d'exister, car la vie n'appartient pan en propre à l'âme comme elle appartient à Dieu. Qui ne sait pas que l'homme n'existe pas toujours, que l'âme n'est pas toujours unie au corps, qu'elle l'abandonne quand leur union doit cesser, et qu'alors l'homme n'est plus? Hé bien! de même si Dieu veut que l'âme finisse, le souffle vital se retire d'elle, elle s'éteint, elle retombe dans le néant d'où elle est sortie.



VII.


1 — Mais, repris-je, à quels maîtres recourir, quel appui réclamer pour nous soutenir, si ces grands génies eux-mêmes ont ignoré la vérité?

Il me répondit : — A une époque fort éloignée de la nôtre, bien avant tous vos philosophes vivaient des hommes justes, saints, agréables à Dieu, remplis de son esprit. Inspirés d'en haut, ils annoncèrent tous les événements que nous voyons s'accomplir sous nos yeux. Ces hommes, ce sont les prophètes. Seuls ils ont connu la vérité et l'ont fait connaître. Étrangers à la crainte, exempts de vanité, mais remplis de l'esprit de Dieu, ils publiaient ce qu'ils avaient vu et entendu. 2 Leurs écrits existent encore. Ceux qui les lisent attentivement et sans prévention comprennent le principe et la fin de toutes choses, et savent bientôt tout ce que doit savoir un véritable philosophe. Ils ne discutaient pas quand il fallait parler. Ils étaient les témoins de la vérité, et combien leur témoignage est supérieur à tous les raisonnements! Les événements passés et ceux qui arrivent tous les jours nous forcent impérieusement de croire à leurs paroles. 3 Ils célébraient la gloire de Dieu le père, le souverain arbitre de l'univers. Ils annonçaient aux hommes celui que Dieu nous a envoyé, c'est-à-dire le Christ, son fils. Vous ne trouvez rien de semblable chez ces faux prophètes, que remplit l'esprit impur, l'esprit de mensonge. Ils cherchent à éblouir par des prestiges, et ne célèbrent que l'esprit d'erreur qui les animait, je veux dire le démon. Mais, avant tout, demandez que les portes de la lumière s'ouvrent pour vous. Qui peut voir et comprendre, si Dieu et son Christ ne lui donnent l'intelligence?



VIII.


1 Ainsi me parla le vieillard. Il me dit encore beaucoup d'autres choses qu'il est inutile de rapporter ici, et disparut en me recommandant de méditer ses paroles. Je ne l'ai pas revu depuis, mais un feu secret me dévorait; je brûlais du désir de connaître les prophètes et les hommes divins amis du Christ. En repassant dans mon esprit tout ce que m'avait dit le vieillard, je pensais que là devait se trouver la seule philosophie utile et certaine. 2 Vous savez maintenant comment et pourquoi je suis philosophe. Je n'ai plus qu'un désir, c'est de voir tous les hommes entrer dans la même voie et ne pas s'éloigner de la doctrine du Sauveur. Et elle respire je ne sais quelle majesté terrible, bien capable d'effrayer les hommes qui ont abandonné le droit chemin. Ceux qui méditent cette doctrine y trouvent au contraire le plus délicieux repos. Si vous vous intéressez à vous-mêmes, si avec le désir du salut, vous avez confiance au Dieu qui veut vous le procurer, venez vous instruire à l'école du Christ, faites-vous initier à ses mystères et vous pourrez connaître le bonheur.

3 A ces mots, les compagnons de Tryphon poussèrent un grand éclat de rire. Pour lui, il me dit en souriant : — J'applaudis au motif qui vous anime, au zèle tout divin qui vous embrase ; mais il eût mieux valu rester disciple de Platon ou d'un autre philosophe, et vous appliquer à acquérir la constance, l'empire sur les passions, la sagesse, que de vous laisser prendre à tout ce faux langage et de vous attacher à des hommes méprisables ; en demeurant fidèle à vos principes et vivant sans reproche, vous conserviez l'espoir d'une vie meilleure. Mais, quand vous abandonnez Dieu pour croire à la parole d'un homme, quel espoir de salut peut vous rester? 4 Si vous voulez m'en croire, car je vous regarde déjà comme un ami, faites-vous d'abord circoncire, puis observez le sabbat, les fêtes, les nouvelles lunes comme la loi le prescrit; en un mot, faites tout ce qu'elle commande, peut-être alors trouverez-vous grâce devant le Seigneur. Si le Christ est né et demeure quelque part, il est inconnu, il ne se connaît pas lui-même et n'a aucun moyen de se faire connaître. Il faut d'abord que le prophète Elle vienne lui donner l'onction sainte et le révèle à la terre. Sur de vains bruits, vous avez rêvé un Christ qui n'est que dans votre imagination, et dupe de vous-même, vous coures aveuglément à votre perte.



IX.


1 — Puisse le Seigneur vous le pardonner et vous faire grâce, ô Tryphon ! Vous blasphémez ici ce que vous ignorez. Vous croyez sur parole vos docteurs qui n'entendent pas les Écritures, et trompé par leurs fausses interprétations, vous dites au hasard tout ce qui vous vient à l'esprit Si vous le voulez, je vous montrerai que ce n'est pas nous qui sommes dans l'erreur. Vous comprendrez que rien n'est capable de nous empêcher de confesser le Christ; non, quand le tyran le plus farouche nous le défendrait, quand nous aurions à redouter tous les genres d'outrages. Je vous ferai voir que notre foi repose, non sur de vaines fables, mais des discours dépourvus de raison, mais sur une parole toute divine, pleine de force, riche de grâce.

2 Les compagnons de Tryphon recommencèrent leurs éclats de rire et poussèrent des cris indécents. Alors je me levai pour m'en aller. Mais Tryphon m'arrêta en me retenant par mon manteau, et me dit qu'il ne me laisserait point sortir que je n'eusse acquitté ma promesse.

— Que vos compagnons cessent donc leur bruit, lui répondis-je, et se comportent autrement : s'ils .veulent nous entendre, qu'ils se taisent; ou si quelque objet plus intéressant les appelle autre part, qu'ils nous laissent. Pour nous, mettons-nous un peu à l'écart et poursuivons en repos notre discussion.

3 Tryphon accepta la proposition, et nous fûmes d'avis de nous retirer au milieu du stade qui se trouvait dans le Xiste. Deux de ses compagnons se moquèrent de nous, et, après quelques plaisanteries sur le zèle qui nous enflammait, ils s'en allèrent. Quand nous fûmes arrivés dans l'endroit où se trouvent deux rangs de sièges en pierre, les amis de Tryphon, qui s'étaient assis d'un côté, s'entretinrent quelques instants de la dernière guerre de Judée, sur laquelle l'un d'eux avait amené la conversation.



X.


1 Lorsqu'ils eurent fini, je pris la parole en ces termes:

— Mes amis, que nous reprochez-vous? Est-ce de ne pas vivre selon la loi, de ne pas nous soumettre à la circoncision, ainsi que le faisaient vos pères; de ne point observer comme vous le jour du sabbat ? ou bien croyez-vous les odieuses calomnies répandues parmi vous contre les mœurs et les habitudes des Chrétiens; et, s'il faut ici les rappeler, nous aurait-on peints à vos yeux comme des hommes qui mangent de la chair humaine, qui, le repas fini et les lumières éteintes, se livrent aux plus Infâmes débauches; ou bien, enfin, nous condamnez-vous seulement parce que nous suivons la religion du Christ, parce que nous professons une doctrine qui ne vous semble pas la vérité?

2 — Oui, reprit Tryphon, ce que vous venez de dire en dernier lieu est la seule chose qui nous étonne ; pour les discours de la multitude, ils ne méritent pas d'être répétés et répugnent trop à la nature. Je trouve, au contraire, dans le livre que vous appelez Évangile de très beaux préceptes de, morale, mais si élevés et si sublimes, que je les crois impraticables; car j'ai eu la curiosité délire ce livre. 3 Mais n'est-il pas étonnant que des hommes qui se piquent de piété, qui prétendent par là se distinguer des autres, n'en diffèrent en aucune manière et ne vivent pas mieux que les gentils? En effet, vous n'observez ni les fêtes, ni le sabbat, ni la circoncision; vous placez votre espérance dans un crucifié, vous ne suivez aucun des préceptes du Seigneur, et vous osez attendre de lui des récompenses ! Ne lisez-vous pas, dans le Testament qu'il nous a donné, que tout homme qui n'aura pas été circoncis le huitième jour périra d'entre son peuple? La loi comprend jusqu'aux étrangers qui vivent parmi nous, jusqu'aux esclaves que l'on achète. 4 Vous ne tenez compte ni du Testament, ni de ses conséquences! Comment donc nous persuaderez-vous que vous connaisses Dieu, lorsque vous ne faites rien de ce qu'on voit faire à tous ceux qui le craignent? Montrez-nous, si vous le pouvez, sur quoi se fonde votre espoir quand vous transgressez la loi; donnez-nous une raison qui nous satisfasse: alors nous vous écouterons très volontiers, et c'est avec le même plaisir que nous discuterons tout le reste avec vous.



XI.


1 Je repris en ces termes : Le seul Dieu véritable, Tryphon, celui qui a toujours été et qui sera toujours, c'est l'auteur de cet univers et du bel ordre qu'on y admire. Nous n'avons pas un autre Dieu que le vôtre, nous adorons avec vous celui dont la main puissante à tiré vos pères de la terre d'Égypte; c'est en lui que nous espérons comme vous, car il n'y en a point d'autre : c'est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; mais ce n'est ni par Moïse, ni par la toi que nous espérons en lui ; car alors nous serions ce que vous êtes. 2 J'ai lu dans les Écritures que Dieu devait donner une nouvelle loi, un autre Testament qui ne serait jamais aboli ; c'est cette loi, c'est ce Testament que doivent désormais observer ceux qui veulent avoir part à l'héritage céleste. La loi donnée sur le mont Horeb est ancienne, elle était pour vous seuls; la nouvelle est pour tous les peuples. Substituée à la première, elle l'abroge entièrement, comme le Testament nouveau abolit celui qui le précède. Cette loi tout à la fols éternelle et nouvelle, cet autre Testament qui doit toujours durer, après lequel il n'y a plus ni loi, ni précepte qui oblige, c'est le Christ. 3 N'avez-vous jamais lu ces parabole d'Isaïe:

« Écoutez, ô mon peuple, et vous rois de la terre, prêtes l'oreille à ma voix : la loi sortira de ma bouche, ma justice éclairera les peuples; le juste approche, le Sauveur s'avance, les nations espéreront en moi. »"

Voilà pour la loi. C'est ainsi que le Seigneur parle du Testament par la bouche de Jérémie :

« Voici que les jours viennent, je donnerai un Testament nouveau à la maison d'Israël et à celle de Juda; ce n'est plus celui que j'avais donné à leurs pères, lorsque je les pris par la main pour les tirer de la terre d'Égypte. »

4 Puisque Dieu avait annoncé qu'il donnerait un Testament nouveau, et que ce Testament serait la lumière des nations; puisque nous voyons les peuples, au nom de Jésus crucifié, abandonner les idoles et toutes les autres voies iniques pour venir au vrai Dieu; puisque rien, pas même l'aspect de la mort, ne peut les détacher de son culte et les empêcher de confesser son nom, n'avez-vous pas une preuve certaine, d'après les œuvres et les miracles qui s'opèrent, que la nouvelle loi, le nouveau Testament, l'espérance de ceux qui, parmi les nations, attendent l'héritage promis, c'est Jésus-Christ lui-même ? 5 Nous sommes aujourd'hui la race spirituelle et véritable d'Israël, de Juda, de Jacob, d'Isaïe et d'Abraham qui reçut de Dieu la circoncision, en témoignage de sa foi, qui fut béni et appelé le père d'un grand nombre de nations. Oui, dis-je, nous formons la race sainte qui lui fat promise, nous qui n'avons connu le vrai Dieu que par Jésus crucifié, comme la suite de cette discussion le fera voir.



XII.


1 Alors je leur citai ces paroles d'Isaïe, qui s'écrie dans un autre endroit :

« Écoutez ma voix et vous vivres, et je vous donnerai le Testament éternel promis à mon serviteur David : je l'ai donné pour témoin aux peuples de la terre. Les nations qui ne te connaissent pas t'invoqueront, les peuples qui t'ignorent se réfugieront vers toi, à cause da Seigneur ton Dieu, le Dieu saint d'Israël qui t'a glorifié. »

2 Et voilà la loi que vous outragez, et voilà le Testament saint et nouveau que vous méprisez ! A cette heure même, vous ne voulez ni le reconnaître, ni faire pénitence:

« Vos oreilles sont encore fermées, vos yeux aveuglés et vos coeurs endurcis. »

Jérémie annonce hautement le nouveau législateur, et vous n'entendez pas sa voix; ce législateur est au milieu de vous, et vous ne le voyez pas; les pauvres reçoivent l'Évangile, les aveugles voient, et vous ne comprenez pas ! 3 Il faut maintenant une circoncision nouvelle, et vous ne vous glorifiez que dans celle de la chair. La nouvelle loi vous ordonne de célébrer un sabbat éternel, et lorsque vous vous êtes reposés un seul jour, vous vous croyez les plus religieux des hommes. Vous ignorez pourquoi votre sabbat, votre circoncision ont été établis. Parce que vous mangez un pain sans levain, vous vous imaginez avoir accompli toute justice. Ce n'est pas là ce que demande le Seigneur notre Dieu. Si quelqu'un est parjure ou voleur, qu'il cesse de l'être ; s'il est adultère, qu'il fasse pénitence; c'est alors qu'il célébrera le vrai sabbat, le sabbat le plus agréable à Dieu. SI quelqu'un n'a pas les mains pures, qu'il se lave dans l'eau, et le voilà purifié.



XIII.


1 Mais ce n'est pas à de semblables ablutions que vous renvoie Isaïe, pour vous purifier du meurtre ou d'autres crimes semblables; toute l'eau de la mer ne serait pas capable de les effacer. Mais il annonçait déjà le seul bain salutaire, le seul véritable, celui de la pénitence, ce baptême qui purifie non par le sang des boucs et des brebis, ou par le sacrifiée d'une génisse, ou par une offrande de farine, mais par la foi au sang de celui qui est mort pour expier le péché. Et n'est-ce pas ce que signifient ces paroles d'Isaïe:

2 « Le Seigneur a déployé son bras aux yeux des nations; tous les peuples, jusqu'aux confins de la terre, verront le salut qui vient de Dieu. Retirez-vous, retirez-vous; sortez et ne touchez rien d'impur. Sortez du milieu de la foule, sépares-vous, ô vous qui portez les vases du Seigneur, vous ne marcherez pas en tumulte, le Seigneur précédera vos pas, le Seigneur Dieu d'Israël vous rassemblera. Mon serviteur sera plein d'intelligence, grand et élevé en gloire ; 3 ainsi que plusieurs se sont étonnés, Jérusalem, à la vue de tes ruines, son visage sera sans éclat et sa figure méprisée. Mais la multitude des nations l'admirera, devant lui les rois garderont le silence; car ceux à qui il n'a point été annoncé verront, ceux qui n'ont point entendu comprendront. Qui croira à notre parole? Pourquoi le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? Nous l'avons annoncé comme un faible arbrisseau qui s'élève en la présence du Seigneur, comme un rejeton qui sort d'une terre aride; 4 il n'a ni éclat, ni beauté, nous l'avons vu, et il était méconnaissable et le plus abandonné des hommes ; homme de douleur, il est familiarisé avec la misère, son visage est obscurci par les opprobres, il a été méprisé et compté pour rien. Il a vraiment lui-même porté nos infirmités ; il a souffert pour nous, nous l'avons vu dans la douleur, chargé de blessures et d'affliction; 5 il a été blessé à cause de nos iniquités, il a été brisé pour nos crimes ; le châtiment qui doit nous procurer la paix s'est appesanti sur lui, nous avons été guéris par ses meurtrissures. Mous nous sommes tous égarés comme des brebis, chacun de nous se perdait dans sa voie, et le Seigneur a fait tomber sur lui l'iniquité de nous tous ; et lui, dans son affliction, n'a pas ouvert la bouche : il a été conduit à la mort comme un agneau, il est resté muet comme une brebis devant celui qui la tond, 6 il est mort au milieu des angoisses après un jugement Qui racontera sa génération ? Il a été retranché de la terre des vivants, il a été conduit à la mort pour les iniquités de mon peuple. On lui réservait la sépulture de l'impie, il a été enseveli dans le tombeau du riche, parce qu'il a ignoré l'iniquité et que le mensonge n'a pas souillé sa bouche. Le Seigneur veut guérir ses plaies; parce qu'il a été livré pour le péché, il verra sortir de lui une race immortelle; 7 oui, Dieu veut arracher son cœur à la douleur, lui montrer sa lumière, accomplir par lui sa volonté et justifier un grand nombre d'hommes. Oui, dis-je, il portera nos péchés ; mais aussi il possédera un peuple nombreux, il distribuera lui-même la dépouille des justes, et cela parce qu'il a été livré à la mort, qu'il a été mis entre des scélérats, parce qu'il a porté les péchés de tous et qu'il a été livré pour leurs iniquités. 8 Réjouis-toi, stérile qui n'enfante pas; chante des cantiques de louanges, pousse des cris de joie, toi qui n'avais pas d'enfants. L'épouse abandonnée, a dit le Seigneur, est devenue plus féconde que celle qui a un époux. Étends l'enceinte de tes pavillons, déploie les voiles de tes tentes, n'épargne rien, allonge tes cordages, affermis tes pieux; pénètre à droite, à gauche, ta postérité héritera des nations et remplira les villes désertes. 9 Ne crains pas, tu ne seras pas confondue, tu n'auras point à rougir, tu ne connaîtras plus le honte; tu oublieras la confusion de la jeunesse, tu ne te rappelleras plus l'opprobre de ta viduité. Le Seigneur a signalé son nom. Ton Sauveur, c'est le Dieu d'Israël, qui désormais sera appelé le Dieu de toute la terre. Le Seigneur t'a appelée, comme une femme dans l'abandon et dans la douleur, comme une épouse répudiée dès sa jeunesse. »



XIV.


1 Si nous croyons, c'est par ce baptême de la pénitence que Dieu lui-même a établi, comme le dit Isaïe, pour effacer les péchés des hommes et nous amener à sa connaissance; et ce baptême dès longtemps prédit par Isaïe, et seul capable de purifier le pécheur qui se repent, nous publions qu'il est la seule source de la vie.

Les citernes que vous vous êtes creusées ne peuvent contenir leurs eaux et vous deviennent inutiles. Quel avantage peut résulter pour vous d'un baptême qui ne purifie que le corps? 2 C'est votre âme qu'il faut affranchir de la colère, de l'avarice, de l'envie, de la haine, et alors vous serez vraiment purs.

Les pains azymes vous apprennent qu'il faut renoncer aux oeuvres anciennes qui naissent d'un mauvais levain; mais ces figures vous les entendez dans un sens tout charnel. Votre âme serait-elle remplie de fraude et d'injustice, vous ne vous en croiriez pas moins les plus pieux des hommes, parce que vous observez toutes les pratiques extérieures. 3 Dieu ne vous a-t-il pas ordonné d'user d'un levain nouveau, après avoir mangé pendant sept, jours des pains azymes? Que veut-il nous faire entendre par là, sinon qu'il faut sortir de l'ancienne et mauvaise voie, et commencer une vie nouvelle ?

Pour bien vous convaincre que c'est là ce que demande le nouveau législateur, je répéterai les paroles que j'ai déjà citées, et j'ajouterai celles que j'avais omises ; je les emprunte au prophète Isaïe :

4 « Écoutez-moi, dit le Seigneur, et vous allez vivre ; j'établirai avec vous l'éternelle alliance promise à mon serviteur David; Je l'ai donné pour témoin au peuple, pour guide et pour maître aux nations. Les nations qui ne vous connaissent pas vous invoqueront. Les peuples qui vous ignoraient accourront à vous, à cause du Seigneur votre Dieu, du saint d'Israël qui vous a glorifié. 5 Cherchez le Seigneur pendant qu'il peut être trouvé, invoquez-le pendant qu'il est proche. Que l'impie abandonne sa voie et l'homme;inique ses pensées, qu'ils retournent au Seigneur, il aura pitié d'eux; il est riche en miséricorde, il vous remettra vos péchés. Mes pensées ne sont pas vos pensées; mes voies ne sont pas vos voies. 6 Comme la neige et la pluie descendent du ciel et n'y retournent plus, mais pénètrent la terre, la fécondent et font germer la semence, espoir du laboureur, ainsi mes paroles ne reviendront pas à moi sans fruit, elles accompliront mes desseins et prospéreront en tout ce que j'ai voulu, 7 vous sortirez dans la joie et vous mangerez dans la paix. Dans votre attente, les montagnes et les collines tressailleront d'allégresse, et tous les arbres de la terre, animés par la joie, agiteront leurs rameaux. Les pins s'élèveront à la place des ronces, le myrte croîtra à la place de l'ortie, et le Seigneur sera connu sous son nom éternel que rien n'effacera. »

8 J'ajoutai : Ainsi donc, Tryphon, dans ces prophéties et d'autres semblables, vous trouvez des choses qui se rapportent les unes au premier avènement du Christ quand il parut sous une forme mortelle, sans gloire,et sans beauté; les autres à son second avènement, lorsqu'il viendra sur les nuées du ciel avec majesté, et que vous verrez, que vous reconnaîtrez celui que vous avez percé, ainsi que Daniel, ainsi qu'Osée, l'un des douze prophètes, l'ont prédit.



XV.


1 Apprenez encore d'Isaïe quel est le jeûne que Dieu demande de vous et le seul qui lui soit agréable. 2 C'est ainsi que lui parle le Seigneur :

« Crie avec force, ne te lasse point. Fais retentir ta voix comme les éclats de la tempête; annonce à mon peuple ses crimes, à la maison de Jacob ses prévarications. Chaque jour ils m'interrogent et veulent savoir mes vues, et comme un peuple ami de l'innocence et qui n'avait point violé ma loi, 3 ils invoquent ma justice, ils iraient défendre leur cause devant moi. Nous avons jeûné, disent-ils, pourquoi n'avez-vous pas daigné regarder nos jeûnes? Nous nous sommes humiliés : pourquoi l'avez-vous ignoré? Parce que vous suivez vos caprices en vos jours de jeûne et que vous écrasez tous ceux qui vous sont soumis. Ne jeûnez-vous que pour susciter des procès, des querelles, et pour frapper impitoyablement vos frères ? Cessez de pareils jeûnes, si vous voulez que le ciel entende vos cris. 4 Est-ce là un jeûne choisi par moi ? Que l'homme soit tous les jours humilié, qu'il courbe sa tête comme un jonc, et qu'il dorme dans un cilice et sur la cendre. Est-ce là un jeûne et un jeûne agréable au Seigneur ? N'y a-t-il pas un jeûne de mon choix? Rompez les liens de l'iniquité, anéantissez les obligations de vos contrats tyranniques, déchargez de leurs dettes ceux que vous écrasez ; déchirez toute écriture qui respire l'injustice, 5 partagez votre pain avec celui qui a faim, et recevez sous votre toit les pauvres qui sont sans asile : si vous voyez des hommes nus, couvrez-les, et ne méprisez point vos frères, qui sont votre chair. Alors votre lumière brillera comme l'aurore, votre vêtement en sera tout éclatant. Votre justice marchera devant vous, et vous serez environnés de la gloire du Seigneur. Alors vous l'invoquerez, et il vous exaucera; à votre premier cri, le Seigneur répondra : Me voici, 6 oui, si vous détruisez l'oppression parmi vous, si vous cessez vos menaces et vos paroles outrageantes, si vous assistez le pauvre avec effusion de cœur, si vous rassasiez sa faim, si vous consolez l'âme abattue, votre lumière se lèvera dans les ténèbres, et les ténèbres seront pour vous comme un soleil dans son midi. Le Seigneur sera toujours avec vous; il remplira tous les désirs de votre cœur; Il ranimera vos ossements ; vous serez comme un jardin toujours arrosé, comme une source dont les eaux ne se tarissent jamais. »

7 Soyez donc y ayant tout, circoncis de cœur ; car voilà la véritable circoncision ; celle que toutes les paroles des dit haut Écritures vous recommandent.



XVI.


1 Dieu vous dit lui-même par la bouche de Moïse : « Ayez soin de circoncire votre cœur, et ne vous endurcîmes pas davantage, parce que le Seigneur votre Dieu est lui-même le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, et puissant, et terrible, qui n'a point d'égard aux personnes ni aux présents. » Et dans le Lévitique : « Parce qu'ils ont prévariqué, qu'ils ont méprisé, qu'ils ont marché contre moi, j'ai aussi marché contre eux, je les abandonnerai dans une terre ennemie. Leur cœur incirconcis s'est humilié. »

2 La circoncision selon la chair n'était qu'un signe qui devait servir à vous distinguer de nous et des autres peuplée, quand la main de Dieu ferait tomber sur vous seul les châtiments que vous subissez justement aujourd'hui; et quels fléaux plus affreux? Votre pays n'est plus qu'un désert ; vos villes sont la proie des flammes ; l'étranger, sous vos yeux, dévore vos moissons; personne de vous ne peut plus entrer dans Jérusalem. 3 Ce qui vous fait reconnaître au milieu de ces désastres, c'est la marque de la circoncision imprimée sur votre chair. Je suis persuadé qu'aucun d'entre vous n'oserait dire que Dieu ignore l'avenir, et ne prépare pas à chacun le sort qu'il mérite. C'est donc à juste titre que tous ces maux vous sont arrivés. 4 Hélas ! vous avez fait mourir le juste ; autrefois vous mettiez à mort ses prophètes, et aujourd'hui vous accablez d'outrages et de mépris ceux qui espèrent en lui et en son père, le Dieu tout-puissant, qui nous l'a envoyé ; vous les chargez de malédictions dans vos synagogues. Toutes les fois que vous avez pu nous égorger, vous l'avez fait. Ce qui enchaîne votre bras, c'est la crainte «le ceux qui vous dominent aujourd'hui ; 5 c'est pourquoi Dieu vous crie par la bouche de son prophète Isaïe :

« Voyez comme le juste a péri, et personne n'y pense. Le juste a été enlevé du milieu de l'iniquité : il reposera en paix dans sa tombe; oui, il a été enlevé du milieu de vous. Approchez maintenant, enfants d'iniquité, race d'adultères et de prostituées! De qui vous êtes-vous joués? contre qui avez-vous ouvert la bouche et dardé vos langues? »



XVII


1 En fait d'outrages contre le Christ et contre nous qui sommes sortis de lui, aucune nation ne s'est rendue ami coupable que la vôtre ; vous êtes les auteurs des préventions et des calomnies qui nous poursuivent partout. Vous avez mis en croix le seul juste, le seul innocent, celui dont les blessures guérissent l'homme qui veut, par lui, aller à Dieu son père. Et, bien que vous sachiez à n'en pas douter qu'il est ressuscité d'entre les morts et remonté aux cieux, comme les prophètes l'avaient annoncé, non seulement vous n'avez pas fait pénitence, mais vous avez envoyé de Jérusalem, par toute la terre, des gens chargés de présenter les Chrétiens comme une secte impie qui venait de s'élever et de répandre toutes ces calomnies que répètent encore aujourd'hui ceux mêmes qui ne vous connaissent pas. Vous êtes donc coupables de vos propres crimes et de ceux de tous les hommes que vous avez égarés. 2 Et c'est avec raison que Dieu vous crie par le prophète Isaïe :

« A cause de vous, mon nom est blasphémé parmi les nations. »

Et plus loin :

« Malheur à eux I ils ont pris parti contre eux-mêmes, lorsqu'ils disaient : Enchaînons le juste, il nous est inutile. Ils rangent aujourd'hui le fruit de leurs œuvres. Malheur donc à l'impie! il lui arrivera selon ce qu'il aura fait. »

Et encore ailleurs :

« Malheur à ceux qui traînent l'iniquité comme de longues chaînes, et le péché comme les traits d'un char, et qui osent dire au Seigneur : Qu'il se hâte dans son œuvre, que les conseils du saint d'Israël nous soient manifestés, et nous saurons s'ils sont véritables. Malheur à vous, qui appelez mal le bien, et bien le mal ; qui changez les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres, l'amertume en douceur, et la douceur en amertume ! »

3 Il n'est que trop vrai que vous avez cherché à répandre les plus odieuses préventions, les plus sombres nuages sur la seule lumière, pure, incorruptible, que Dieu ait fait luire aux yeux des hommes. Elle vous a paru trop importune, la voix de celui qui vous criait :

« Il est écrit : Ma maison est une maison de prières, et vous en avez fait une maison de voleurs. »

Il fit plus, il a renversé lui-même les tables des changeurs qui s'étaient établis dans le temple.

4 « Malheur à vous! s'ecriait-il, scribes et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe et du cumin, et qui omettez la justice et les préceptes de l'amour de Dieu. Sépulcres blanchis, qui au-dehors paraissent beaux, mais qui au-dedans sont pleins d'ossements de morts et de corruption. »

Et ailleurs, s'adressant aux scribes :

« Malheur à vous, scribes, qui après vous être emparés de la clé de la science, n'y êtes point entrés et en avez fermé l'entrée aux autres, chefs aveugles que vous êtes. »



XVIII.


1 Puisque vous nous avez dit, Tryphon, que vous aviez lu l'Évangile, j'ai cru pouvoir rapprocher quelques paroles du Christ de celles des prophètes. 2 Purifiez-vous donc, éloignez-vous de l'iniquité, voilà surtout la purification que Dieu vous recommande, la circoncision qu'il exige de vous, Nous observerions nous-mêmes et votre circoncision selon la chair, et votre sabbat et toutes vos fêtes, si nous ne savions pas que c'est à cause de vos prévarications et de la dureté de vos cœurs que toutes ces pratiques vous ont êtes prescrites ; 3 car si nous supportons avec tant de courage les persécutions que soulève contre nous la méchanceté des hommes et des démons, si telle est notre constance au milieu des plus cruelles épreuves, en face de la mort et des tortυres, que nous prions pour ceux mêmes qui nous traitent si indignement, et que, selon le précepte de notre divin législateur, nous demandons instamment qu'il ne leur arrive aucun mal, comment n'observerions-nous pas, ô Tryphon, ce qui n'a rien de difficile en soi-même, je veux dire et votre circoncision selon la chair, et votre sabbat, et vos fêtes?



XIX.


1 Mais comment se fait-il que vous, qui vous soumette à toutes ces pratiques, vous ne veuillez pas remplir tous ces autres préceptes dont nous parlons? Voilà ce que nous ne saurions expliquer.

2 Votre circoncision n'était pas nécessaire aux autres hommes, mais à vous seulement, qui deviez éprouver les maux que vous souffrez aujourd'hui. Nous n'admettons pas non plus cet inutile baptême qui se fait avec l'eau de vos citernes, il n'a rien de commun avec le baptême qui donne la vie; et voilà pourquoi Dieu s'écrie que vous l'abandonnez, lui l'unique source vivifiante, pour vous creuser des citernes qui ne retiennent pas leurs eaux. 3 Vous recevez la circoncision de la chair et vous ne connaissez pas la plus nécessaire, celle du coeur; pour nous, avec celle-ci, nous n'avons pas besoin de la votre ; car si elle était indispensable, comme vous le prétendez, Dieu n'aurait pas créé Adam incirconcis; il n'aurait pas agréé les dons d'Abel, les offrandes d'Hénoch, qui n'étaient pas plus circoncis qu'Adam. Hénoch n'eût pas été transporté au ciel, sans laisser aucune trace de lui sur la terre. 4 Loth, tout incirconcis qu'il était, n'aurait pas été sauvé du feu de Sodome par le Seigneur lui-même et par ses anges? Noé, ce père d'une race nouvelle, était-il circoncis, quand Dieu le fit entrer dans l'arche avec ses fils? Était-il circoncis, ce grand prêtre du Très-Haut, Melchisédech, qui reçut la dîme d'Abraham, le premier des hommes que Dieu soumit à la loi de la circoncision et que bénit ensuite ce même Melchisédech, dans lequel Dieu établissait son sacerdoce éternel, ainsi qu'il le déclare par le prophète David? Je le répète, cette circoncision de la chair n'était nécessaire qu'a vous seuls, parce que le peuple de Dieu ne devait plus être son peuple, ni sa nation, pour me servir ici des paroles d'Osée, l'un des douze prophètes ; 5 car tous ces justes dont je viens de parler furent agréables à Dieu, bien qu'ils n'aient pas observé vos sabbats non plus, Abraham et tous ses descendants jusqu'à Moïse, sous lequel votre peuple. signala toute sa perversité et son ingratitude par ce veau d'or qu'il fit élever dans le désert. 6 C'est alors que Dieu, s'accommodant à sa légèreté, se fit immoler des victimes pour vous éloigner du culte des idoles; et cette précaution même vous a si peu préservés de l'idolâtrie, que vous avez été jusqu'à immoler aux démons vos enfants eux-mêmes. Il a institué le jour du sabbat afin de vous empêcher de perdre le souvenir du vrai Dieu, et, comme le dit l'Écriture, pour que vous vous rappeliez sans cesse que c'est le Seigneur qui vous a sauvés»



XX.


1 S'il vous a aussi commandé de vous abstenir de certaines viandes, c'est qu'il voulait que, même pendant vos repas, vous eussiez sa pensée présente à l'esprit, tant vous étiez prompts à l'oublier, ainsi que le dit Moise : « Le peuple s'est assis pour manger et pour boire, et s'est levé pour danser. » Et ailleurs : « Le peuple bien-aimé, après s'être engraissé, se révolta; appesanti, rassasié, enivré, il a délaissé le Dieu son créateur. » Moïse, dans le livre de la Genèse, ne nous a-t-il pas raconté que Dieu permit à Noé, cet homme juste, de manger de toute espèce d'animaux, excepté de la chair qui aurait encore son sang, c'est-à-dire suffoquée?  2 Tryphon se préparait à m'objecter ces paroles : Ainsi que des plantes. Je le prévins: Et pourquoi, lui dis-je, ne pas prendre ces mots, ainsi que des plantes, dans le sens que Dieu y attachait? C'est-à-dire que, de même qu'il donnait à l'homme toutes les plantes pour en faire sa nourriture, de même il lui donnait tous les animaux pour en manger. Mais, parce qu'il est certaines herbes dont nous nous abstenons, vous croyez que c'est parce que Dieu aurait prescrit à Noé de faire entre elles une distinction. 3 Ce n'est nullement dans ce sens qu'il faut entendre ce passage. Comme il est trop facile de montrer que toute plante est une herbe, et peut être mangée, je n'insiste pas là-dessus. Mais, si nous ne mangeons pas indistinctement de toutes sortes de plantes, sachez que ce n'est point parce qu'il s'en trouve parmi elles d'impures, d'immondes, mais seulement parce qu'elles sont amères ou pleines d'épines et dangereuses. Alors, nous mangeons de préférence celles qui sont douces, saines, agréable, soit qu'elles viennent dans l'eau ou sur la terre.

4 Mais quand Dieu vous a ordonné, par Moïse, de vous abstenir de certains animaux impurs, cruels, rapaces, c'était dans un sens tout différent. C'est parce que, tandis que Dieu faisait tomber sur vous la manne dans le désert et multipliait sous vos yeux les miracles, vous aviez élevé un veau d'or pour l'adorer ; aussi la voix de Dieu vous crie sans cesse, et avec raison : « Vous êtes une race insensée, des enfants infidèles. »



XXI.


1 Oui, c'est pour vous rappeler vos iniquités et celles de vos pères, que Dieu vous a ordonné de célébrer le sabbat et vous a imposé tant d'autres observances : c'est pour l'instruction des peuples, afin qu'ils ne profanent pas son nom, que Dieu laisse encore subsister quelques-uns d'entre vous, et j'ai pour garant de ce que j'avance ses propres paroles. 2 Écoutez ce qu'il dit par la bouche d'Ézéchiel :

« Je suis le Seigneur votre Dieu; marchez dans la voie de mes commandements, gardez mes préceptes. Abstenez-vous des usages profanes de l'Égypte ; sanctifiez mes jours de sabbat, afin qu'ils soient comme des signes entre vous et mol, et que vous sachiez que e'est moi qui suis votre Seigneur et votre Dieu. Mais vous m'avez aigri contre vous, vos enfants n'ont point marché dans la voie de mes préceptes; ils n'ont ni révéré ni gardé les commandements que je leur ai donnée, afin que celui qui les observe y trouve la vie, et ils ont violé mes jours de sabbat; 3 je les ai menacés de répandre ma fureur sur eux dans le désert, et de satisfaire ma colère en les punissant; mais j'ai retenu ma main, je les ai épargnés pour la gloire de mon nom, afin qu'il ne fût pas déshonoré devant les nations témoins de leur délivrance. J'ai levé de nouveau ma main sur eux dans la solitude pour les disperser parmi les nations et les répandre sur la terre, parce qu'ils n'avaient pas observé mes commandements, qu'ils avaient violé mes jours de sabbat, et que leurs yeux s'étaient attachés aux idoles de leurs pères. 4 C'est pourquoi je leur ai donné des préceptes qui n'étaient pas bons et des ordonnances où ils ne trouveront pas la vie. Je les souillerai dans leurs offrandes, lorsque je passerai au milieu d'eux pour détruire tous leurs premiers-nés. »



XXII.


Et pour vous convaincre que c'est à cause des prévarications d'Israël et de son idolâtrie que Dieu a exigé de lui des sacrifices, et non parce qu'il avait besoin de ses offrandes, écoutez ce qu'il dit lui-même à ce sujet; c'est ainsi qu'il fait parler Amos, un de vos douze prophètes:

2 « Malheur à vous qui désirez le jour du Seigneur! De quoi vous servira-t-il? ce jour sera les ténèbres et non la lumière. Il se présentera à vous comme à cet homme qui évite un lion pour rencontrer un ours; comme à celui qui, entrant en sa maison, appuie sa main sur la muraille, et un serpent le mord. Le jour du Seigneur ne sera-t-il pas un jour de ténèbres et non de lumière, une sombre nuit sans clarté? Je hais, je déteste les jours de fête, je ne puis respirer l'encens de vos solennités. 3 Je ne me complais ni dans vos offrandes, ni dans vos holocaustes; la graisse de vos victimes ne m'est point agréable. Éloignez de moi le tumulte de vos cantiques, je ne puis entendre le concert de vos instruments. Mais que le jugement se répande comme une eau abondante, et que la justice coule comme un torrent rapide. Maison d'Israël, m'avez-vous offert des victimes et des oblations durant les quarante années que vous avez voyagé dans le désert, dit le Seigneur? Vous avez porté avec vous la statue de Moloch et les figures de vos idoles, l'étoile de votre dieu Rampha, ouvrage de vos mains: 4 c'est pourquoi je vous transporterai hors de Damas, dit le Seigneur, dont le nom est le Dieu tout-puissant. Malheur à vous qui êtes tranquilles en Sion, et qui vous confia en la montagne de Samarie ; grands, princes de la nation choisie qui avez vendangé les prémices des nations et êtes entrés avec pompe dans les assemblées d'Israël, passez à Chalané et voyez, et de là allez a Emath la grande, et descendez à Geth, le pays des Philistins. Ces contrées valent-elles plus que vos royaumes? Leurs limites surpassent-elles les vôtres? 5 Malheur à vous, qui approchez des jours mauvais et qui célébrez des sabbats trompeurs, qui dormez sur des tas d'ivoire et vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux choisis et les veaux encore au sein de leur mère, qui chantez aux accords de la lyre, et qui les croyez durables et non fugitifs; qui buvez le vin dans des coupes, qui vous parfumez des plus riches odeurs, et qui demeurez insensibles à la douleur de Joseph ! C'est pourquoi vous irez en captivité, vos chefs marcheront les premiers vers la terre d'exil. Le théâtre de vos plaisirs changera de face, on y entendra le hennissement des chevaux d'Ephraïm. »

6 Dieu dit ailleurs par la bouche du prophète Jérémie :

« Ajoutez vos holocaustes à vos victimes et mangez-en la chair. Car, lorsque j'ai tiré vos pères de la terre d'Égypte, je ne leur ai point parlé d'holocaustes et de victimes. »

7 Écoutez encore ce que Dieu dit par la bouche de David, dans le quarante-neuvième psaume:

« Le Dieu des dieux a parlé, et il a appelé la terre depuis l'orient jusqu'au couchant. C'est de Sion que Dieu fera briller la splendeur de sa gloire; Dieu se manifestera, il sortira de son silence; un feu dévorant marchera devant lui ; il appellera les cieux et la terre pour juger son peuple. Rassemblez autour de moi mes saints, tous ceux qui ont contracté avec moi une alliance scellée par le sacrifice. Et les cieux annonceront la justice, c'est Dieu lui-même qui est le juge. 8 Écoute, mon peuple, et je parlerai ; Israël, je te rendrai témoignage : je suis le Dieu ton Dieu. Je ne t'accuserai point sur tes sacrifices et sur tes holocaustes, ils sont toujours présents à mes yeux. Qu'ai-je à faire des génisses de tes étables et des boucs de tes troupeaux ? Toutes les bêtes des forêts sont à moi, ainsi que tous les animaux qui paissent sur la montagne ; je connais tous les oiseaux du ciel, et les animaux des champs sont en ma puissance. 9 Si j'avais faim, est-ce à toi que je m'adresserais? L'univers est à moi et tout ce qu'il renferme. Mangerai-je la chair des taureaux ou boirai-je le sang des boucs? Offres à Dieu un sacrifice de louanges, et rendez vos hommages an Très-Haut ; invoquez-moi au jour de la détresse, je vous délivrerai et vous m'honorerez. Mais Dieu a dit au pécheur: Est-ce à toi qu'il appartient de publier mes décrets? Pourquoi ta bouche annonce-t-elle mon alliance? Toi, tu hais ma loi et tu as rejeté derrière toi ma parole;  10 quand tu voyais un larron, tu courais à lui, et tu allais prendre ta place à côté de l'adultère ; tu as rassasié ta bouche de malice et ta langue a préparé la fraude; pendant que tu étais assis, tu parlais .contre ton frère, tu couvrais d'opprobre le fils de ta mère. Voilà ce que tu as fait et je me suis tu ! Ton iniquité m'a jugé semblable à toi; je t'accuserai, j'exposerai tes péchés à tes propres yeux. Comprenez maintenant, vous qui oubliez le Seigneur, de peur que je ne vous saisisse; et personne ne pourra vous délivrer. Le sacrifice de louange est le culte qui m'honore, c'est la seule voie par laquelle je manifesterai le salut du Très-Haut. »

11 Ainsi, vous le voyez, si Dieu reçoit de vous des sacrifices, s'il vous commande de lui en offrir, ce n'est pas qu'il en ait besoin, c'est uniquement à cause de vos péchés. Et le temple lui-même, appelé le temple de Jérusalem, pourquoi Dieu a-t-il dit que c'était son palais, sa demeure? Est-ce qu'il en avait besoin? Non, assurément. Mais il voulait appeler sans cesse votre attention sur lui, pour vous empêcher de tomber dans l'idolâtrie; vous en avez une preuve bien sensible dans ces paroles d'Isaïe : « Quelle maison pourriez-vous me bâtir? dit le Seigneur. Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied. »



XXIII.


1 Si on n'admet pas tout cela, il faut tomber dans les plus étranges absurdités, il faut dire que le Dieu d'aujourd'hui n'est plus celui du temps d'Hénoch, et des autres justes qui n'ont pas connu la circoncision et qui n'observaient ni le sabbat, ni les autres pratiques de cette nature, puisqu'elles ne remontent qu'à Moïse, ou bien qu'il n'a pas voulu que le moyen de salut fût le même dans tous les temps et pour tous les hommes. Qui ne voit combien de pareilles suppositions sont ridicules et insensées? 2 N'est-il pas plus raisonnable de dire que c'est à cause de vos prévarications que Dieu a prescrit ces diverses ordonnances, qu'il est l'ami de l'homme, qu'il voit l'avenir, qu'il est bon, qu'il est juste? S'il en est autrement, répondez-moi, mes amis; dites-le moi, quelle est votre manière de voir sur le sujet qui nous occupe? 3 Pas un d'eux ne me répondit. Alors je continuai : Eh bien ! Tryphon, je vais exposer pour vous, et pour ceux qui veulent devenir les disciples du Christ, la doctrine toute divine qu'il nous a enseignée. Voyez-vous les éléments se reposer, observer le jour du sabbat? Restez comme vous êtes nés. On n'avait pas besoin de circoncision avant Abraham, ni de fêtes, ni de sabbat avant Moïse : eh bien ! tout cela est encore moins nécessaire depuis que Jésus-Christ le fils de Dieu, d'après la volonté de son père, est né sans péché d'une vierge issue du sang d'Abraham. 4 Abraham lui-même, lorsqu'il était encore incirconcis, ne fut-il pas justifié et béni uniquement à cause de sa foi et parce qu'il crut à Dieu, ainsi que vous l'apprend l'Écriture? Il reçut la circoncision seulement comme un signe et non comme un moyen de salut, l'Écriture et les faits nous obligent à le reconnaître.

C'est donc avec raison qu'il a été dit que chez le peuple juif quiconque n'aura pas été circoncis le huitième jour sera exclu de la nation. 5 Mais les femmes ne peuvent recevoir la circoncision, preuve certaine qu'elle a été donnée uniquement comme signe et non comme moyen de salut; car Dieu a fait la femme capable d'observer tous les préceptes de justice et de vertu. Nous voyons à la vérité entre elle et l'homme une conformation différente: toutefois nous savons bien qu'ils ne sont ni l'un ni l'autre justes ou injustes à cause de cette différence, mais qu'ils sont également nés pour la justice et la vertu.



XXIV.


1 Je pourrais encore, mes amis, vous montrer qu'il y a dans ce choix du huitième jour quelque chose de mystérieux, que Dieu veut nous faire entendre par la préférence qu'il lui donne sur le septième; mais je veux éviter toute digression. Comprenez seulement ce que je répète: Le sang de cette circoncision est aboli ; nous croyons à un sang plus efficace. Une autre alliance, une autre loi est sortie de Sion. 2 Jésus-Christ circoncit tous ceux qui veulent l'être avec des couteaux de pierre, selon ce qui a été prescrit autrefois, mais uniquement pour les préparer à devenir une nation juste, un peuple fidèle qui conserve la vérité, qui maintienne la paix. 3 Venez, ô vous tous qui craignez Dieu et qui désirez voir les merveilles de la céleste Jérusalem ! Venez, approchons de la lumière du Seigneur; il a délivré son peuple, la maison de Jacob. Accourez toutes, ô nations! rendons-nous tous ensemble à cette Jérusalem, la Jérusalem qui ne se verra plus assiégée pour les péchés de ses enfants :

« Je réponds à des peuples qui naguère ne m'interrogeaient pas, nous dit le Seigneur par la bouche d'Isaïe ; des peuples qui ne me cherchaient pas m'ont trouvé. 4 J'ai dit aux nations qui n'invoquaient pas mon nom: Me voici. J'ai tendu les bras pendant tout le jour à un peuple incrédule qui marche dans les ténèbres à la suite de ses péchés. Le peuple qui excite ma colère est devant moi. »



XXV.


1 Ceux qui se purifient et se disent enfants d'Abraham désireront avoir avec nous quelque part à son héritage, ainsi que l'Esprit saint le dit en leur nom par la bouche d'Isaïe:

2 « Regardez, Seigneur, du haut des cieux, du séjour de votre sainteté et de votre gloire: où est votre zèle, votre puissance, où est cette abondance de miséricorde qui nous a soutenus, Seigneur ? Vous êtes notre père ; Abraham ne sait pas qui nous sommes, Israël ne nous connaît pas. Mais vous, Seigneur, vous êtes notre père, sauvez-nous; votre nom est dès l'éternité. Seigneur, pourquoi nous avez-vous laissé errer loin de votre voie? Vous avez endurci nos cœurs jusqu'à ne plus vous craindre ; 3 tournez sur nous vos regards, à cause de vos serviteurs et des tributs de votre héritage, afin que de la montagne sainte nous recevions une petite part de cet héritage. Nous sommes devenus comme ces peuples sur lesquels vous n'avez pas régné et qui n'ont pas invoqué votre nom. Si vous ouvrez le ciel, à votre aspect, les montagnes seront ébranlées, elles s'écrouleront devant vous comme la cire devant un brasier, et les flammes envelopperont vos ennemis; ils apprendront à connaître votre nom; les nations trembleront devant vous : 4 quand vous ferez ces prodiges, l'effroi saisira les montagnes. Depuis l'origine des siècles, nous n'avons pas entendu raconter de semblables prodiges ; aucun œil n'a vu, excepté vous, Seigneur, ce que vous préparez dans votre miséricorde à ceux qui font pénitence. Vous viendrez à la rencontre de ceux qui vivent selon la justice ; ils se souviendront de vos voies, ô Seigneur ! Vous étiez irrité contre nous, nous vous avions offensé ; et voilà pourquoi nous avons erré ; nous sommes devenus tous comme un homme impur, et nos œuvres comme un linge souillé. Nous sommes tombés ainsi que la feuille, et nos crimes, semblables à un vent violent, nous ont dispersés. 5 Qui vous invoque aujourd'hui, qui se souvient du Seigneur et s'attache à lui? Personne. Vous nous avez voilé votre face, vous nous avez livrés au glaive à cause de nos péchés. Regardez-nous maintenant, Seigneur, nous sommes tous votre peuple. La ville de votre saint est devenue déserte, Sion est une solitude, Jérusalem est frappée de malédiction. Votre maison, notre sanctuaire et notre gloire, chantée par nos pères, n'est plus qu'un amas de cendres; toutes les nations triomphent et viennent fondre sur nous. Et vous l'avez souffert, Seigneur, et vous avez gardé le silence et humilié à ce point notre orgueil ! »

6 Alors Tryphon s'écria;— Que dites-vous, voulez-vous faire entendre que personne de nous ne sera admis sur la montagne sainte à partager l'héritage du Seigneur?



XXVI.


1 — Ce n'est point là, Tryphon, ce que je veux dire, je parle de ceux qui ont persécuté le Christ et le persécutent encore, sans vouloir faire pénitence; ceux-là assurément n'auront aucune part à l'héritage sur la montagne sainte, tandis que les gentils qui, touchés de repentir, auront cru en Jésus-Christ, entreront dans l'héritage du Seigneur avec les patriarches, les prophètes et les justes de la race de Jacob, bien qu'ils n'observent ni la circoncision, ni le sabbat, ni vos fêtes.

2 C'est Dieu lui-même qui l'annonce en ces termes par le prophète Isaïe :

« Moi, le Seigneur, je t'ai appelé dans les décrets de ma justice; je te prendrai par la main, je te défendrai, je te donnerai pour signe d'alliance à mon peuple et pour lumière aux nations; tu ouvriras les yeux aux aveugles, tu briseras les fers des captifs, tu délivreras de la servitude ceux qui étaient assis dans les ténèbres. »

3 Et ailleurs :

« Levez l'étendard à la face des nations; le Seigneur s'est fait entendre aux extrémités de la terre. Dites aux filles de Sion : Voici ton Sauveur, sa récompense est avec lui, et ses miracles le précèdent Ceux qui viendront seront appelés le peuple saint, le peuple racheté du Seigneur; et toi, ton nom sera la ville bien-aimée, et non plus la ville délaissée. Qui est celui qui vient d'Edom et de Bosra avec des habits teints de sang; quel est cet homme beau dans sa parure et qui marche avec tant de majesté? — Je suis le Verbe qui vient avec des paroles de justice et de salut. 4 — Pourquoi votre robe est-elle rouge, et vos vêtements comme les habits de ceux qui foulent la vendange ? — J'étais seul à fouler le vin, aucun homme d'entre les peuples n'est venu à moi, je les al brisés dans ma fureur, je les ai foulés comme delà poussière, et j'ai répandu leur sang sur la terre. Voici que pour eux est arrivé le jour de la vengeance ; l'année de la rédemption est venue. J'ai regardé, personne autour de moi pour me secourir; j'ai cherché, je n'ai pas trouvé un appui. Mon bras alors a été mon sauveur, et mon indignation m'a secouru; j'ai écrasé ce peuple dans ma fureur et j'ai dispersé son sang sur la terre. »



XXVII.


1 Alors Tryphon, prenant la parole : — Pourquoi, me dit-il, ne vous attachez-vous qu'aux passages qui favorisent votre opinion, et ne parlez-vous pas de ceux qui ordonnent expressément de célébrer le sabbat? Voici ce que dit le Seigneur par le même Isaïe : « Si vous ne voyagez pas le jour du sabbat, si vous oubliez votre volonté dans ce jour qui m'est consacré, si vous appelez le sabbat du Seigneur vos saintes délices, si vous n'allez pas en ce jour à votre travail ordinaire, si aucune parole mauvaise ne sort de votre bouche, alors vous vous réjouirez dans le Seigneur, il vous fera jouir des biens de la terre, il vous nourrira dans l'héritage même de Jacob votre père. Le Seigneur a parlé. »

2 — Mes amis, leur répondis-je, si j'ai omis ce passage du prophète, ce n'est point parce qu'il m'était contraire ; mais j'ai supposé que vous aviez compris et que vous comprenez bien, que si Dieu vous a recommandé de suivre les observances prescrites par Moïse, il n'a cessé en même temps de répéter qu'il ne vous les avait imposées qu'à raison de votre ingratitude et de la dureté de votre cœur, afin que par elles vous pussiez vous ouvrir une voie de pénitence, un moyen de salut qui vous rende agréable à ses yeux, et qu'on ne vous vît plus désormais immoler vos enfants aux démons, prendre part aux larcins, n'aimer que l'argent, n'agir que par cupidité, refuser justice à l'orphelin, protection à la veuve, et vous présenter devant lui les mains pleines de sang.

3 « Car les filles de Sion, dit le Seigneur, marchent la tête haute, en faisant signe des yeux et déployant de longues tuniques. »

« Tous se sont égarés, dit encore l'Écriture, tous sont devenus inutiles; il n'est pas un seul qui comprenne, pas un seul; leur langue s'est déliée pour le mensonge; leur gosier est un sépulcre ouvert, leurs lèvres recèlent un poison dévorant, les angoisses et la désolation sont dans leurs voies, ils n'ont pas connu le sentier de la paix. »

4 Dans le principe, Dieu vous avait prescrit toutes les observances, uniquement à cause de votre perversité. Eh bien! c'est à raison de votre persévérance dans la même voie, ou plutôt de votre intention d'y persévérer, qu'il se sert encore des mêmes pratiques pour vous obliger à vous souvenir de lui et à le reconnaître. Vous êtes, ainsi qu'il le dit, un peuple au cœur dur et Insensé, un peuple aveugle et incertain dans ses voies, des enfants d'incrédulité qui ne l'adorez que des lèvres et dont le cœur est si loin de lui, qui enseigne votre doctrine et non la sienne. 5 Et puis, dites moi, a-t-il voulu rendre prévaricateurs vos pontifes qui offrent des présents le jour du sabbat, et faire tomber dans le péché ceux qui donnent ou reçoivent la circoncision en ce jour, puisqu'il ordonne de circoncire l'enfant an bout de huit Jours, quand même le huitième serait un jour de sabbat Ne pouvait-il pas placer la circoncision le jour qui suit ou qui précède le sabbat, si c'était un crime de la donner ce jour-là? ou bien pourquoi n'a-t-il pas imposé toutes ces pratiques à ceux qui furent appelés justes avant Moïse et avant Abraham, et qui, sans elles, n'en furent pas moins agréables à ses yeux ?



XXVIII.


1 Vous nous l'avez déjà dit, répondit Tryphon, et nous vous avons écouté attentivement; car, à vrai dire, la chose mérite cette attention. Il ne faut pas, je crois, se contenter de répondre ici avec le vulgaire : c'est que Dieu l'a ainsi voulu ; car c'est toujours là le refuge de ceux qui ne savent que dire quand on leur fait une question.

2 — Eh bien ! lui dis-je, si je ne raisonne que d'après les Ecritures et les événements, vous ne devez plus rester incertains ni balancer à me croire, bien que je sois incirconcis. Songez-y, très peu de temps vous est encore laissé pour venir à nous. Si le jour du Christ vous surprend dans votre incrédulité, en vain vos larmes attesteront votre repentir, vous ne serez pas écoutés.

« Préparez la terre nouvelle, dit Jérémie, ne semez pas sur des épines, recevez la circoncision du Seigneur, la circoncision du cœur. »

3 Ne semez donc pas parmi les ronces, sur une terre non labourée et qui ne peut donner de fruits. Reconnaissez le Christ, et alors vos cœurs deviendront une terre riche, féconde, heureusement préparée.

« Voici que les jours viennent, dit le Seigneur, Je visiterai tous ceux qui sont incirconcis, l'Égypte, Juda, Edom, les enfants de Moab; tous ces peuples sont incirconcis de corps, mais c'est le cœur qui est incirconcis dans la maison d'Israël. »

4 Voyez-vous comme Dieu rejette cette circoncision qui n'était qu'une simple marque distinctive? à-t-elle beaucoup servi aux Égyptiens, aux fils de Moab, à ceux d'Edom? Mais qu'on soit Scythe ou Persan, pourvu qu'on ait la connaissance de Dieu et de son Christ, pourvu qu'on observe ses commandements éternels, alors on a la vraie circoncision, la seule utile et glorieuse, celle qui rend nos personnes chères à Dieu et nos dons agréables à ses yeux. 5 Souffrez que je vous cite ces autres paroles qu'il adresse à son peuple par la bouche de Malachie, l'un des douze prophètes :

« Mon amour n'est point en vous, dit le Seigneur, et je ne reçois pas vos sacrifices; car depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon nom est grand parmi les nations; on offre à mon nom en tout lieu un sacrifice, une oblation pure, parce qu'aujourd'hui mon nom est en honneur chez tous les peuples; mais vous le déshonorez, s'écrie le Seigneur. »

Il dit encore par la bouche de David :

«Un peuple que je ne connaissais pas s'est montré fidèle à ma voix, il a entendu ma parole et l'a suivie. »



XXIX.


1 Que toutes les nations réunies bénissent ensemble le Seigneur qui nous a visité; glorifions-le par son fils, le roi de gloire, le Dieu des vertus. Il a témoigné son amour aux nations : nos sacrifices lui ont été plus agréables que ceux d'Israël. Qu'ai-je donc besoin de votre circoncision, si j'ai le témoignage de Dieu même? A quoi bon votre baptême, si j'ai reçu celui de l'Esprit saint? 2 Il me semble que ce langage est de nature à persuader ceux qui ont le moins d'intelligence; et ce langage ne vient pas de moi. Ce n'est point ici la parole de l'homme; l'art ne l'a point arrangée. Voilà ce que chantait David, ce qu'annonçait Isaïe, ce que publiait Zacharie, ce qui fut écrit par Moïse. Le reconnaissez-vous avec moi, Tryphon? Ces paroles ne sont-elles pas consignées dans vos livres, ou plutôt dans les nôtres? Car nous nous attachons à l'esprit de ces livres; et vous, vous les lisez sans les comprendre. Si nous sommes incirconcis, c'est qu'ainsi Dieu nous a faits; 3 pourquoi nous le reprocher, pourquoi regarder cet état comme un opprobre? et pour avoir fait tiédir de l'eau un jour de sabbat, a-t-on commis un crime affreux? Est-ce que Dieu ne gouverne pas le monde ce jour-là comme les autres jours? Est-ce que les pontifes ne sont pas obligés le jour du sabbat, ainsi que les autres jours de la semaine, de s'occuper du soin des sacrifices ? Encore une fois, cette multitude de justes qui n'avaient observé aucune des pratiques prescrites par la loi n'ont-ils pas été loués par le Seigneur et honorés de son témoignage?



XXX.


1 N'attribuez qu'à votre perversité les blasphèmes que se permettent contre Dieu les insensés qui osent dire qu'il n'a pas établi pour tous et en tout temps le même moyen de salut En effet, toutes vos pratiques ont été jugées absurdes, indignes de Dieu, par des hommes trop peu éclairés pour juger qu'elles pouvaient servir à ramener dans les voies de la pénitence un peuple comme le vôtre, travaillé de je ne sais quelle maladie d'esprit, et pour comprendre que la loi qui ne parut qu'après Moïse était cependant la loi éternelle. 2 Vous la trouvez annoncée dans un des psaumes ( le 18e ) ; vous y lisez que les préceptes du Seigneur qui donnent la sagesse sont plus doux que le miel le plus délicieux: ce qui le prouve, c'est que nous affronterions la mort plutôt que d'abjurer son saint nom. Nous lui demandons avant toute chose, comme on le sait, d'être préservés des ennemis cachés, c'est-à-dire des esprits pervers et trompeurs, comme le prophète le dit en termes figurés, quand il fait parler dans ce psaume ceux qui croient au Christ, et pour échapper aux attaques de ces ennemis du culte de Dieu, je veux dire 3 les mauvais génies que nous adorions autrefois, nous demandons au Seigneur par Jésus-Christ, son fils, qu'il nous conserve purs et sans tache, après nous avoir fait connaître la vérité. Nous appelons le Christ notre soutien, notre Sauveur, lui dont le nom seul fait trembler les démons. Ne voyez-vous pas qu'en effet, au seul nom de Jésus, crucifié sous Ponce-Pilate, les démons sont chassés et vaincus? Et quelle preuve plus évidente de la puissance qui lui fut donnée par Dieu le père, que de voir son nom et les mérites de sa passion terrasser les puissances de l’enfer?



XXXI.


1 Si telle est la force attachée aux mérites de ses souffrances, quelle est donc celle qu'il déploiera lors de son glorieux avènement?

Il viendra du haut des nuées comme le Fils de l'homme, a dit Daniel, et les anges formeront son cortège. 2 Écoutez les paroles du prophète :

« Je regardai jusqu'à ce que les trônes furent placés, et l'ancien des jours s'assit; son vêtement était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête comme une laine pure, son trône comme la flamme du feu, et ses roues comme un feu ardent, et un fleuve de feu sortait rapidement de sa face, mille millions le servaient, et dix mille millions étaient devant lui. Le jugement s'assit et les livres furent ouverts. 3 Je regardais à cause de la voix des grandes paroles que la corne proférait, et je vis que la bête fut tuée et que son corps fut déchiré et fut livré pour être dévoré par le feu, et que la puissance des autres bêtes leur fut ôtée, et que le temps de la vie leur fut donné jusqu'à un certain jour et un temps marqué. Je regardais donc en la vision de la nuit, et voici comme le fils de l'homme qui venait sur les nuées du ciel, et il s'avança jusqu'à l'ancien des jours, et on l'offrit en sa présence, 4 et il loi donna la puissance, l'honneur, et l'empire; et tous les peuples, tribus et langues, le servirent. Sa puissance est une puissance éternelle qui ne sera pas transférée, et son règne ne sera point affaibli. Mon esprit fut saisi d'horreur. Moi, Daniel, je fus effrayé de ces choses, et les visions de ma tête me troublèrent. Je m'approchai de l'un des assistants et lui demandai la vérité de toutes ces choses, et il me donna interprétation des paroles et m'enseigna : Ces quatre grandes bêtes sont quatre royaumes qui s'élèveront de la terre, et ils recevront le royaume du Seigneur le Dieu très-haut, et obtiendront le royaume jusqu'au siècle et au siècle des siècles. 5 Après je voulus soigneusement m'enquérir de la quatrième bête qui était très différente des autres et terrible : ses dents et ses ongles étaient de fer, elle mangeait et brisait, et foulait à ses pieds les restes ; et je m'informai des dix cornes qu'elle avait à la tête et, de l'autre, qui s'était élevée devant laquelle étaient tombées trois cornes; et de cette corne qui avait des yeux et une bouche qui proférait de grandes choses, et cette bête était plus grande que les antres. Je regardais, et voici que cette corne faisait la guerre aux saints et prévalait sur eux, jusqu'à ce que l'ancien des jours fût venu et qu'il eût donné son jugement aux saints du Très-Haut. Et le temps vint et les saints obtinrent le royaume, et il dit ainsi : 6 La quatrième bête sera le quatrième royaume, lequel sera plus grand que tous les royaumes et dévorera toute la terre, et la foulera et la brisera. Mais les dix cornes de ce royaume seront les dix rois, et un antre s'élèvera après eux qui sera plus puissant que les premiers, et il humiliera trois rois. Et il pariera orgueilleusement contre le Très-Haut et il brisera ses saints; et il croira qu'ilpeut changer les temps et les lois, et les hommes seront livrés en sa main jusqu'à un temps et des temps et la moitié d'un temps ; 7 et le jugement interviendra, afin que la puissance lui soit ôtée et qu'il soit brisé, qu'il soit déchiré jusqu'à la fin, et que le règne et la puissance, et la grandeur du royaume qui est sous le ciel, soient donnés au peuple des saints du Très-Haut dont le peuple est éternel, et tous ta rois le serviront et lui obéiront. Ici est la fin de la parole. Moi, Daniel, j'étais fort troublé par mes pensées, et mon visage changea, et je gardais la parole en mon cœur. »



XXXII


1 Je m'arrêtai. Alors Tryphon me dit: — Ces passages et d'autres semblables nous forcent de reconnaître qu'un Messie doit venir plein de gloire et de puissance, et qu'il recevra des mains de l'ancien des jours le royaume éternel, en sa qualité de Fils de l'homme; mais votre Christ, celui que vous appelez de ce nom, a été sans gloire, méprisé, au point d'encourir la dernière des malédictions portée par la loi : il a été mis en croix.

2 Je lui répondis: — Si les oracles que j'ai cités n'annonçaient pas qu'il sera sans beauté, qu'on ne pourra raconter sa génération, que les riches mourront à cause de sa mort, que nous serons guéris par ses meurtrissures, qu'il sera conduit à la mort comme un agneau ; si je ne vous avais pas exposé ses deux avènements, l'un où il sera percé par vous, l'autre où vous reconnaîtrez celui que vous avez percé, où toutes vos tribus se lamenteront et mêleront leurs gémissements, où les hommes et les femmes dans leur effroi fuiront de divers côtés, mes paroles pourraient vous paraître obscures et insignifiantes. Aussi, dans toute cette discussion, je ne veux raisonner que d'après les livres que vous regardez comme saints et prophétiques, espérant que le principe de vie confié à ces livres par la grâce du Dieu tout-puissant, pour amener les hommes au salut éternel, opérera la conversion de quelques-uns d'entre vous.

3 Et afin de répandre encore plus de clarté sur l'objet de la discussion, je citerai d'autres oracles, ceux du roi David, où vous verrez que l'Esprit saint donne au Christ le nom de Seigneur, qu'il a été rappelé de la terre au ciel par son père, le maître de toutes choses, et placé par lui à sa droite jusqu'à ce qu'il ait réduit ses ennemis à lui servir de marchepied ; et n'est-ce pas là ce qui s'accomplit depuis que le Christ est ressuscité d'entre les morts et monté aux cieux ? Le temps court à sa fin; il apparaît, il est déjà à la porte, celui qui doit vomir tant de blasphèmes contre le Très-Haut et régner selon Daniel un temps, puis des temps, et déplus un demi-temps. 4 Comme vous ignorez la durée de son règne, tous vous figurez tout autre chose. Par le mot temps, vous entendez une durée de cent années, et d'après votre calcul, il faudrait que l'homme d'iniquité régnât au moins trois cent cinquante ans, en comptant pour deux siècles le pluriel tempora employé par le prophète. 5 Ce n'est pas sans dessein que je me suis permis cette digression; j'ai voulu qu'une fois convaincus que vous n'êtes que des enfants sans intelligence, comme le dit le Seigneur, et bien persuadés de la vérité de ces autres paroles :

« Je ferai un prodige pour remuer ce peuple, je détruirai la sagesse des sages ; j'obscurcirai l'intelligence de ceux qui se croient habiles, »

vous cessiez enfin de vous tromper vous-mêmes et ceux qui vous écoutent, pour ne plus suivre d'autres maîtres que ceux à qui la grâce de Jésus-Christ a communiqué la véritable sagesse. 6 Or, voici les paroles de David :

« Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. L'Éternel va faire sortir de Sion le sceptre de votre autorité ; vous établirez votre empire au milieu de vos ennemis, les peuples vous obéiront au jour de votre force; au milieu de la splendeur de vos saints, je vous ai engendré avant l'aurore. L'Éternel l'a juré, il ne révoquera jamais son serment; vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech. Le Seigneur est assis à votre droite, il écrasera les rois au jour de sa colère. Il jugera les nations, il multipliera la mort, il brisera la tête de celui qui a dominé la terre, il boira en passant l'eau du torrent; c'est pourquoi il lèvera la tête. »



ΧΧΧIII.


1 Je sais que vous osez dire qu'il ne s'agit ici que du roi Ezéchias; mais les paroles mêmes du texte vont vous prouver combien vous êtes dans l'erreur. Il est dit :

« L'Eternel l'a juré, il ne révoquera jamais son serment; »

et puis:

« Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech. »

Rappelez-vous encore ce qui suit et ce qui précède. Oserez-vous dire qu'Ezéchias ait été prêtre et piètre éternel ? Ne voyez-vous pas que ces paroles n'ont de sent qu'autant qu'elles s'appliquent à notre Jésus? Mais vos oreilles sont fermées, et vos cœurs aveuglés. 2 C'est à cause de votre incrédulité que le Seigneur a recours au serment, lorsqu'il déclare que le Christ est le pontife selon l'ordre de Melchisédech; voici le sens de ces paroles : De même que Melchisédech, appelé prêtre du Très-Haut par Moïse, fut le prêtre des incirconcis, et bénit Abraham qui avait reçu la circoncision et lui offrit la dîme, de même Dieu déclare que son prêtre éternel, appelé Seigneur par l'Esprit saint, sera le prêtre des incirconcis, et qu'il se plaira à recevoir et à bénir ceux des circoncis qui viendront à lui, c'est-à-dire qui croiront à sa parole et demanderont sa bénédiction. La fin du psaume vous annonce que d'abord il sera pauvre et humilié, puis élevé en gloire; car voyez ce rapprochement :

« Il boira en chemin de l'eau du torrent, et c'est pour cela qu'il lèvera la tête. »



XXXIV.


1 Mais Je veux vous prouver que vous n'entendez en aucune manière les divines Écritures. L'Esprit saint a dicté au roi-prophète un autre psaume, qui ne peut encore s'entendre que du Christ, et dont vous voulez faire l'application à Salomon, qui fut aussi un de vos rois. Il suffit de l'équivoque d'un mot pour vous faire illusion. Parce qu'on y lit celui-ci: « La loi pure du Seigneur, » à l'instant vous croyez qu'il s'agit non de la loi donnée après Moïse, mais de la loi publiée par le ministère de ce législateur, bien que dans ce psaume Dieu vous déclare qu'il donnera une loi nouvelle, un testament nouveau. 2 Et parce que vous usez ensuite ces mots: Donnez votre jugement au roi, comme en effet Salomon fut roi, vous voulez que ce psaume le concerne, lors même que les paroles font entendre si clairement qu'il s'agit d'un roi dont le règne sera éternel, ce qui ne peut s'entendre que du Christ. Car le Christ est ici annoncé avec tous les traits qui le caractérisent, c'est-à-dire et comme rai, et comme prêtre, et comme Dieu, Seigneur, ange, homme, chef d'armée, comme pierre angulaire, comme enfant qui naît, comme homme de douleurs, puis retournant au ciel, venant ensuite avec gloire, et possédant l'empire éternel, 3 ainsi que je vous le prouve d'après toutes les Écritures. Mais pour mieux me faire comprendre, je vais vous citer le psaume tout entier :

« Seigneur, donnez au roi votre jugement, et au fils du roi votre justice. Il jugera votre peuple dans la justice et les pauvres dans l'équité. Les montagnes produiront la paix au peuple, et les collines la justice ; il jugera les pauvres d'entre le peuple, il sauvera les fils du pauvre, il brisera l'oppresseur. Il sera craint autant que dureront le soleil et la lune pendant le cours des générations; il descendra comme la pluie sur l'herbe nouvellement coupée, comme toi gouttes de la rosée sur la terre. 4 La justice se lèvera en ces jours, et l'abondance et la paix; et leur durée égalera celle des astres dans le ciel ; il dominera de la mer jusqu'à la mer, des fleuves jusqu'aux extrémités de la terre; les habitants du désert se prosterneront devant lui, et ses ennemis baiseront la poussière de ses pieds. Les rois de Tarse et les nés lointaines lui apporteront des présents, les princes de l'Arabie et de Saba lui apporteront des offrandes, tous les rois de la terre l'adoreront, et les nations lui seront assujetties, parce qu'il arrachera le pauvre des mains du puissant, le pauvre qui n'avait point d'appui; 5 il sera bon au pauvre et à l'indigent, il sauvera les âmes des pauvres. Il les délivrera de l'usure et des violences, leur sang sera précieux devant loi; il vivra, et l'or de l'Arabie lui sera donné. Il sera l'objet de tous les vœux, on le bénira à jamais. Il sera affermi sur la terre, il s'élèvera sur le haut des montagnes; et les fruits croîtront, ils se multiplieront au sein des villes comme l'herbe de la prairie. 6 Son nom sera béni dans tous les siècles, son nom dorera autant que le soleil ; toutes les nations de la terre seront bénies en lui, toutes les nations le glorifieront. Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, qui seul opère les merveilles ! Béni soit à jamais le nom de sa gloire ! toute la terre sera remplie de sa majesté! Qu'il soit ainsi, qu'il soit ainsi ! »

A la fin de ce psaume, on lit ces paroles :

« Ici finissent les hymnes de David, fils de Jessé. »

7 Je conviens avec vous que Salomon fut un grand roi, qu'il a jeté un grand éclat, que sous lui fut bâti ce superbe édifice que vous appelez le temple de Jérusalem. Mais il est évident qu'on ne peut loi appliquer aucune des paroles de ce psaume. Tout l'univers l'a-t-il adoré ? A-t-il étendu son empire jusqu'aux extrémités de la terre ? Tous ses ennemis se sont-ils prosternés devant lui? Les rois sont-ils venus baiser la poussière de ses pieds ? 8 Permettez-moi de rapporter ce qu'il est dit de lui dans le livre des Rois. N'y lisez-vous pas que, pour plaire à une femme qu'il aimait, il adora les dieux de Sidon? Et voilà ce qu'on ne verra jamais faire à ceux des gentils auxquels Jésus-Christ a fait connaître le Dieu créateur de l'univers : ils endureraient plutôt toutes les tortures, tous les supplices et jusqu'à la mort la plus cruelle, que de fléchir le genou devant les faux dieux, que de manger seulement des viandes offertes aux idoles.



XXXV.


1 — Cependant, reprit Tryphon, j'entends dire que plusieurs de ceux qui confessent le Christ, et qu'on appelle Chrétiens, mangent de ces viandes et prétendent ne contracter aucune souillure.

2 Je lui répondis: — Ce sont des hommes qui, tout en se disant Chrétiens, tout en confessant que Jésus crucifié est le Seigneur et le Christ, ne suivent point sa doctrine, mais celle des esprits de ténèbres ; et par là même qu'il existe des hommes de ce caractère, nous ses disciples attachés à la doctrine véritable et pure, nous n'en sommes que plus fermes, pins inébranlables dans la foi qu'il nous a enseignée. Car nous voyons de nos propres yeux se réaliser ce qu'il avait lui-même prédit :

3 « Plusieurs viendront en mon nom couvert de peaux de brebis, mais au-dedans ce sont des loups ravissants. »

Ailleurs il est dit :

« Qu'il y aurait des schismes et des hérésies. »

Dans un autre endroit vous lisez encore ces paroles :

« Gardez-vous des faux prophètes qui viendront à vous couverts d'une peau de brebis, loups ravissants au-dedans; »

et enfin :

« On verra s'élever plusieurs antechrists, plusieurs faux prophètes qui séduiront un grand nombre de fidèles. »

4 Il y a eu et il existe encore, mes amis, beaucoup de ces hommes qui, sous le nom de Jésus, enseignent les plus monstrueuses impiétés : nous les désignons par le nom de sectes et des hérésies dont ils ont été les auteurs; 5 car chacun d'eux enseigne à sa manière ses affreux blasphèmes contre le Dieu créateur de toutes choses, contre le Christ, dont ce Dieu avait annoncé la venue, contre le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Nous ne communiquons point avec ces hommes, nous les savons injustes, impies, athées, sans loi; ils n'adorent point le Christ, ils ne le confessent qu'en paroles ; ils ressemblent aux gentils, qui impriment le nom de Dieu sur les ouvrages de leurs mains ; 6 ils se parent du nom du Christ, et ils participent à des sacrifices impies, abominables. Les uns s'appellent marcionites, les autres valentiniens, ceux-ci basilidiens, ceux-là satorniliens. Tous portent le nom du chef de leur secte, comme ceux qui veulent, ainsi que je l'ai dit plus haut, s'attacher à une école de philosophie, se plaisent à prendre le nom de l'auteur du système qu'ils embrassent.

7 Nous sommes certains que Jésus-Christ voyait dans l'avenir ce qui arriverait après lui ; témoins les paroles que nous avons citées, et ses prédictions sur le sort réservé à ceux qui croient en lui et confessent son nom; car il nous avait annoncé tout ce que nous avons à souffrir aujourd'hui de la part de nos proches, qui nous font une guerre à outrance et nous mettent à mort, de sorte qu'on ne peut le trouver en défaut sur rien de ce qu'il a dit ou fait. 8 Voilà pourquoi nous prions pour vous et pour tous ceux qui nous haïssait:nous demandons que touchés de repentir, à notre exemple, vous rentriez en vous-mêmes, vous cessiez vos blasphèmes contre Jésus-Christ, que sa doctrine, les oracles qui l'ont annoncé, les œuvres, et les prodiges qui s'opèrent en son nom vous montrent si pur et si saint ; et que devenus ses disciples, vous obteniez le salut au jour de son second avènement, lorsqu'il apparaîtra dans toute sa gloire, au lieu d'entendre de sa bouche la sentence qui vous condamnerait à un feu éternel.



XXXVI.


1 — Eh bien ! dit Tryphon, supposons les choses comme vous le dites : j'admets que le Christ soit la pierre angulaire; je vous accorde que les oracles aient annoncé qu'il devait souffrir, mais qu'après son premier avènement il reparaîtrait environné de gloire, qu'il jugerait tous les hommes, qu'il serait le roi, le père éternel; mais prouvez-moi que votre Jésus est bien le Christ que les prophètes ont ainsi annoncé.

2 — Volontiers, lui dis-je; j'arriverai en temps et lieu aux preuves que vous me demandez. Mais, dans ce moment, permettez-moi de nouvelles réflexions sur les prophéties qui nous apprennent que le Christ a été appelé Seigneur et Dieu des vertus, Dieu de Jacob; et que vos docteurs sont des insensés, pour me servir de l'expression de l'Écriture, lorsqu'ils prétendent que toutes ces paroles doivent s'entendre, non du Christ, maiσ de Salomon, parce que celui-ci fit transporter l'arche d'alliance dans le temple qu'il avait élevé. 3 Le psaume que je vais citer est de David :

« La terre et tout ce qu'elle renferme est au Seigneur, l'univers et tout ce qui l'habite est à lui; c'est lui qui l'a affermi au milieu des mers et qui l'a élevé au-dessus des fleuves. Qui montera sur les montagnes du Seigneur ? qui s'arrêtera dans son sanctuaire?

Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur, qui n'a pas reçu son âme en vain, qui n'a jamais été parjure, celui-là recevra la bénédiction du Seigneur, 4 et obtiendra la miséricorde de Dieu son Sauveur. Telle est la race de ceux qui cherchent le Seigneur, qui cherchent votre présence, Dieu de Jacob. Ouvrez-vous, ô portes éternelles, et le roi de gloire entrera. Quel est-il ce roi de gloire? C'est le Seigneur, le fort, le puissant dans les combats. Ouvrez-vous, portes, ouvrez-vous, portes éternelles, et le roi de gloire entrera. Quel est-il ce roi de gloire? C'est le Seigneur, le Dieu des vertus : c'est lui qui est le roi de gloire. »

5 Je vous ai déjà montré que Salomon n'était pas le Seigneur des vertus. Ce psaume ne peut s'entendre que de notre Christ, qui remonta vers les cieux après sa résurrection. Alors Dieu commanda aux princes «de la milice céleste rangés par ordre d'ouvrir les portes du ciel, afin que le roi de gloire y fît son entrée, et que s'élevant jusqu'au trône de son père, il vint s'asseoir à sa droite, jusqu'à ce qu'il ait réduit ses ennemis à lui servir de marchepied, ainsi que nous l'avons dit ailleurs. 6 Mais les puissances du ciel, ne le reconnaissant pas dans l'état pauvre, humble, abject où elles le voient, demandent et s'écrient :

« Quel est donc ce roi de gloire? »

Alors l'Esprit saint leur répond au nom de Dieu le père et en son propre nom :

« Le Seigneur, le Dieu des vertus, c'est loi qui est le roi de gloire. »

De tous ceux qui se trouvaient à la porte du temple qui osa faire l'application de ces paroles, quel est ce rai de gloire, soit à l'arche d'alliance, soit à Salomon, dont le règne fut d'ailleurs si glorieux? Personne, vous en conviendrez avec moi.



XXXVII.


1 Les transports d'allégresse qu'exprime le psaume quarante-sixième se rapportent encore au Christ : « Dieu s'élève au bruit des acclamations, le Seigneur s'élève au son de la trompette. Chantez notre Dieu, chantez, célébrez notre roi; célébrez-le, parce que Dieu est le roi de la terre; chantez, comprenez ses merveilles. Dieu règne sur les nations, il est assis sur le trône de sa sainteté. Les princes des peuples se sont unis au Dieu d'Abraham, parce que les forts suivant Dieu sont grandement élevés sur la terre. »

2 Dans le psaume quatre-vingt-dix-huitième, l'Esprit saint, parmi les reproches qu'il vous adresse, déclare que celui que vous refusez de reconnaître pour roi est bien le roi, le Seigneur de Samuel, d'Aaron et de Moise, et de tous les patriarches. 3 Voici les paroles de ce psaume :

« Jéhovah a régné, que les peuples tremblent ! Il est assis sur les chérubins; que la terre soit émue ! Jéhovah est grand en Sion, il est élevé au-dessus de tous les peuples ; que tous confessent son nom, son nom grand, saint et terrible. La force du roi chérit la justice ; c'est vous qui en avez établi les lois ; vous avez rendu vos jugements et la justice au milieu de Jacob. Célébrez le Seigneur notre Dieu, prosternez-vous devant son marchepied, car il est le saint. 4 Moïse et Aaron ont été ses ministres. Samuel est de ceux qui invoquent son nom. Ils invoquaient le Seigneur, dit l'Écriture, et il les exauçait, et du milieu d'une colonne de nuages il parlait avec eux, parce qu'ils gardaient ses oracles et observaient les lois qu'il leur avait données. Jéhovah notre Dieu, tu les exauçais : tu fus propice à leurs prières et tu vengeas les outrages dont on les accablait. Exaltez Jéhovah notre Dieu, prosternez-vous devant sa sainte montagne ; il est le saint, Jéhovah notre Dieu. »



XXXVIII.


1  — Nous ferions bien, dit alors Tryphon, d'obéir à nos docteurs, qui nous défendent expressément tout rapport avec vous, pour n'être pas exposés à entendre un pareil langage; car vous proférez là bien des impiétés, quand vous voulez nous persuader que votre crucifié conversa avec Moïse et Aaron, qu'il leur parla du sein de la colonne de nuées, qu'ensuite il s'est fait homme, qu'il a été mis en croix, qu'il est monté au ciel, qu'il paraîtra de nouveau sur la terre, qu'enfin il faut l'adorer.

2 Je sais, lui répondis-je, et les divines Écritures me rapprennent, que ce grand mystère de la sagesse du Dieu tout-puissant et créateur de tous les êtres vous est encore caché; aussi je vous plains du fond de mon cœur, et pénétré pour vous de la plus vive compassion, je tâche autant qu'il est en moi de faire entrer dans votre esprit ces vérités qui, je le sais, heurtent de front toutes vos idées. Je fais en sorte d'être au moins trouvé sans reproche au jour du jugement. Mais vous entendrez bien d'autres choses encore plus contraires à vos préjugés. Loin de vous en irriter, prêtez-moi une oreille plus attentive; interrogez-moi avec plus d'empressement Laisses là l'enseignement de vos maîtres; c'est à eux que le Saint-Esprit fait le reproche de ne pouvoir comprendre la doctrine de Dieu et de vouloir avant tout enseigner la leur.

3 Voici ce qui est encore dit du Christ dans le psaume quarante-quatrième :

« Mon cœur ne contient plus l'heureuse parole, c'est au roi que j'adresse mes cantiques, ma langue obéit comme la plume à l'écrivain rapide; vous surpassez en beauté les plus beaux des enfants des hommes; la grâce est répandue sur vos lèvres, parce que le Seigneur vous a béni pour l'éternité. Armez-vous de votre glaive, ô le plus puissant des rois! revêtez-vous de votre éclat et de votre gloire, et dans votre majesté marchez à la victoire; montez sur le char de la vérité, de la clémence et de la justice, et votre droite se signalera par des merveilles; les flèches sont brûlantes; les peuples tomberont à vos pieds, elles perceront au cœur les ennemis de mon roi. 4 Votre trône, ô Dieu, est un trône éternel ; le sceptre de l'équité est le sceptre de votre empire ; vous aimez la justice et vous haïssez l'iniquité ; c'est pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a sacré d'une onction de joie, au-dessus de tous ceux qui doivent y participer. La myrrhe, l'ambre et le sandal s'exhalent de vos vêtements et des palais d'ivoire qui font vos délices, les filles des rois font votre gloire. La reine, votre épouse, est restée debout à votre droite revêtue de l'or d'Ophir; écoutez, ô ma fille, voyez et prêtez une oreille attentive, et oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi sera épris de votre beauté; c'est lui qui est votre Dieu, prosternez-vous devant lui, 5 les filles de Tyr viendront vous offrir des présents et les grands de la terre imploreront vos regards ; toute la gloire de la fille du roi vient de son cœur; ses vêtements sont resplendissants d'or et de broderie, à sa suite paraîtront une multitude de vierges ; ô roi, les compagnes de la vierge vous seront présentées. On les amènera avec joie, avec allégresse; on les introduira dans le palais du roi. A la place de vos pères, il vous est né des enfants : vous les établirez princes sur toute la terre ; ils perpétueront le souvenir de votre nom, et les peuples vous glorifieront dans les siècles et dans l'éternité. »



XXXIX.


1 Il n'est pas étonnant, continuai-je, que vous poursuiviez de votre haine des hommes qui comprennent le sens de ces paroles et qui réfutent si victorieusement celui que veulent y attacher vos cœurs endurcis. Élie, parlant an Seigneur, disait de vous :

« Seigneur, ils ont mis à mort vos prophètes et renversé vos autels ; je suis resté seul, et ils me cherchent pour m'ôter la vie. »

Et Dieu lui répondit :

« Il me reste encore sept mille hommes qui n'ont pas fléchi le genou devant Baal. »

2 C'est en leur faveur, comme vous le voyez, que Dieu, à cette époque, ne fit point éclater sa colère. Eh bien ! s'il a retenu et s'il retient encore aujourd'hui les coups de sa justice, c'est qu'il sait que tous les jours quelques-uns des vôtres peuvent sortir des voies de l'erreur et embrasser la doctrine de Jésus-Christ. Après les avoir éclairés par son fils, il répand sur eux ses dons selon qu'il les en juge dignes. L'un reçoit le don de sagesse, l'autre d'intelligence; celui-là l'esprit de force, celui-ci la vertu de guérir, cet autre la connaissance de l'avenir ; les uns ont la science, les autres la crainte de Dieu!

3 — Mais savez-vous bien, s'écria Tryphon, que vous perdez la raison, que vous êtes frappé de folie?

4 — Non, mon ami, lui répondis-je, je ne suis pas dans le délire, je ne déraisonne pas. Écoutez-moi : n'a-t-il pas été prédit que le Christ, lorsqu'il serait monté au ciel, nous emmènerait à sa suite, loin des voies de Terreur, et répandrait sur nous ses dons ? D'ailleurs, voici les paroles même de la prophétie :

« Il est monté au plus haut des cieux, traînant après lui de nombreux captifs ; et ses dons, il les a répandus sur les hommes. »

5 C'est à la faveur de ces dons répandus sur nous par le Christ, après son retour vers les deux, que nous pouvons vous prouver, les prophéties à la main, que vous qui êtes sages à vos yeux et qui ne croyez qu'à votre prudence, vous êtes seuls dans le délire; que c'est des lèvres seulement que vous honorez Dieu et son Christ ; pour nous qui sommes en possession de toute la vérité, c'est par nos œuvres que nous l'honorons ; c'est de cœur, c'est d'esprit, c'est par le sacrifice même de notre vie, s'il le fallait. 6 Qui vous empêche donc de reconnaître que Jésus est bien le Messie, le Christ promis, ainsi que vous pouvez vous en convaincre et par les divines Écritures que vous avez entre les mains, et par les événements qui s'accomplissent sous vos yeux, et par les prodiges qui s'opèrent en son nom ? Peut-être craignez-vous les persécutions des princes qui, poussés par l'esprit mauvais, l'esprit de ténèbres ou le serpent, mettent à mort ceux qui confessent le nom de Jésus-Christ et ne cesseront de les poursuivre jusqu'à ce qu'il apparaisse de nouveau, qu'il détruise tous ses ennemis et qu'il rende à chacun selon ses œuvres.

7 — Non, dit Tryphon, nous n'avons pas cette crainte ; nous voulons seulement des preuves qui nous convainquent que celui qui, selon vous, fut crucifié et s'éleva vers le ciel, est bien le Christ de Dieu. Je vous accorde que les Écritures nous annoncent la venue d'un Messie qui doit souffrir, reparaître environné de gloire, recevoir de son père un empire éternel sur toutes les nations, s'assujettir tous les peuples; vous nous l'avez assez prouvé par tous les passages des livres saints que vous nous avez cités. Montrez-nous enfin que votre Jésus est bien ce Christ promis.

8 — Pour ceux qui veulent comprendre, lui dis-je, la chose est déjà prouvée par ces concessions mêmes; ne nous croyez pas embarrassés et dans l'impuissance de vous donner les preuves directes que vous demandez. Je vous les donnerai quand il sera temps, ainsi que je vous l'ai promis. Pour le moment, je reprends la suite de mes idées.



XL.


1 Le mystère de l'agneau que Dieu ordonna d'immoler à la solennité de Pâques était la figure du Christ. A raison de leur foi, ceux qui croient en lui teignent de son sang leurs maisons, c'est-à-dire eux-mêmes. Car cette figure d'argile, je veux dire ce corps d'Adam, que Dieu façonna, est la demeure de l'âme que le souffle de Dieu y fit descendre, ainsi que vous le comprenez sans peine. La loi qui ordonnait de sacrifier un agneau n'avait été donnée que pour un temps, et voilà comme je le prouve. 2 Dieu ne permit pas que l'agneau pascal fut immolé ailleurs que dans l'endroit où son nom est invoqué. Cependant il savait bien qu'après la mort du Christ, Jérusalem serait livrée à ses ennemis et qu'avec elle finiraient les sacrifices; 3 mais cet agneau que la loi ordonne de brûler tout entier, n'était-il pas la figure du sacrifice de la croix, que le Christ devait souffrir? Voyez, en effet, la disposition de ses membres, quand on le brûle, n'offre-t-elle pas la figure d'une croix ? une broche le traverse verticalement de la tête aux pieds, tandis qu'une autre broche croise la première en traversant les épaules de l'agneau, et porte attachées sur elle, si je puis parler ainsi, les mains de la victime.

4 Et ces deux boucs, entièrement pareils, que la loi ordonne d'offrir les jours de jeûne, dont l'un était envoyé dans le désert et Vautre immolé, ne représentent-ils pas les deux avènements de Jésus-Christ? le premier, lorsque les anciens du peuple et les prêtres traitèrent Jésus-Christ comme on traitait le bouc émissaire, car ils l'ont traîné hors de la ville, ils ont porté sur lui leurs mains, ils l'ont dévoué à la mort; le second, lorsque vous reconnaîtrez, dans le lieu même de Jérusalem, ce Jésus que vous avez accablé d'outrages, et qui était la victime de propitiation pour tous ceux qui veulent faire pénitence, et qui observent le jeune dont parle Isaïe; ce jeune, tout spirituel, qui consiste à déchirer les contrats, les obligations usuraires et tyranniques, et à pratiquer fidèlement tous les devoirs que parcourt le prophète et que j'ai rappelés, d'après lui, devoirs que ne manquent pas d'observer ceux qui croient en Jésus-Christ. 5 Vous savez aussi que ce sacrifice de deux boucs, que la loi prescrivait d'offrir les jours de jeûne, devait se faire à Jérusalem et non ailleurs.



XLI.


1 Que dirai-je encore? L'offrande prescrite d'une mesure de farine, pour la guérison de la lèpre, ne figurait-elle pas le pain eucharistique que Jésus-Christ ordonne d'offrir en mémoire de la passion qu'il a soufferte pour nous guérir de tous nos péchés, et rendre grâce à Dieu d'avoir créé en faveur de l'homme et le monde et tout ce qu'il renferme, de vous avoir affranchis de l'iniquité dans laquelle nous étions plongés, enfin d'avoir brisé, anéanti, la puissance de l'enfer, par le bras de celui qui voulut bien pour nous souffrir la mort?

2 Aussi vous savez comme Dieu lui-même parle des sacrifices que vous lui offriez autrefois. Je répète les paroles du prophète Malachie que j'ai déjà citées : « Mon amour n'est pas en vous, dit le Seigneur, et je ne recevrai plus de présents de votre main ; car, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon nom est grand parmi les nations, voilà qu'on sacrifie en tous lieux 3 et une oblation pure est offerte à mon nom, parce que mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur. Mais vous, vous l'avez prononcé. Ici le prophète annonce déjà le sacrifice que nous autres gentils nous offrons sur tous les points de la terre, je veux dire le pain et le calice eucharistiques ; et il ajoute que par nous son nom est glorifié, tandis que vous le profanez. Remarquez encore ce que la loi prescrivait au sujet de la circoncision : 4 elle voulait qu'elle fût donnée le huitième jour, et figurait par là la véritable circoncision qui nous délivre du péché et de l'erreur, par notre Seigneur Jésus-Christ, ressuscité le lendemain du sabbat. Or, le jour d'après le sabbat, qui se trouve le premier dans l'ordre des jours dont se compose le cercle de la semaine, en est aussi appelé le huitième, sans cesser d'en être le premier.



XLII.


1 Que dirons-nous des douze sonnettes attachées à la robe du grand-prêtre? Ne pourrait-on pas dire qu'elles représentaient les douze apôtres que la vertu de Jésus-Christ, le pontife éternel, avait attachés à sa personne, et dont la voix a rempli le monde entier et de la gloire de Dieu et de la grâce de son Christ? ce qui faisait dire à David :

« Leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles se sont fait entendre jusqu'aux extrémités du monde. »

2 Isaïe, parlant au nom des apôtres que les hommes avaient cru, non à leurs paroles, mais à la puissance de celui qui les avait envoyés, s'exprime en ces termes :

« Seigneur, qui a cru à nos paroles, à qui la force de Dieu s'est-elle révélée ? Nous avons prêché devant lui, et nous avons été comme un jeune enfant ou plutôt comme une faible plante dans une terre aride. »

Ces paroles et celles qui suivent font partie de la prophétie que nous avons déjà citée. 3 Mais remarquez ce passage. L'Écriture parle d'abord au nom de plusieurs : « Nous avons annoncé en sa présence. » Puis elle ajoute au singulier : « Comme un enfant. » Elle nous fait voir d'avance ce qui s'est réalisé depuis. Des hommes difficiles et durs sont devenus tout à coup humbles, soumis, dociles à ses ordres, et cette docilité ne faisait plus de tous qu'un enfant. Ainsi, dans le corps humain, vous distinguez plusieurs membres qui tous réunis ne forment qu'un seul corps et n'ont pas d'autre nom. Et ce que je dis du corps de l'homme on peut le dire d'un peuple, d'une assemblée. C'est une agrégation de plusieurs personnes désignées par un nom générique, comme ne formait pins qu'une seule et même chose.

4 Je pourrais ainsi, mes amis, parcourir toutes les pratiques instituées par Moïse, et vous montrer qu'elles n'ont été que des signes, des figures, des prophéties de ce qui devait arriver au Christ et à ceux qui croiraient en lui, et qui étaient connus d'avance, ou des œuvres que le Christ devait lui-même opérer. Mais je crois en avoir dit assez pour vous convaincre de celte vérité. Je reprends la suite de mon discours.



XLIII.


1 Comme la circoncision avait commencé à Abraham, le sabbat, les sacrifices, les offrandes, les fêtes à Moïse, n'étaient établis qu'à raison de la dureté de votre cœur, ainsi que nous l'avons démontré; elles devaient finir à la venue de celui qui, d'après la volonté de Dieu le père, est né d'une vierge de la race d'Abraham, de la tribu de Juda et du sang de David, je veux dire à la venue du Christ, le fils de Dieu, annoncé au monde entier comme la loi nouvelle, le testament nouveau qui doit paraître un jour, ainsi que le prouvent les différents oracles que nous avons déjà cités.

2 Pour nous, qui devons au Christ le bonheur de connaître Dieu, nous avons reçu non la circoncision de la chair, mais celle de l'esprit qu'Hénoch et les autres justes ont observée; nous l'avons reçue dans le baptême, grâce à la miséricorde divine qui nous a affranchis du péché ; et vous pouvez tous la recevoir comme nous. 3 Mais puisque la discussion exige que nous entrions dans le mystère de la naissance du Christ, j'aborde ce sujet. Isaïe nous dit que sa génération est ineffable.

« Qui pourrait la raconter? s'écrie-t-il. il a été enlevé à la terre, les iniquités de mon peuple l'ont conduit à la mort. »

Ainsi l'Esprit saint lui-même vous déclare que la génération de celui qui doit mourir pour guérir les pécheurs par ses meurtrissures ne peut être racontée; 4 mais comment est-il né, comment a-t-il paru dans le monde? Pour l'apprendre à ceux qui croient en lui, voici comme l'Esprit saint a prédit, par la bouche du même prophète, ce qui s'est accompli :

5 « Alors le Seigneur parla encore à Achaz et lui dit : Demande un prodige au Seigneur ton Dieu, au plus profond de l'abîme ou au plus haut des cieux.»

Achaz répondit :

« Je me tairai et je ne tenterai point le Seigneur. »

Le prophète s'écria :

« Écoutez, maison de David, n'est-ce donc pas assez pour vous de lasser la patience des hommes, faut-il encore que vous lassiez celle de mon Dieu ? C'est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe. Voilà que la vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel; il se nourrira de lait et de miel jusqu'à ce qu'il sache rejeter le mal et choisir le bien. 6 Avant que l'enfant puisse discerner le bien du mal, qu'il éprouve le mal et choisisse le bien ; avant que l'enfant sache appeler son père et sa mère, il détruira la puissance de Damas, et emportera les dépouilles de Samarie devant le roi des Assyriens ; et cette terre que vous détestez, à cause de ces deux rois, sera abandonnée ; le Seigneur amènera, par les armes du roi d'Assyrie, sur vous et sur votre peuple, et sur la maison de votre père, des jours tels qu'on en aura jamais vu de semblables depuis la séparation d'Ephraïm et de Juda. »

7 Excepté notre Christ, il n'est pas on seul descendant d'Abraham qui soit né ou qu'on ait fait naître d'une vierge, tout le monde en convient 8 Mais comme vous et vos docteurs vous osez assurer que le texte ne dit pas : « Voilà qu'une vierge, » mais, « qu'une jeune fille concevra dans son sein et enfantera son fils ; » comme vous prétendez d'ailleurs que la prophétie ne peut s'entendre que d'Ezéchias, un de vos rois, je vais essayer de vous montrer en peu de mots qu'il s'agit ici d'une vierge et que la prophétie regarde celui que nous reconnaissons pour le Christ.

XLIV.

1 Je vous parle dans vos intérêts; vous ne me ferez pas un crime, je l'espère, de recourir à toutes ces preuves pour tâcher de vous convaincre; mais si par obstination ou par pusillanimité, à cause de la peine de mort portée contre les Chrétiens, vous persistez à repousser la vérité, il est évident que vous serez vous-mêmes les auteurs de votre perte. Vous êtes entièrement dans l'erreur, si vous vous croyez, parce que vous descendez d'Abraham selon la chair, appelés à recueillir l'héritage des biens que Dieu promet, par son Christ, d'après les divins oracles. 2 Aucun homme, quand il serait de la race d'Abraham, ne peut avoir part à cet héritage, s'il n'a été l'imitateur de la foi, s'il n'a eu l'intelligence de toutes les vérités cachées, c'est-à-dire s'il n'a compris que, parmi les observances de la loi, les unes avaient pour objet le culte de Dieu et la pratique des devoirs de la justice, que les autres étaient des figures qui se rapportaient au mystère du Christ, ou n'avaient été données qu'à raison de la dureté de votre cœur; et vous avez la preuve de ce que j'avance dans les paroles du prophète Ézéchiel ; c'est Dieu lui-même qui parle :

« Quand Noé, quand Jacob et Daniel me prieraient de faire grâce à leurs fils et à leurs filles, ils ne l'obtiendraient pas. »

3 C'est dans le même sois qu'il dit encore par la bouche d'Isaïe :

« Le Seigneur Dieu a dit : Ils sortiront et verront les cadavres des prévaricateurs; leur ver ne mourra point, leur feu ne s'éteindra jamais, et toute chair aura ce spectacle sous les yeux. »

4 Renoncez donc à de vaines espérances, cherchez plutôt par quelle voie vous pourrez obtenir la rémission de vos péchés et renaître à l'espoir des biens promis.

Je n'en vois pas d'autre que celle-ci : la foi en Jésus comme le Messie promis, la rémission des péchés par le baptême qu'avait annoncé Isaïe, et une vie désormais pure et sans tache.



XLV.

1 — Pardonnez-moi, me dit Tryphon, si j'interromps la suite de vos idées. J'ai besoin de vous faire ici une question, souffrez que d'abord je vous l'adresse.

— Faites-moi, lui dis-je, toutes celles que vous voudrez, selon qu'elles vous viendront à l'esprit. Après vos questions et mes réponses, je tâcherai de reprendre la suite de mon discours et de finir.

2 — Dites-moi, si ceux qui ont vécu selon la loi de Moue auront part à la vraie vie, comme Hénoch, Jacob, Noé, au jour de la résurrection des morts.

3 — Je vous ai déjà cité, lui répondis-je, ces paroles d'Ézéchiel:

« Non, quand Noé, Jacob, Daniel demanderaient grâce pour leurs fils et pour leurs filles, ils ne l'obtiendraient pas. »

Car personne ne sera sauvé pour les œuvres de ses pères. Je vous ai dit? aussi que ceux qui auraient suivi la loi de Moise pourraient, comme les justes dont vous venez de parler, arriver au salut. Car les grands préceptes de justice, de piété que comprend la loi naturelle, se trouvent aussi dans la loi de Moïse et sont obligatoires pour ceux qui vivent sous elle, aussi bien que les pratiques qui ont été données à cause de la dureté de votre cœur, et qui furent toujours observées par les enfants de la loi. 4 Dès lors qu'ils suivaient les préceptes de la loi naturelle, éternelle, universelle, ils sont agréables à Dieu ; et par Jésus-Christ au jour de la résurrection, Dieu les assimilera aux justes qui les ont précédés, tels que Noé, Hénoch, Jacob et d'autres encore; ils obtiendront tous le salut avec ceux qui reconnaissent Jésus-Christ pour le fils de Dieu, existant avant le soleil et les autres astres, fait chair dans le temps et né d'une vierge du sang de David, afin que, par l'économie de ce mystère, le serpent, qui dès le commencement avait exercé sa méchanceté, et les anges devenus semblables à lui, vissent leur puissance anéantie, que les hommes ne craignissent plus la mort, qu'au second avènement du Christ elle s'éloignât pour toujours de ceux qui croient en lui et ne cherchent qu'à lui plaire, qu'en un mot elle n'existât plus lorsque les uns auront subi le jugement et la condamnation qui les enverra au supplice d'un feu éternel, et que les autres entreront dans cette heureuse immortalité qui les affranchira pour toujours de la souffrance, de la misère et de la corruption.


XLVI.


1 — Mais dites-moi, reprit Tryphon, ceux qui voudraient encore aujourd'hui observer la loi de Moise en même temps qu'ils croiraient en Jésus-Christ crucifié, et le reconnaîtraient pour le Christ de Dieu qui doit juger tous les hommes et dont l'empire est éternel, seraient-ils sauvés?

2 — Mais voyons d'abord, lui dis-je, s'il est possible à présent d'observer tous les préceptes de la loi.

— Non, assurément, répondit Tryphon. Nous reconnaissons avec vous qu'on ne peut immoler qu'à Jérusalem l'agneau pascal, que la loi ne veut pas qu'on offre ailleurs les deux boucs dans les jours de jeûne et qu'on fasse hors de son temple les autres oblations.

Alors je repris: — Dites-moi, je vous prie, quelles sont les observances de la loi qu'il est possible, de suivre, et vous serez convaincus qu'on peut se sauver sans accomplir ces préceptes que vous croyez être ceux de la justice éternelle.

— Ou peut encore, dit Tryphon, observer le sabbat, la circoncision, les nouvelles lunes, les purifications prescrites quand ou a touché quelque objet d'impur ou rempli le devoir conjugal.

3 — Mais, lui dis-je, Abraham, Isaac, Jacob, Noé, Job et tous les autres justes qui ont vécu avant ou après ces patriarches, Sara, l'épouse d'Abraham, et Rébecca, l'épouse d'Isaac, Rachel et Lia, les épouses de Jacob, et les autres femmes, jusqu'à la mère de Moïse, ce fidèle serviteur de Dieu, n'ont pu suivre les observances de la loi. Selon vous, seraient-ils exclus du salut?

— Abraham n'a-t-il pas été circoncis et tous ceux qui sont venus après lui? répliqua Tryphon.

4 — Je sais bien, lui dis-je, qu'Abraham et ses descendants ont reçu la circoncision ; mais je vous ai déjà dit pourquoi elle leur avait été donnée, et je me suis là-dessus beaucoup étendu. Mais si tout ce que j'ai dit sur ce point n'a pu vous convaincre, nous examinerons encore cette question. Vous savez que de tous les justes aucun, jusqu'à Moïse, n'observa et ne fut obligé d'observer une seule des pratiques dont il s'agit, sauf la circoncision, qui remonte à Abraham.

— Nous le savons bien, dit Tryphon, et nous reconnaissons que ces justes sont sauvés.

5 — N'oubliez pas, repris-je, que Dieu ne vous a donné tous les préceptes par le ministère de Moïse qu'à raison de la dureté de votre cœur. Il voulait que toutes ces pratiques fussent autant de moniteurs qui vous remissent sans cesse sa pensée sous les yeux dans toutes vos actions, afin de vous détourner de l'injustice et de l'impiété. Il vous ordonna même de vous ceindre d'une bandelette qui vous rappelât son souvenir et de porter un phylactère ou membrane de parchemin très mince, sur laquelle étaient tracés certains caractères que nous regardons comme sacrés. C'était tout à la fois un aiguillon qui réveillait sans cesse en vous la pensée de Dieu, et un reproche fait à votre conscience d'être si prompts à l'oublier ; 6 et toutes ces précautions cependant n'ont pu vous détourner de l'idolâtrie. En effet, du temps d'Élie, Dieu, comptant ceux qui n'avaient pas fléchi le genou devant Baal, n'en trouva que sept mille qui lui fussent restés fidèles ; plus tard il vous reproche par la bouche d'Élie d'avoir immolé vos enfants mêmes aux Idoles? 7 Nous, au contraire, plutôt que de leur sacrifier comme nous le faisions autrefois, nous endurons les plus cruels supplices. Nous condamne-t-on à la mort, nous nous livrons à la joie, parce que nous sommes persuadés que Dieu nous ressuscitera par son Christ et que nous serons incorruptibles, impassibles, immortels. D'un autre côté, nous savons, nous, que de simples observances, établies à raison de la dureté da coeur, ne peuvent produire des œuvres de justice et de piété.



XLVII.


1 — Mais, dit Tryphon, si quelqu'un, persuadé de cette vérité, voulait encore garder les observances légales, bien qu'il reconnût Jésus-Christ pour le Christ, qu'il crût en lui et obéit à sa parole, sera-t-il sauvé ?

— A mon avis, il le sera, lui répondis-je, pourvu toutefois qu'il ne cherche point à persuader aux autres, c'est-à-dire aux gentils affranchis de l'erreur par Jésus-Christ, qu'ils doivent comme lui pratiquer ces observances, et qu'il ne soutienne pas que sans elles on ne peut obtenir le salut, comme vous le prétendiez vous-même, Tryphon, au commencement de cette discussion : car vous m'avez dit formellement que je ne serais pas sauvé, si je n'observais pas la loi.

2 Tryphon reprit: — Mais pourquoi dites-vous : « A mon avis, cet homme sera sauvé, » sinon parce que plusieurs pensent qu'il ne le sera pas ?

— Oui, lui dis-je, il en est qui pensent ainsi. Ils craindraient de s'entretenir, de loger sous le même toit, d'avoir les moindres rapports avec les hommes dont vous parlez. Je ne partage pas leurs sentiments. Si quelques-uns d'entre vous veulent encore par faiblesse observer tout ce qu'ils peuvent d'une loi que Moïse n'avait donnée qu'à raison de la dureté du cœur; s'ils espèrent en même temps en Jésus-Christ et observent les préceptes éternels de justice et de piété, qui sont la base de la loi naturelle, sans refuser de vivre avec les Chrétiens fidèles à Jésus-Christ, et sans chercher à leur persuader de se faire circoncire comme eux et d'observer le sabbat et les autres pratiques de la loi, je pense qu'il faut les recevoir et communiquer avec eux en toutes choses, comme avec des hommes animés de notre esprit, comme avec des frères. 3 Pour ceux de votre nation qui croient, nous disent-ils, en Jésus-Christ, mais qui veulent obliger les fidèles d'entre les gentils à pratiquer la loi de Moise, et refusent de communiquer avec eux sans cette condition, je ne les recevrais pas comme les autres; 4 je crois bien toutefois que ceux qui se laisseraient persuader d'allier l'observance de la loi avec la confession de Jésus-Christ pourraient être sauvés. Mais quant à ceux qui après avoir reconnu et confessé le Christ auraient passé aux observances légales, n'importe par quel motif, et cessé de le reconnaître pour le Messie, sans avoir fait pénitence avant de mourir, je puis vous assurer qu'il n'y a point de salut pour eux ni pour les descendants d'Abraham qui vivent selon la loi et meurent sans avoir cru en Jésus-Christ, je parle surtout de ceux qui ont blasphémé et qui blasphèment encore contre lui dans leurs synagogues. Mais, s'ils le confessent avant leur mort, ils seront assurément sauvés et préservés des feux éternels. 5 Car, dans sa bonté,dans sa miséricorde, dont les trésors sont infinis, comme le dit Ézéchiel, Dieu met le pécheur pénitent au même rang que le juste qui a vécu sans péché : il n'en est pas ainsi de celui qui passe des voies de la piété et de la justice dans celles du crime et de l'impiété, Dieu ne le distingue plus du pécheur, de l'homme injuste et impie. C'est pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ nous dit: « Je vous jugerai selon les voies où je vous aurai surpris. »



XLVIII.


1 — Nous savons, dit Tryphon, ce que vous pensez sur ce point ; reprenez la discussion où vous l'avez laissée, et tâchez d'en finir. Vous me paraissez soutenir un paradoxe singulier et qui ne peut s'appuyer d'aucune preuve. Quoi ! vous prétendez que votre Christ est Dieu, qu'il a existé avant les siècles, qu'il a bien voulu naître, s'incarner, et qu'il s'est fait homme sans être né de l'homme. Ce n'est pas seulement un paradoxe qui choque toutes les idées reçues, mais encore une absurdité.

2 — Oui, je sais que cette doctrine doit paraître étrange à ceux d'entre vous qui ne veulent ni comprendre, ni suivre la parole de Dieu, et qui n'écoutent d'autre voix que leurs docteurs. C'est le reproche que Dieu vous fait lui-même. Quand je ne pourrais vous démontrer que Jésus-Christ est le fils de Dieu créateur de toutes choses, qu'il existe avant les siècles, qu'il est Dieu lui-même en même temps qu'il est homme né d'une vierge, 3 il n'en resterait pas moins démontré qu'il est le Christ de Dieu. Après vous l'avoir prouvé comme je l'ai fait, si je ne vous démontrais pas aussi clairement ce que je viens d'ajouter, c'est-à-dire qu'il a précédé les siècles, qu'il a voulu prendre une chair, se faire homme et tout souffrir pour obéir à la volonté de son père, tout ce que vous pourriez dire, c'est que je me trompe sur ce point ; mais vous ne pourriez vous refuser à reconnaître en lui le Christ promis. Ne paraîtrait-il qu'un homme né d'entre les hommes, n'ayant rien de plus que le caractère d'une élection sainte qui le montre comme le Christ de Dieu, du moins devez-vous reconnaître en lui ce caractère. Ainsi l'ont jugé quelques hérétiques qui portent le nom de Chrétiens. 4 Tout en le regardant comme un homme, ils le reconnaissaient pour le Christ. Je ne partage pas leur sentiment quand ils n'en faut qu'un simple mortel, et je ne l'adopterais jamais, quand le plus grand nombre qui pense comme moi viendrait à penser comme eux. Car le Christ lui-même nous commande de croire non à la parole de l'homme, mais à la parole des prophètes et à la sienne.



XLIX.


1 Trypbon reprit : — L'opinion de ceux qui ne font de Jésus-Christ qu'un homme marqué du sceau de l'élection divine à la faveur de l'onction qu'il a reçue, et par elle devenu le Christ, paraît bien plus probable que celle que vous défendez; et nous aussi, nous attendons un Christ qui ne sera qu'un homme né d'entre les hommes, et qui recevra l'onction sainte des mains d'Élie, quand celui-ci viendra. Bien que Jésus vous paraisse le Christ, vous ne devez toujours voir en lui qu'un homme, né comme les autres hommes. Mais comme Élie n'a pas paru, je ne peux pas même admettre que ce soit le Christ.

2 — Voilà votre avis, Tryphon. Mais répondez-moi, le prophète Zacharie ne dit-il pas qu'Élie doit venir avant le grand et terrible jour du Seigneur?

— Oui, certainement, me répondit-il.

— Eh bien, repris-je, si nous sommes obligés, d'après l'Écriture, de reconnaître que les prophètes ont prédit deux avènements du Christ, l'un qui le fera voir sans éclat, sans beauté, exposé à toutes les douleurs; l'autre, qui nous le montrera environné de gloire et s'avançant comme le juge de tous les hommes, ainsi que nous l'avons prouvé plus haut par tant d'endroits de l'Écriture, comment ne pas voir qu'il s'agit du second avènement dans ces mots de jour grand et terrible, et que c'est de ce dernier avènement qu'Élie est annoncé comme précurseur?

— Oui, je vous l'accorde encore, me dit-il.

3 — Jésus-Christ lui-même, continuai-je, nous apprend qu'Élie doit venir en personne. Mais nous savons qu'il parle du jour où le Christ viendra du ciel dans toute sa gloire. Quant au premier avènement, on peut dire aussi qu'Élie a paru; car l'esprit de Dieu qui était en lui s'est manifesté comme précurseur dans la personne de saint Jean, un des prophètes sortis de votre nation et le dernier qui parut parmi vous. Car voici ce qu'il disait, assis sur les bords du Jourdain :

« Je baptise dans l'eau pour la pénitence; mais celui qui doit venir après moi, et dont je ne suis pas digne de porter les souliers, est plus puissant que moi; celui-là vous baptisera dans l'esprit et dans le feu. Il tiendra le van à sa main, et il nettoiera son aire, et il amassera son froment dans le grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteindra jamais. »

4 Votre roi Hérode l'avait fait jeter dans les fers; mais lorsqu'il célébrait le jour de sa naissance, la fille de son frère l'ayant charmé par sa manière de danser, il l'obligea de lui demander tout ce qu'elle voudrait. La jeune princesse, d'après le conseil de sa mère, demanda la tête de Jean. Le roi l'envoya couper et la fit apporter dans un bassin.

5 Jésus notre maître, quand il a paru sur la terre, dit-il à ceux qui prétendaient comme vous qu'Élie devait précéder le Christ:

« Oui, Élie doit venir et rétablir Israël; mais je vous déclare qu'Élie est déjà venu, et ils ne l'ont pas connu, et ils ont fait contre lui tout ce qu'ils ont voulu. »

Il est écrit qu'alors ses disciples comprirent qu'il leur avait parlé de Jean-Baptiste.

6 — Vous me paraissez encore, reprit Tryphon, blesser les idées reçues, quand vous dites que l'esprit de Dieu qui était dans Élie fut aussi dans Jean-Baptiste.

— Est-ce que vous ne savez pas, lui dis-je, que c'est précisément ce qui est arrivé à Jésus, fils de Navé, qui fut chargé après Moïse de conduire le peuple d'Israël? Est-ce Dieu lui-même, lorsqu'il ordonna à Moïse de lui imposer les mains, n'a pas dit en propres termes :

« Et moi, je transporterai sur lui l'Esprit saint qui est en toi ? »

7 — Oui, dit Tryphon.

— Ainsi, continuai-je, de même que du vivant de Moïse Dieu transporta sur le fils de Navé l'esprit qui était en lui, de même Dieu a pu transporter celui d'Élie sur Jean. Le premier avènement du Christ était sans gloire ; ainsi devait être le premier avènement de l'esprit précurseur, qui restait toujours en Élie pur et intact. Il est dit que Dieu combat Amalec d'une main invisible; qu'Amalec ait été vaincu, vous ne le nierez pas. Mais si on prétend qu'il ne doit succomber qu'au jour où le Christ viendra dans sa gloire, pourquoi l'Écriture dit-elle que la main invisible du Seigneur poursuit Amalech? Il faut donc reconnaître que la vertu de Dieu était cachée dans le Christ crucifié, qui fait trembler les démons et toutes les puissances et principautés de la terre. Ainsi la, vertu d'Élie était cachée dans Jean-Baptiste.



L.


1 — On voit bien, me dit Tryphon, que vous avez une longue habitude de la controverse, et qu'il vous est souvent arrivé de discuter avec toutes sortes de personnes et sur toutes sortes de sujets. Voilà pourquoi vous êtes toujours prêt à répondre.

Mais dites-moi donc comment vous pourriez prouver qu'il existe un autre Dieu que le Dieu créateur de toutes choses. Vous essayeriez ensuite de me démontrer comment il a pu s'abaisser jusqu'à naître d'une vierge et se faire homme comme nous.

2 — Très volontiers, lui dis-je; mais permettez-moi de vous citer d'abord les paroles d'Isaïe sur la fonction de précurseur que le prophète Jean-Baptiste a remplie parmi vous avant la venue de Jésus-Christ.

—- Je vous écoute, me dit-il.

3 Voici comment Isaïe parle de la mission de Jean, qui précéda le Christ :

Ezéchias dit à Isaïe : « La parole du Seigneur est juste; que la vérité et la paix subsistent pendant mon règne. Console-toi, console-toi, mon peuple, dit le Seigneur ton Dieu. Prêtres, parlez au cœur de Jérusalem, et appelez-la par son nom; ses maux sont finis, son iniquité lui est pardonnée, elle a reçu du Seigneur des grâces qui surpassent ses crimes. On entend la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur, rendez droits les sentiers. Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline sera abaissée, les chemins tortueux seront redressés, ceux qui étaient raboteux seront aplanis ; la gloire du Seigneur sera révélée, le Seigneur va parler, toute la terre verra le Sauveur. 4 Une voix m'ordonne de crier, et j'ai répondu : Que dirai-je par mes cris? Tous les mortels ne sont que de l'herbe et toute leur beauté ressemble à la fleur des champs. Le Seigneur a répandu un souffle brûlant ; l'herbe de la prairie s'est desséchée, la fleur est tombée. Oui, les peuples sont comme l'herbe de la prairie. L'herbe sèche, la fleur tombe, mais la parole de notre Dieu subsiste dans l'éternité. Montez sur le sommet de la montagne, vous qui évangélisez Sion; criez encore plus haut, ne craignez pas; dites aux villes de Juda : Voici votre Dieu ! et voilà que le Seigneur paraît revêtu de force; son bras signale sa puissance; le prix de sa victoire est en ses mains, ses œuvres le précèdent et l'annoncent. Il gouverne ses troupeaux comme un pasteur vigilant ; il rassemble ses agneaux, il les presse dans ses bras, il les réchauffe sur son sein ; il porte lui-même les brebis pleines. 5 Qui a mesuré les eaux dans le creux de sa main, et qui, la tenant étendue, a pesé les cieux? Qui a soutenu de trois doigts la masse de la terre? qui a mis les collines en équilibre? Qui a aidé l'esprit du Seigneur ? Qui est entré dans son conseil ? Qui l'a conduit ? Qui a-t-il consulté ? Qui l'a instruit? Qui lui a enseigné les voies de la justice? De qui tient-il la science? Qui lui a ouvert les routes de la sagesse? Les nations sont devant lui comme une goutte d'eau dans un vase d'airain, un grain de sable dans une balance; les îles sont comme la poudre légère. Le Liban et ses forêts ne suffiraient pas au feu de ses autels. Tous les animaux de la terre ne suffiraient point un sacrifice digne de lui. Tous les peuples sont devant lui comme s'ils n'étaient pas. »



LI.


1 Quant j'eus finis, Tryphon reprit : — Tous les mots de cette prophétie sont ambigus; je n'y vois rien qui revienne à la question.

— Oui, lui dis-je, si le ministère prophétique n'avait pas cessé chez vous depuis Jean-Baptiste, vous pourriez trouver obscures les paroles que je viens de citer et qui se rapportent à Jésus-Christ.

2 Mais si Jean l'a précédé, prêchant aux hommes le baptême de la pénitence; si Jésus-Christ vint à lui sur les bords du Jourdain et mit fin à sa prédication et à son baptême; s'il commença lui-même à prêcher l'Évangile, annonçant aux hommes que le royaume de Dieu était proche; qu'il aurait à souffrir de la part des scribes et des pharisiens, qu'il fallait qu'il fût crucifié et qu'il ressuscitât; qu'il reparaîtrait dans Jérusalem, où il retrouverait ses disciples et vivrait avec eux; mais qu'il s'élèverait dans l'intervalle de faux prêtres, de faux prophètes abusant de son nom pour tromper les peuples: si tout cela s'accomplit, ainsi que tout le monde peut le voir, comment douter encore lorsque les événements parlent si haut?

3 Il avait annoncé clairement que désormais il ne s'élèverait plus de prophètes parmi vous. Et pour convaincre les hommes que le Testament nouveau promis dès longtemps, et qui n'était autre que lui-même en sa qualité de Christ, venait d'apparaître, voici ce qu'il disait aux Juifs :

« La loi et les prophètes ont existé jusqu'à Jean. Depuis ce temps le royaume de Dieu souffre violence, et les violents seuls le ravissent; et si vous voulez l'entendre, il est lui-même Élie qui doit venir. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende. »



LII.


1 Le patriarche Jacob avait aussi prédit les deux avènements du Christ; il avait annoncé qu'on le verrait dans le premier en proie à la douleur, et qu'ensuite il n'existerait plus chez vous ni rois, ni prophètes; que les gentils, plein de foi en Jésus souffrant et humilié, vivraient dans l'attente de son second avènement. C'est bien là ce que l'esprit prophétique exprimait d'une manière symbolique et mystérieuse. 2 Alors je rapportai ses propres paroles :

« Juda, tes enfants te loueront; ta main sera sur la tête de tes ennemis ; les enfants de ton père s'humilieront devant toi. Juda est comme un jeune lion. Mon fils, tu t'es levé peur le butin, et dans ton repos tu dors comme le lion et la lionne : qui osera le réveiller ? Le sceptre ne sortira pas de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu'à ce que vienne celui à qui appartient le sceptre, et qui est l'attente des nations. Il liera son ânon à la vigne, à la vigne, le fils de son ânesse ; et il lavera son manteau dans le vin, et sa robe dans le sang de la vigne. Ses yeux seront plus rouges que le vin et ses dents plus blanches que le lait. »

3 Or, depuis les premiers temps jusqu'à l'époque où Jésus-Christ est né et a souffert, votre nation a toujours eu des princes et des prophètes. Vous n'oseriez, vous ne pourriez soutenir le contraire. Si vous dites qu'Hérode, sous le règne duquel Jésus-Christ a souffert, était d'Ascalon, vous convenez cependant qu'il y avait chez vous un prince des prêtres. Vous aviez donc même alors un pontife qui offrait des sacrifices selon la loi de Moïse, et qui en suivait toutes les observances, tandis que la succession des prophètes se continuait jusqu'à Jean, qui fut le dernier, comme elle s'était perpétuée jusqu'à l'époque où la terre de Juda fut ravagée, les vases sacrés enlevés, votre peuple emmené captif à Babylone. La nation eut toujours quelques prophètes qui en étaient comme les maîtres, les chefs, les princes. L'esprit qui était en eux sacrait les rois et les établissait sur vous. 4 Mais, depuis que notre Seigneur Jésus-Christ a paru au milieu de votre peuple et que vous l'avez mis à mort, vous avez cessé d'avoir des prophètes. La nation n'a plus de rois, votre pays est entièrement dévasté et ressemble à une demeure abandonnée. La prédiction des deux avènements du Christ se trouve dans ces paroles de Jacob : Il sera l'attente des nations. Elles annoncent d'une manière mystérieuse que les gentils croiront en lui. Et vous le voyez, de toutes les nations nous formons un nouveau peuple, un peuple saint qui adore le vrai Dieu par la foi en Jésus-Christ, dont nous attendons le second avènement.



LIII.


1 Ces autres paroles :

« Il liera son âne à la vigne, et le fils de l'ânesse au cep de la vigne, »

étaient tout à la fois et une figure et une prédiction de ce qu'il fit lors du premier avènement, et de la conversion des gentils qui devaient croire en lui. Jusqu'au moment où Jésus-Christ instruisit les nations, elles étaient comme l'ânon qui n'a jamais porté de bât et qui ne connaît pas le joug. Il leur envoya ses apôtres pour les instruire et les plier au joug de sa loi; elles l'ont porté avec tant de docilité, qu'on les a vues disposées à tout souffrir dans l'attente des biens promis.

Pour Jésus-Christ notre Seigneur, il a véritablement paru sur une ânesse. Rappelez-vous ce qu'il fit lorsqu'il approchait de Jérusalem : il envoya ses disciples lui chercher une ânesse qui était attachée avec son ânon à l'entrée d'un bourg appelé Betphagé; et quand ils l'eurent amenée, il monta dessus et entra dans la ville. 2 L'action de Jésus-Christ, réalisant aux yeux de tout le monde les prophéties qui concernent le Christ, ne prouvait-elle pas évidemment qu'il était lui-même le Christ promis? Et quand il accomplit ainsi tous les oracles et qu'on vous le prouve les Écritures à la main, vos cœurs restent toujours endurcis! 3 Ce que nous venons de dire avait été prédit en ces termes par Zacharie, un des douze prophètes :

« Tressaille d'allégresse, fille de Sion ! pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! voilà que ton roi viendra vers toi, juste et sauveur, doux et pauvre, monté sur une ânesse et sur le fils de l'ânesse. »

4 Remarquez ces paroles de l'Esprit saint, qui dit formellement comme le patriarche Jacob, que le Christ se servira de l'ânesse et de l'ânon, et l'ordre donné par Jésus-Christ de les amener l'un et l'autre, et vous comprendrez ce que signifiait cette ânesse. N'était-ce pas la figure de ceux de la synagogue qui devaient un jour, comme les gentils, croire en lui?

Car, de même que l'ânon inaccoutumé au joug représentait les gentils, de même l'ânesse habituée à porter le bât figurait la nation juive. La loi donnée par les prophètes, qu'était-ce autre chose qu'un joug qui vous était imposé? 5 Zacharie avait encore prédit que le Christ serait frappé et ses disciples dispersés. N'est-ce pas ce qui est arrivé? Lorsque Jésus fut mis en croix, ceux qui étalent avec lui prirent la fuite. Ils ne reparurent qu'après sa résurrection, lorsqu'il leur montra que celui qui devait ainsi souffrir d'après les prophètes, c'était lui-même. Alors ils furent forcés de croire, et ils partirent pour le faire connaître au monde entier. Et voilà pourquoi nous sommes si fermes dans sa foi et dans sa doctrine. Ne trouvons-nous pas en effet le plus puissant motif de croire et dans les prophéties et dans la conversion de ceux que nous voyons aujourd'hui par toute la terre amenés à la connaissance du vrai Dieu, au nom de Jésus crucifié? Mais citons les paroles mêmes de Zacharie :

« Glaive, lève-toi sur mon pasteur, sur l'homme de mon peuple, dit le Seigneur des armées. Frappe le pasteur, et ses brebis seront dispersées. »



LIV.


1 Remarquez ces paroles de la prophétie de Jacob rapportées par Moïse:

« Il lavera sa robe dans le vin et son manteau dans le sang de la vigne; »

elles signifient qu'il devait purifier, par son sang, ceux qui croient en son nom. Par sa robe, l'Esprit saint désigne ceux qui ont reçu de lui la rémission de leurs péchés, qu'il remplit toujours de son esprit, et qu'il revêtira de sa gloire au jour de son second avènement. 2 Mais pourquoi ces mots: « Le sang de la vigne ? » N'est-ce pas pour nous faire entendre d'une manière ingénieuse que Jésus-Christ tire son sang, non de l'homme, mais de la vertu de Dieu ; car ce n'est pas l'homme qui produit le sang de la vigne, et le prophète annonce qu'il en sera de même du sang du Christ, qu'il viendra, non de l'homme, mais de Dieu.

Cette prophétie vous prouve donc, mes amis, que le Christ n'est point né de l'homme comme nous naissons tous.



LV.


1 — Nous admettrons votre explication, dit Tryphon, quand vous l'appuierez d'autres preuves; mais pour le moment sortez de cette digression et prouvez-nous que l'Esprit saint reconnaît un autre Dieu que le créateur de l'univers. N'allez pas nous parler du soleil et de la lune que les nations, l'Écriture, adoraient comme des dieux. Il ne faut pas prendre à la lettre ce langage des prophètes :

« Ton Dieu est le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs, »

le désignant toutefois par les attributs de grand, de fort, de terrible; 2 les prophètes ne veulent pas dire pour cela que les astres soient des dieux. L'Écriture nous fait seulement entendre que, parmi les êtres que la crédulité humaine regardait comme des dieux et des seigneurs, il n'y α qu'un seul vrai Dieu, qu'un seul véritable Seigneur, celui qui a tout créé; et pour nous le prouver, l'Esprit saint nous dit par David :

« Les dieux des nations, c'est-à-dire ceux qu'elles honorent sous ce nom, ne sont pas des dieux, mais des simulacres des démons. »

Le prophète exprime ensuite combien il déteste et ceux qui les fabriquent et ceux qui les adorent.

3 Mon intention, repris-je, n'était pas de vous citer ces passages qui condamnent, je le sais, tous ceux qui se livrent à l'idolâtrie; les preuves que je veux vous donner sont sans réplique : elles vous paraîtront nouvelles, et cependant vous les lisez tous les jours. Rien ne prouve mieux que la mauvaise disposition de votre cœur a fait pour vous des divines Écritures un livre scellé. Vous n'y voyez pas la sagesse divine renfermée dans chaque parole. J'en excepte un petit nombre que Dieu, dans son infinie miséricorde, a laissé parmi vous comme une semence de salut, pour me servir du langage d'Isaïe, afin que votre race ne périt pas tout entière, comme celle de Sodome et de Gomorrhe. Prêtez donc toute votre attention aux paroles des saintes Écritures que je vais vous citer ; elles n'exigent point d'explication, elles n'ont besoin que d'être écoutées.



LVI.


1 Voyez quel nom Moïse, ce saint et fidèle serviteur du Très-Haut, donne à celui qui se fit voir â Abraham près du chêne de Mambré, et qui était accompagné de deux anges, envoyés, comme lui, pour prononcer le jugement de Sodome, par l'être qui réside au plus haut des deux, que personne n'a vu, qui n'a parlé directement, lui-même, à personne, et que nous appelons le père, le créateur de toutes choses. Moïse déclare en propres termes qu'il est Dieu; 2 voici comme il s'exprime :

« Or, Dieu apparut en la vallée de Mambré à Abraham, assis à l'entrée de sa tente, durant la chaleur du jour. Et comme il levait les yeux, trois hommes parurent debout près de lui, et aussitôt qu'il les eut aperçus, il courut au-devant d'eux dès l'entrée de sa tente, et il adora, s'inclinant vers la terre; »

et plus bas :

« Abraham se levant dès le matin s'en alla au lieu où il s'était trouvé avec le Seigneur, et il regarda Sodome et Gomorrhe et toute la terre de cette contrée, et il vit une flamme monter de la terre comme la vapeur d'une fournaise. »

Quand j'eus fini, je demandai à mes interlocuteurs s'ils avaient saisi le sens de ses paroles.

3 — Oui, répondirent-ils ; mais elles ne prouvent pas qu'il existe, ou que le Saint-Esprit ait dit qu'il existât on autre Dieu, un autre Seigneur que le créateur de toutes choses.

4 — Puisque vous comprenez si bien les Écritures, leur dis-je, je vais essayer de vous prouver d'après leur témoignage la vérité de ce que j'avance, c'est-à-dire qu'après le créateur de l'univers, il existe une autre personne qu'on appelle Dieu et Seigneur, et qui est réellement l'un et l'autre; elle est aussi parfois désignée sous le nom d'ange, parce qu'elle annonce aux hommes tout ce que veut leur annoncer le Dieu créateur, au-dessus duquel il n'est pas d'autre Dieu. Je citai de nouveau le passage, et je demandai à Tryphon : Pensez-vous, d'après ces paroles de l'Écriture, que ce soit Dieu qui ait apparu à Abraham sous le chêne de Mambré?

— Oui, sans doute, répondit-il.

5 — Était-il un de ceux qui apparurent à Abraham au nombre de trois et que l'Esprit saint désigne, sous le nom d'hommes?

— Nullement, répondit-il; Dieu se fit voir au patriarche avant l'apparition des trois personnages. L'Écriture les appelle du nom d'hommes, mais ils étaient des anges. Deux furent envoyés pour détruire Sodome; l'autre vint annoncer à Sara qu'elle aurait un fils. Ce message rempli, il disparut

6 — Mais, lui dis-je, comment se fait-il que celui des trois qui avait dit devant la tente : Je reviendrai vers toi, lorsque l'heure en sera venue, et alors il naîtra un fils à Sara, ait reparu, en effet, après la naissance du fils de Sara, et que dans le même passage l'Esprit saint déclare qu'il était Dieu? Pour vous faire comprendre encore plus clairement ma pensée, je vais vous citer les paroles mêmes de Moïse :

7 « Et Sara ayant vu le fils d'Agar, servante égyptienne, jouant avec son fils Isaac, elle dit à Abraham : Chasse cette servante et son fils ; car le fils de la servante ne sera point héritier avec mon fils Isaac. Abraham écouta ceci avec peine, à cause de son fils. Mais Dieu lui dit : Que cette parole sur l'enfant et sur sa servante ne te paraisse pas dure, et quelque chose que dise Sara, écoute sa voix ; car c'est d'Isaac que ta postérité prendra son nom. »

8 Ne voyez-vous pas que celui qui près du chêne avait promis de revenir, parce qu'il prévoyait que son intervention serait nécessaire pour persuader à Abraham de condescendre aux volontés de Sara, revint, en effet, comme le dit l'Écriture, et qu'il est vraiment Dieu, ainsi que le prouvent ces paroles :

« Dieu dit à Abraham : Que cette parole sur l'enfant et sur ta servante ne te paraisse pas dure. »

C'est par ces questions que je pressais mes interlocuteurs.

9 — Très bien, dit Tryphon. Mais tout ce que vous venez de dire ne prouve nullement qu'il existe un autre Dieu que celui qui se montra à Abraham, aux autres patriarches et aux prophètes. Vous nous avez seulement fait voir que nous avions eu tort de prendre pour trois anges les trois personnages qui se trouvaient avec Abraham sous sa tente.

10 — Si je ne pouvais, Tryphon, vous montrer par les Écritures que l'on d'eux était Dieu, qu'elles appellent quelquefois du nom d'ange, parce qu'il est chargé de porter aux hommes les ordres du créateur, vous seriez excusable de penser ici comme votre nation à l'égard de celui qui parut au monde sous une forme humaine, ainsi qu'il s'était fait voir à Abraham accompagné de deux anges, bien qu'il fût Dieu et précédât les siècles.

— Avons-nous pu jusqu'alors, me dit-il, avoir un autre sentiment?

11 — Eh bien ! lui répondis-je, je vais vous prouver, en m'appuyant toujours sur les Écritures, que celui qui s'est montré à Abraham, à Jacob, à Moïse, et qui est appelé Dieu par les livres saints, est autre que celui qui a tout créé; mais je m'explique, autre par le nombre et non par la volonté (1) Car je déclare qu'il n'a jamais rien fait qui ne fût parfaitement conforme à la volonté du Dieu créateur, au-dessus duquel il n'y a pas d'autre Dieu.

12 — Voilà ce qu'il faut nous prouver, reprit Tryphon, si vous voulez que nous nous rangions à votre avis; nous sommes déjà persuadés que celui dont vous parlez a toujours fidèlement suivi dans ce qu'il a dit, et rempli les ordres du créateur de toutes choses.

— Le passage suivant de l'Écriture, lui répondis-je, va vous mettre en quelque sorte la vérité sous les yeux :

« Le soleil, est-il dit, se levait sur la terre, quand Loth parvint à Ségor. Le Seigneur fit donc pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe le soufre et le feu du ciel ; il détruisit ces cités et toute la contrée qui les environne. »

13 Un des quatre auditeurs restés avec Tryphon prit ici la parole :

— Outre le Dieu qui apparut à Abraham, il faut donc aussi, dit-il, donner ce nom à l'un des deux anges qui allèrent à Sodome; car l'Esprit saint, parlant par la bouche de Moïse, l'appelle aussi Seigneur.

14 — Ce n'est pas seulement, lui dis-je, pour cette raison qu'il faut reconnaître ce qui est, c'est-à-dire que l'Esprit saint appelle du nom de Seigneur un autre que le créateur de toutes choses ; s'il l'a déclaré par la bouche de Moise, il le dit encore par celle de David; car il le fait parler en ces termes:

« Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. »

Et dans un autre endroit :

« Votre trône, ô Dieu, est un trône éternel, le sceptre de l'équité est le sceptre de votre empire. Vous aimez la justice et vous baissez l'iniquité : c'est pourquoi, ô Dieu, votre Dieu vous a sacré d'une onction de joie, au-dessus de tous ceux qui veulent y participer. »

15 Montrez-moi, si vous le pouvez, que l'Esprit saint donne les noms de Dieu et de Seigneur à un autre qu'au Dieu créateur de l'univers et à son Christ ; car je vais vous prouver, et toujours d après l'Écriture, que ce n'est pas l'un des deux anges qui se dirigeaient sur Sodome qu'elle appelle Seigneur, mais bien celui qui était avec eux et que Moïse nous dit être le Dieu que vit Abraham.

16 — Hâtez-vous de le prouver, dit Tryphon; car, vous le voyez, le jour baisse, et nous ne nous sommes pas préparés à vous répondre sur un sujet aussi difficile. Outre cela, nous n'avons jamais eu affaire à quelqu'un qui sût creuser les choses, les discuter, les développer comme vous le faites. Grâce à l'Ecriture-Sainte dont vous vous êtes toujours fait un appui, nous vous avons laissé discourir à votre gré; c'est d'elle en effet que vous cherchez à tirer toutes vos preuves, et d'ailleurs vous déclarez qu'il n'est point de Dieu au-dessus du créateur de l'univers.

17 — Vons connaissez, leur dis-je, ces paroles de l'Écriture :

« Et le Seigneur dit à Abraham : Pourquoi Sara a-t-elle ri, disant : Est-il vrai qu'étant vieille je puisse enfanter ? Y a t-il quelque chose d'impossible à Dieu? Je reviendrai vers toi, selon ma parole, en ce temps et tu vivras, et Sara aura un fils. »

Plus loin nous lisons :

« Après que ceux-ci se furent levés, ils tournèrent leurs yeux vers Sodome et Gomorrhe, et Abraham allait avec eux les conduisant. Et le Seigneur dit : Puis-je cacher à Abraham, mon fils, ce que je vais faire ?»

18 Et un peu après :

« le cri de Sodome et de Gomorrhe s'est multiplié et leur péché s'est aggravé devant moi. Je descendrai et je verrai s'ils ont accompli en leurs œuvres la clameur venue jusqu'à moi, et s'il est ainsi je le saurai. Et ils partirent de là, et ils s'en allèrent vers Sodome. Or, Abraham était encore devant le Seigneur, et s'approchant du Seigneur, il dit : « Perdrez-vous l'innocent avec le coupable? »

Nous ne répéterons pas les paroles qui suivent, nous les avons déjà citées ; mais il importe de rappeler celles qui m'ont servi à convaincre Tryphon et ses amis ; les voici :

« Le Seigneur disparut quand il eut cessé de parler à Abraham, et Abraham retourna en sa demeure; sur le soir arrivèrent deux anges à Sodome, et Loth était assis à la porte de la ville. »

Et ce qui suit jusqu'à cet endroit:

« Et voilà que les étrangers avancèrent leurs mains, et faisant rentrer Loth en sa maison, ils fermèrent la porte. »

Je passe encore pour arriver à cette partie du récit:

« Ils prirent sa main et la main de sa femme, et la main de ses deux filles, parce que Dieu leur faisait grâce, 20 et ils l'emmenèrent hors de la ville ; et là ils lui dirent : Sauve ta vie, ne regarde point derrière toi, et ne t'arrête point dans toute cette contrée ; mais sauve-toi en la montagne, de peur que tu ne périsses avec les autres. Et Loth leur répondit : Mon Seigneur, je vous prie, puisque votre serviteur a trouvé grâce devant vous et que vous avez manifesté votre miséricorde sur moi, afin de sauver ma vie; or, je ne puis me retirer en la montagne, où le mal me surprendra et où je mourrai; 21 il y a près d'ici une ville où je puis m'enfuir : elle est petite, et je serai sauvé ; n'est-elle pas très petite, et elle sauvera ma vie. Et le Seigneur lui répondit : Voilà que j'ai écouté encore ta prière, et je ne détruirai point la ville pour laquelle tu as parlé. Hâte-toi, sauve-toi là; car je ne pourrai rien faire, jusqu'à ce que tu y sois parvenu. C'est pourquoi cette ville fut appelée Ségor (petite). Le soleil se levait sur la terre quand Loth parvint en Ségor. Le Seigneur fit donc pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe le soufre et le feu du ciel, et il détruisit ces cités et toute la contrée qui les environne. »

22 Mes citations finies, j'ajoutai : Ne voyez-vous pas maintenant, mes amis, que l'un de ces trois personnages désignés par les noms de Seigneur et de Dieu, exécutant les ordres de celui qui est dans les cieux, était le Seigneur des deux anges? car lorsque ceux-ci furent partis pour Sodome il resta seul avec Abraham, et lui adressa les paroles que rapporte Moïse. Quand il eut disparu après cet entretien, Abraham retourna dans sa maison; 23 à peine y fut-il arrivé, qu'il vit non plus les deux anges, mais le personnage mystérieux dont nous parlons conversant avec Loth; et c'était le Seigneur, recevant du Seigneur qui est dans les cieux, c'est-à-dire du créateur de l'univers, la mission de faire tomber sur Sodome et Gomorrhe les fléaux retracés par l'Écriture en ces termes : « Le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe le soufre et le feu du ciel.



LVII.


1 Je me tus, et Tryphon prit la parole : — Nous sommes évidemment forcés par les livres saints d'admettre tout ce que vous venez de dire; mais comment expliquerez-vous ce passage, où il est raconté qu'ils mangèrent les mets qu'avait préparés Abraham et qu'il servit devant eux? C'est, je pense, une difficulté qui mérite d'être proposée, vous en conviendrez vous-même.

2 — Oui, répondis-je, il est écrit qu'ils mangèrent. En supposant que ceci s'entende des trois personnages, et non pas de deux seulement, je veux dire de ceux qui étaient véritablement des anges, et qui se nourrissent dans le ciel d'aliments qui ne sont pas, comme il est évident, les mêmes que les nôtres; car l'Écriture, en parlant de la manne qui nourrissait vos pères dans le désert, dit qu'ils mangeaient le pain des auges; en supposant, dis-je, que tous trois aient mangé, entendrais ces mots de l'Écriture, ils mangèrent, de la même manière que nous disons du feu : il a tout dévoré; et non pas comme s'ils avaient fait usage de la bouche et des dents pour manger les mets qui leur étaient servis. Ceci ne doit pas nous arrêter un moment, si nous avons la plus légère idée du style métaphorique.

3 — Oui, dit Tryphon, la difficulté n'est plus aussi grande, s'il faut distinguer la manière de manger, et ne pas prendre à la lettre ces paroles de l'Écriture : « Ils mangèrent ce qui leur fut servi par Abraham. » Mais hâtez-vous donc de nous prouver que le Dieu qui apparut à Abraham, et que vous nous présentez comme le ministre du Dieu créateur de l'univers, est né d'une vierge, s'est fait homme, a souffert tout ce que nous pouvons souffrir. Car voilà ce que vous avez avancé.

4 — Pour bien établir ce point essentiel et vous rendre la vérité palpable, permettez-moi, Tryphon, quelques autres développements préliminaires; je répondrai ensuite directement à ce que vous me demandez.

Tryphon me répondit : — Faites comme vous l'entendrez, pourvu que vous répondiez à la question.



LVIII.


1 — Je ne vous citerai que les livres saints, lui dis-je; je ne veux pas ici étaler un vain appareil de mots, uniquement pour faire parade d'éloquence; d'ailleurs je n'ai pas ce talent : Dieu m'a seulement donné la grâce de comprendre les Écritures. Je vous conjure tous d'entrer avec moi en partage de cette grâce, puisqu'elle vous est offerte d'une manière si généreuse et si désintéressée. Et si je vous fais cette invitation, c'est pour n'être pas moi-même condamné au jour du jugement que le Dieu créateur doit faire subir à tous les hommes par notre Seigneur Jésus-Christ.

2 — Votre conduite ici est bien digne de respect, me dit Tryphon ; mais vous me paraissez blesser un peu la vérité, lorsque vous dites que vous ne possédez point le talent de la parole et l'art de bien dire.

— Soit, lui dis-je, si vous voulez que je possède ; mais ce que je vous ai dit à cet égard, c'est bien ce que je pense. J'entre dans le développement de  mes autres preuves, donnez-moi toute votre attention.

— Parlez, répondit-il.

3 — Le Dieu qui se fit voir aux patriarches est souvent appelé ange et Seigneur; c'est ainsi que le désigne Moïse. Et pourquoi, mes chers amis? C'est afin que vous sachiez qu'il est le ministre du Dieu créateur. Vous en convenez avec moi, et plus vous avancerez, plus vous rencontrerez de nouvelles preuves de cette vérité. 4 L'Esprit saint racontant par Moïse ce qui était arrivé à Jacob, petit-fils d'Abraham, s'exprime en ces termes :

« Lorsque le temps de la conception des brebis fut venu, je levai les yeux, et je vis en songe les boucs et les béliers monter sur les chèvres et les brebis ; ils étaient marqués de blanc, tachetés, et de couleur cendrée. Et l'ange me dit en songe : Jacob, Jacob ! 5 Et moi je répondis : Qu'y a-t-il, Seigneur? Et il me dit: Lève les yeux, et vois les boucs et les béliers marqués de blanc, tachetés de couleur cendrée, s'approcher des femelles ; car j'ai vu tout ce que t'a fait Laban. Je suis le Dieu qui me suis montré à toi dans ce lieu qui appartient au Seigneur, où tu as imprimé une marque en répandant l'huile sur la pierre, et fait un vœu. Maintenant donc sors de cette terre, lève-toi, et retourne dans la terre de ta naissance. »

6 Dans un autre endroit, l'Esprit saint dit encore au sujet de Jacob :

« S'étant levé pendant la nuit, il prit ses deux femmes et ses deux servantes, et ses onze enfants, franchit le torrent, et fit passer tout ce qu'il possédait. Il demeura seul, et voilà qu'un ange lutta avec lui jusqu'au matin; et quand cet ange vit qu'il ne pouvait le vaincre, il toucha le nerf de sa cuisse, qui aussitôt se sécha ; et il lui dit : Laisse-moi, car voici l'aube du jour. 7 Jacob répondit : Je ne te laisserai point, si tu ne me bénis. Celui-ci lui dit : Quel est ton nom ? Le patriarche répondit : Jacob. L'ange lui dit : Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël ; car tu as été fort contre Dieu, combien plus tu seras fort contre les hommes!;Alors Jacob lui demanda quel était son nom, et il répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom? Et il le bénit, et il appela cet endroit vision de Dieu, disant : J'ai vu le Seigneur face à face, et mon âme s'est réjouie. »

8 Ailleurs, l'Écriture dit encore du même Jacob :

« Jacob vint donc à Luza, qui est dans la terre de Chanaan et surnommée Béthel; il vint, lui et tout le peuple qui était avec lui, et il éleva là un autel, et il appela ce lieu du nom de Béthel. Car Dieu lui apparut là quand il fuyait son frère Esaü. Alors mourut Débora, la nourrice de Rébecca, et elle fut ensevelie au pied de Béthel, sous un chêne, et le nom de ce lieu fut le chêne de pleurs. Or, Dieu apparut encore à Jacob dans Luza, quand il arriva de Mésopotamie de Syrie, et il le bénit, lui disant : Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël. »

9 Vous le voyez, celui qui apparut à Jacob est appelé Dieu; il l'est, en effet, et le sera toujours.

10 Ils firent tous un mouvement de tête, pour indiquer qu'ils approuvaient mon explication, et je continuai : Il importe, je crois, de citer encore ici l'endroit de l'Écriture qui nous apprend comment se fit voir à Jacob, fuyant devant son frère Esaü, celui qui est désigné tout à la fois sous les noms d'ange de Dieu et de Seigneur, qui se montra à Abraham et lutta contre ce même Jacob sous l'apparence d'un homme. Voici le passage :

« Or, Jacob, parti de Bersabée, poursuivait son chemin vers Haran.

« Et arrivé en un lieu où il voulait se reposer, après le coucher du soleil, il prit des pierres qui étaient là, et les mit sous sa tête, et dormit en ce même lieu.

« Et il vit en songe une échelle posée sur la terre et dont le sommet touchait le ciel, et des anges de Dieu qui montaient et descendaient par elle;

« Et le Seigneur appuyé sur l'échelle, 12 lui disant : Je suis le Seigneur Dieu d'Abraham ton père, et le Dieu d'Isaac. Je te donnerai la terre sur laquelle tu dors, à toi et à ta postérité.

« Et ta postérité sera comme la poussière de la terre, et sera multipliée en Occident et en Orient, au septentrion et au midi ; et toutes les tribus de la terre seront bénies en toi et en ta postérité.

« Et je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai en cette terre; et je ne te délaisserai point jusqu'à ce que j'aie accompli tout ce que j'ai dit.

13 « Quand Jacob fût éveillé de son sommeil, il dit : Véritablement le Seigneur est en ce lieu-ci, et je ne le savais pas.

« Et plein d'effroi, il dit : Que ce lieu est terrible ! C'est ici la maison de Dieu et la porte du ciel.

« Et Jacob, se levant le matin, prit la pierre qu'il avait mise sous sa tête, et l'éleva comme un monument, et y répandit de l'huile.

« Et il appela Béthel la ville qui avait auparavant le nom de Luza. »



LIX.


1 Quand J'eus fini, je leur demandai la permission de citer un autre passage : Souffrez, leur dis-je, que je vous montre d'après le livre de l'Exode cet ange, ce Dieu, ce Seigneur, cet homme, que virent Abraham et Isaac, apparaissant à Moïse au milieu d'un buisson ardent et conversant avec lui. — Volontiers, s'écrièrent-ils ; loin de vous trouver importun, nous vous écoutons avec plaisir.

2 — Voici, leur dis-je, ce que nous lisons dans l'Exode :

«  Et il advint longtemps après que le roi d'Égypte mourut, et les enfants d'Israël gémirent, à cause de la multitude des travaux dont on les accablait. »

Et ce qui suit jusqu'à ces paroles :

« Va et assemble les anciens d'Israël, et tu leur diras: Le Seigneur, Dieu de vos pères, m'est apparu; le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, disant : Je vous ai visités et j'ai vu toutes les choses qui vous sont arrivées en Égypte. »

3 Sur ces paroles je fis cette réflexion : Vous voyez, mes amis, que celui que Moïse regarde comme un ange qui conversait avec lui du milieu d'un buisson ardent déclare à son serviteur Moïse ce qu'il était, c'est-à-dire le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.



LX.


1 — Mous ne comprenons pas ce passage comme vous, me dit Tryphon; nous croyons plutôt que c'est un ange qui se montrait au milieu du feu, et que c'est Dieu qui parlait à Moïse, de sorte qu'ils étaient deux dans la vision, Dieu et un ange.

2 — Eh bien ! répondisse, admettons ce que vous dites là, c'est-à-dire que Dieu et un ange se sont fait voir en même temps dans cette circonstance. Vous m'accorderez que celui qui dit à Moïse : « Je suis le Dieu d'Abraham, etc., » n'est pas, comme je l'ai prouvé plus haut, le Dieu créateur de l'univers, mais le Dieu qui se fit voir à Abraham et à Jacob, le Dieu ministre des volontés de celui qui a tout fait, le Dieu qui vint exécuter les décrets que sa justice avait portés sur Sodome. Ainsi donc, en supposant avec vous qu'ils fussent deux dans cette vision, Dieu et un ange, qui oserait dire que le Dieu père et créateur de toutes choses ait quitté les hauteurs des cieux pour apparaître sur un petit coin de la terre ?

3 — Quand il serait prouvé, me dit Tryphon, que celui qui apparut à Abraham, et qui est appelé Dieu et Seigneur, aurait reçu du Dieu créateur, qui réside dans le ciel, la mission de punir la terre de Sodome, qui empêche d'admettre qu'un ange était avec le Dieu qui parlait à Moïse ? Nous n'en conviendrons pas moins que ce Dieu n'est pas le Dieu créateur de l'univers, mais celui qui apparut à Abraham, à Isaac, à Jacob, et qui est appelé l'ange du Dieu créateur, nom qui lui convient si Dieu, puisqu'il est chargé de faire connaître aux hommes la volonté du Dieu tout-puissant

4 — Je vais plus loin, Tryphon, je vous prouverai qu'ils n'étaient pas deux dans la vision, que celui qui est appelé du nom d'ange, et qui est Dieu, était seul quand il s'est montré à Moïse et s'est entretenu avec lui. Voici comme s'exprime l'Écriture :

« L'ange du Seigneur lui apparut dans une flamme de feu au milieu d'un buisson, et il voyait que le buisson brûlait et ne se consumait point. Moïse dit donc:  «J'irai et je verrai cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume pas. Mais le Seigneur, voyant qu'il venait pour regarder, l'appela du milieu du buisson. »

5 Ainsi que nous l'avons vu, l'Écriture appelle du nom d'ange celui qui apparut en songe à Jacob, et nous apprend après ce qu'est cet ange par ces paroles :

« Je suis le Dieu qui t'apparut quand tu fuyais devant Esaü ton frère; »

elle nous dit, à l'époque d'Abraham, qu'il est le Seigneur qui portait de la part du Seigneur résidant au plus haut des cieux la sentence prononcée contre Sodome. De même, dans la circonstance dont il s'agit, l'Écriture nous dit bien que Fange du Seigneur apparut à Moïse, mais elle déclare ensuite que cet ange est Dieu et Seigneur, ne parlant ici que de celui qui nous est montré dans une foule d'endroits comme le ministre du Très-Haut qui ne connaît point de Dieu au-dessus de lui.



LXI.


1 Je vous prouverai, mes amis, par d'autres témoignages de l'Écriture, qu'avant toutes choses Dieu a engendré de lui-même dès le commencement une vertu, une intelligence que l'Esprit saint appelle la gloire du Seigneur, et désigne souvent par le nom de Fils, de Sagesse, de Dieu, de Seigneur, de Verbe; celui à qui l'Écriture donne tous ces titres s'appelle lui-même chef suprême : c'est le nom qu'il a pris quand il s'est montré à Josué, fils de Nun, sous une forme humaine, car il a tous ces noms comme ministre des ordres de Dieu le père et né de ce père par sa volonté. 2 Ce qui se passe en nous est un exemple de cette génération. La parole que nous proférons, nous l'engendrons sans rien perdre de nous-même, car la parole qui est en nous, je veux dire la raison, n'en est pas diminuée. C'est encore ce que nous voyons à l'égard du feu. Une flamme naît d'une autre, sans que la première en soit affaiblie ; la seconde existe et brille, sans diminuer celle à qui elle doit son existence et sa clarté. 3 J'ai pour témoin de ce que j'avance le Verbe divin, le Dieu lui-même engendré du Père de toutes choses, le Verbe et la sagesse, la vertu et la gloire de ce Père tout-puissant. Écoutons ce que la Sagesse, le Verbe, dit par la bouche de Salomon :

« Lorsque je vous aurai annoncé ce qui arrive chaque jour, je reprendrai les choses depuis le commencement des siècles. Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies; avant ses œuvres j'étais. Dès l'éternité j'ai été sacrée, dès le commencement, avant que la terre fût. Les abîmes n'étaient pas, et j'étais engendrée, les sources étaient sans eaux. Les montagnes n'étaient pas encore affermies, j'étais engendrée avant les collines. 4 Le Seigneur n'avait pas fait la terre, et les fleuves et les montagnes. Lorsqu'il étendait les cieux, j'étais là ; lorsqu'il entourait l'abîme d'une digue; lorsqu'il suspendait les nuées; lorsqu'il fermait les sources de l'abîme ; lorsqu'il donnait à la mer des limites, et les eaux ne les dépasseront pas ; lorsqu'il posait les fondements de la terre, alors j'étais auprès de lui ; nourrie par lui, j'étais tous les jours ses délices, me jouant sans cesse devant lui, me jouant dans l'univers ; et mes délices sont d'habiter avec les enfants des hommes. 5 Maintenant donc, mes enfants, écoutez moi : Heureux ceux qui suivent mes voies ! Écoutez mes leçons, et soyez sages, ne perdez pas une de mes paroles. Heureux l'homme qui m'écoute, qui passe les jours à l'entrée de ma maison, et qui veille au seuil de ma porte ! Celui qui me trouve, trouve la vie; son salut viendra du Seigneur. Mais celui qui pèche contre moi est le meurtrier de son âme, tous ceux qui me haïssent aiment la mort. »



LXII.


1 Et cette vérité nous l'apprenons encore de l'Esprit saint parlant par Moïse, lorsqu'il nous montre, au moment de la création de l'homme, Dieu le père s'adressant en ces termes à celui que l'Écriture nous a fait voir comme Dieu en d'autres circonstances :

« Faisons l'homme à notre ressemblance et à notre image; qu'